D’habitude, les films de Brian de Palma tendent vers une résolution, le rétablissement de la vérité : Carrie transforme sa gêne d’adolescente en pure violence, Michael Courtland – dans Obsession – finit par comprendre que la femme qu’il aime est sa fille, et que l’homme qui l’a aidé pendant tout ce temps où sa femme et sa fille avaient disparu est un traître. De Palma semble obsédé par la justice et la vérité. Un monde sans justice est une promesse de chaos : Outrages fait d’un film de guerre un film d’horreur, et d’un film de procès un film de fantôme où le fantôme serait la vérité.

brian de palmaMission impossible ne prend pas vraiment cette direction, et même si le personnage de Tom Cruise fait figure d’ancrage pour le spectateur, seule entité à laquelle se fier, il ne cesse de revêtir des masques. Au contraire, le film cherche le trouble absolu, l’identité vacante, l’interchangeabilité du vrai et du faux, la mascarade pour la mascarade. Mission impossible est un jeu. Souvent, la mise en scène d’un jeu révèle un ordre plus profond. Ici, non. Le jeu ne révèle que lui-même. C’est le spectacle qui est au cœur du spectacle. Rien de plus. L’univers est diabolique, mais le Diable n’existe pas. Palma épouse toutes les règles, toutes les formes de la paranoïa et de la théorie du complot, mais se refuse à montrer qui complote, à ériger des figures monstrueuses. Le monstre est avant tout moral, intime.

brian de palmaIl y a quelque chose de troublant aussi dans la façon dont Brian de Palma organise l’espace dans Mission Impossible. Souvent, dans ses films, il n’y a pas d’issue, ou alors en rêve (les Paradise Islands de L’impasse, palmiers et plage qui resteront de carte postale, c’est-à-dire pures surfaces, endroit où le regard fixe l’être sans le transporter jusque-là). Les personnages creusent un trou et s’y enfoncent : Carrie vient buter contre le bal du lycée puis retourne chez sa mère, Scarface s’enferme dans sa luxueuse villa où dollars et cocaïne l’étouffent. Entre les différentes niches de l’espace, il y a du désir qui circule, mais ces espaces restent très souvent séparés, ou du moins n’est-ce pas le désir qui les réunit, mais plutôt la tragédie du désir empêché (ainsi, dans Blow Out, John Travolta cherche pour un film d’horreur un cri adéquat, et finit par le trouver – et donc à joindre l’espace sonore et l’espace visuel –, mais dans des circonstances terribles).

brian de palmaDans Snake Eyes, tout ou presque a lieu dans un même bâtiment. Plusieurs milliers de personnes y sont enfermées, un ouragan s’abat sur la ville, des dizaines de caméras ont chacune leur version de l’histoire. Notre guide est Nicolas Cage, qui est de tous les plans, et anime l’espace à sa manière cocaïnée. En une nuit, il passe de la petite corruption crasseuse à la droiture, par le biais d’une trahison (d’un traumatisme). De Palma transpose dans l’espace décrit le bouleversement qui opère dans la tête du héros. Il y a entre le cheminement moral de Nicolas Cage et son parcours dans le bâtiment un jeu d’équivalences très fin, qui ne se contente jamais du degré symbolique.

Dans Mission impossible au contraire, tout est tunnel, fuite, grandes échappées (le tunnel sous la Manche, la Moldau, les conduits d’aération de la pièce secrète), et à l’intérieur de ça, il n’y a rien, il y a du vent. Le désir est libre, mais vain.

brian de palmaOn pourrait psychanalyser De Palma par ses films. Tous ont en eux une composante traumatique qui a à voir avec le rejet ou l’impuissance.

Ainsi le fait, pour le personnage de Tom Cruise, de ne plus faire partie de l’équipe des agents secrets, est-il une tragédie.

Ou bien le fait de ne pas trouver le cri juste dans Blow Out.

Ou encore la claustrophobie du personnage principal de Body Double, qui empêche celui-ci de jouer une scène de film d’horreur où il est enfermé dans un cercueil.

Le saut de sang de cochon dans Carrie.

Le passé cubain de Tony Montana.

La ressemblance impossible bien qu’effective entre l’épouse morte et la jeune fille de l’église dans Obsession.

brian de palmaIl y a, chez Palma, une terreur liée à la distance, à la séparation de l’être et du monde, du son et de l’image, de l’homme et de la femme, de l’individu et de son identité. Plan sublime, terrible, que Gravity copie, dans Mission to Mars, où, en apesanteur, un homme se défait de son casque et meurt pour que sa femme ne tente pas de le sauver, car elle en mourrait. Toute séparation est, pour le cinéaste, à la fois un déchirement et une libération. Dans l’espace que cette séparation ouvre, Palma trouve la matière de ses films. L’apesanteur, la suspension, la paralysie sont des motifs physiques récurrents dans son œuvre, des postures que le cinéaste ne cesse pas d’étudier, parce qu’elles disent beaucoup sur le rapport de l’être au monde, sur la difficulté qu’il y a à se réaliser, à circuler, à s’incarner.

Quelques films de Brian de Palma, par ordre de préférence :

1 Blow Out, 1981
2 Body Double, 1984
3 L’esprit de Caïn, 1992
4 Mission impossible, 1996
5 Snake eyes, 1998
6 Carrie, 1976
7 L’impasse, 1993
8 Redacted, 2007
9 Pulsions, 1980
10 Obsession, 1976
11 Phantom of the paradise, 1974
12 Outrages, 1989
13 Soeurs de sang, 1973
14 Passion, 2012
15 Femme fatale, 2002
16 Mission to Mars, 2000
17 Home movies, 1980
18 Murder a la mod, 1968
19 The Fury, 1978
20 Hi Mom!, 1970
21 Greetings, 1968
22 Woton’s wake, 1962
23 Scarface, 1983
24 Les incorruptibles, 1987
25 Le bûcher des vanités, 1990
26 Le Dahlia Noir, 2006

 

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Antoine Mouton
antoine.mouton [@] unidivers .fr

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