The Brautigan Library est le nom d’une bibliothèque américaine un peu particulière. Dans ces murs, pas de grantécrivain ni de poète maudit : seulement des écrivains parfaitement inconnus. Nommé ainsi en hommage à Richard Brautigan, l’écrivain américain qui a imaginé fictionnellement cette bibliothèque, The Brautigan Library recueille avec plaisir les ouvrages refusés du monde entier. Une réponse poétique et drolatique au cloisonnement des maisons d’édition !

 

Brautigan LibraryThe Brautigan Library, ou la littérature des tiroirs ! Si les bibliothèques vous lassent de leurs noms célèbres, si vous faites collection des lettres de refus des maisons d’édition, ou si enfin vous ne désirez même pas envoyer l’un de vos manuscrits à ces établissements, sachez qu’une bibliothèque de Vancouver, dans l’État de Washington, accueillera avec joie votre manuscrit raté, incompris ou tout simplement bâclé. Enrique Vila-Matas, dans son superbe Bartleby et compagnie, l’élève au rang de véritable bibliothèque fantôme : « La Brautigan Library est exclusivement constituée de manuscrits refusés par les éditeurs auxquels ils furent proposés, mais jamais publiés. Cette bibliothèque ne rassemble que des livres avortés ». On sait aussi, dans un autre style, que l’écrivain français David Foenkinos commence son roman Le Mystère Henri Pick sur cet endroit bien particulier.

Brautigan LibraryÀ l’origine, bien entendu : l’écrivain underground Richard Brautigan, auteur notamment de La pêche à la truite en Amérique, Sucre de Pastèque ou L’avortement. C’est dans ce dernier roman, publié en 1971, que l’auteur a imaginé cette insolite bibliothèque. Située dans la fiction à San Francisco, elle est gardée par un homme qui accueille jour et nuit les manuscrits refusés par les éditeurs. En 1990, le photographe et écrivain Lockwood décide de créer physiquement cette bibliothèque à Burlington, dans le Vermont. Dans la fiction, la bibliothèque est financée par un millionnaire philanthrope. Dans la vraie vie, la Brautigan Library traverse des problèmes financiers. Après une fermeture et quelques errances, elle s’installe en 2010 à Vancouver, dans le Clark County Historical Museum.

Brautigan LibraryActuellement, the Brautigan Library comprend 304 titres pour 332 manuscrits. Le reste, faute de place, est disponible en version digitale. Apocryphes, faussaires, plagiaire par anticipation, écrivains ratés, nègres littéraires, tout le monde peut prétendre à entrer dans les murs de cette prestigieuse bibliothèque. L’œuvre en question peut avoir été refusée, ou l’auteur peut l’envoyer directement à la Brautigan Library sans passer d’abord par le refus d’une maison d’édition. Le sujet ou le genre ne sont pas des critères de sélection, ni même la qualité ! Des brouillons, notes et carnets, en somme les livres inachevés ou avortés, sont également les bienvenues. Autre référence à Brautigan : les manuscrits sont classés selon le Mayonnaise System, créé par l’écrivain lui-même et exposé dans La pêche à la truite en Amérique. Elle est la première classification depuis celle de Dewey (1876). En outre, chaque dernier dimanche de janvier, la bibliothèque Brautigan fête la journée nationale des écrivains non publiés.

Brautigan LibraryQuelle est la portée humaine, éditoriale et poétique de la Brautigan Library ? Au-delà de l’hommage, de l’humour, nous pouvons y percevoir une réflexion à propos de l’œuvre littéraire : qu’est-ce qui fait sa valeur ? Sa publication ? Est-ce l’éditeur qui arrête le texte ? Toute une littérature, celle de Brautigan notamment, désigne sa marge, regarde derrière son épaule, comme Orphée, ces « voix chères qui se sont tues ». The Brautigan Library se pose en mausolée pour les écrivains en quête de lecteurs, les oubliés de la littérature. Terminons encore une fois avec Enrique Vila-Matas et son Bartleby et compagnie :

Cela fait longtemps que je quadrille le large spectre du syndrome de Bartleby en littérature, longtemps que j’étudie cette maladie, ce mal endémique des lettres contemporaines, cette pulsion négative ou cette attirance envers le néant, qui fait que certains créateurs, en dépit (ou peut-être précisément à cause) d’un haut niveau d’exigence littéraire, ne parviennent jamais à écrire ; ou bien écrivent un ou deux livres avant de renoncer à l’écriture ; ou encore, après avoir mis sans difficulté une œuvre en chantier, se trouvent un jour littéralement paralysés à jamais.

The Brautigan Library illustre parfaitement, en ce sens, l’idée d’une « littérature du Refus ».

The Brautigan Library

 

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