En 1949, George Orwell publiait 1984, récit d’anticipation politique dénonçant les totalitarismes, stalinisme et nazisme et leur organisation liberticide, au moment où le monde venait d’en finir avec Hitler et où Staline achevait de régner sur tout le bloc d’Europe centrale et de l’Est. En 2015, un écrivain algérien francophone, Boualem Sansal, romancier et essayiste non musulman, vivant en Algérie, reprend, sous la même forme du conte dystopique et uchronique, le schéma narratif d’Orwell pour dénoncer cette fois le totalitarisme théocratique des mouvements islamistes, sans d’ailleurs les nommer précisément et ouvertement, dans son roman 2084, la fin du monde que Gallimard réédite en mars 2017 dans sa collection de poche Folio.

FIN DU MONDE SANSAL

Le pays imaginé par Boualem Sansal est l’Abistan, peuplé de fidèles « parfaitement soumis » est-il écrit dans le Gkabul, le Livre Saint : « La vraie sainte religion, l’Acceptation, le Gkabul, consiste en ceci et seulement ceci : proclamer qu’il n’y de dieu que Yölah, et qu’Abi est son délégué !».

Le temps est désormais aboli :

« L’ancien monde avait cessé d’exister et le nouveau, l’Abistan, ouvrait son règne éternel sur la planète ».

L’Abistan, lieu à présent unique, à l’exclusion de tout autre pays ou frontière, a ainsi surgi des conflits passés, guerres mondiales, guerres nucléaires et guerres saintes, « 1914, 1939, 2014, 2022, 2050 et cette fois 2084 ». La diversité n’existe plus au pays de Yölah où la vie s’organise dans un ordre policier appelé « Système […], monde rébarbatif et soupçonneux, mis en œuvre par la Juste Fraternité et surveillé par l’infaillible Appareil ».

Abi, le délégué, y est nommé « BIgaye », nouveau « Big Brother » qui surveille constamment ses ouailles, « zombies confits dans la soumission et l’obséquiosité », et les maintient dans un état de dépendance et de cécité permanent. La langue désormais utilisée est l’instrument d’éradication de la pensée, évacuant toutes nuances et richesses d’expressions écrites et orales : cette « novlang » à la Orwell, c’est l’abilang « langue militaire réduite à des collections d’onomatopées, qui ne permettait nullement de développer des pensées complexes et d’accéder par ce chemin à des univers supérieurs ». Jusqu’à empêcher même l’exégèse religieuse qui exposerait aux dangers de la réflexion et à de possibles remises en question.

Le personnage principal du roman, Ati, convalescent phtisique, descendu, une fois guéri, de son sanatorium perdu dans la montagne, et retourné à la vie en Abiland, s’est pris, pendant sa maladie, à observer, réfléchir et douter : « La vie du parfait croyant est une suite ininterrompue de gestes et de paroles à répéter, elle ne laisse aucune latitude pour rêver, hésiter, réfléchir, mécroire éventuellement, croire peut-être […]. Quelque chose s’était cassé dans sa tête ». D’autres personnages du récit, Koz, nostalgique d’un passé dérobé à la connaissance des fidèles, et Koa, héritier du Système mais vrai révolté, viennent renforcer les interrogations d’Ati. Ils auront tous les trois les mêmes doutes, feront ensemble les mêmes découvertes et percevront que d’autres mondes existent ou peuvent exister. Une rumeur se fait jour : « Avez-vous jamais entendu parler d’un certain Démoc ? […] Un être mythique sorti d’on ne sait quel monde, solaire, déroutant, tout de lumière et de raison qui enseignerait une chose inconnue au pays de la sainte Soumission : la révolution dans l’harmonie et la liberté [et] la force de la bienveillance et de l’amitié ». Une lueur apparaît alors, salvatrice, dans la nuit d’Abiland

Cette fable politique, importante et glaçante, use d’une langue impeccable. Et le jury du Grand Prix du roman de l’Académie française ne s’y est pas trompé qui l’a couronné en 2015.

Boualem Sansal, 2084 La fin du monde, Gallimard, Collection Folio (n° 6281), 2017, 336 p., prix : 8.00 euros.

2084 – La fin du monde par Sansal

Académie Française – Grand prix du roman – 2015
Palmarès du meilleur livre de l’année, Magazine Lire – 2015

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