Le SEW de Morlaix ouvrait officiellement ses portes au public à l’été 2021, quai du Léon, sur le port. Pour les trois acteurs locaux à l’origine de ce vaste chantier de réhabilitation de l’ancienne manufacture des tabacs en un équipement culturel inédit en France — le cinéma La Salamandre, la compagnie de théâtre Entresort et Wart, agence de booking organisatrice du festival Panoramas, c’est un nouvel aboutissement dans une aventure commune de 13 ans déjà. Elle devrait marquer aussi bien l’activité respective de ces trois associations que le paysage culturel du Finistère Nord. 

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Le Sew à Morlaix Crédit photo : Unidivers

Après plusieurs événements inauguraux ayant égayé ces trois dernières années de chantier en vue de réhabiliter une parcelle 5500 m² de l’ancienne manufacture des tabacs de Morlaix, mais aussi après les fermetures des lieux de culture due à la crise sanitaire, le SEW a pu ouvrir à l’été 2021 ses hautes portes donnant sur le port, quai du Léon. Quasiment en face du bar le Tempo et à deux pas du centre-ville. Le cinéma La Salamandre a pu lancer ses projections en juillet. Cet été aussi, la salle de spectacle a vu plusieurs concerts organisés par Wart faire vibrer ses charpentes flambant neuves, avec en apothéose une édition spéciale du festival Panoramas qui investissait encore la cour, les espaces d’exposition et même une salle de cinéma pour un concert intimiste. De son côté, le Centre National pour la Création Adaptée (CNCA), évolution de la compagnie de théâtre Entresort, a donné son premier spectacle début octobre, une création de sa troupe résidente, Catalyse.

Unidivers est parti à la rencontre des acteurs et actrices qui ont bâti durant ces 13 dernières années ce nouvel écrin de culture pour le Finistère Nord : Véronique L’Allain, directrice de la Salamandre, Thierry Seguin, directeur du CNCA, et Eddy Pierres, directeur de WART.

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Véronique L’Allain, Thierry Seguin et Eddy Pierres. Crédit : Franck Betermin

Aux origines du SEW, la réhabilitation de la manufacture des tabacs de Morlaix

En activité depuis 1740, l’ancienne manufacture des tabacs de Morlaix est définitivement fermée par la SEITA (Société nationale d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes) en 2004. Pour parer au soubresaut économique dans un territoire déjà en crise, la Chambre du Commerce et de l’Industrie (CCI) rachète le terrain, une surface de 35 000 m², pour transformer la friche en quartier de ville qui accueillerait de nouvelles activités. Assez rapidement après la fermeture de la Manu, de petites parcelles sont vendues et s’y installent des locaux privés, une école de danse, une maison d’édition et même un cabinet de kinésithérapeute. La CCI lance également les chantiers de l’hôtel d’agglomération et de l’IUT.

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Crédit photo : Unidivers

Sur le papier, l’entreprise est semblable à celle des ateliers des Capucins à Brest, ancien arsenal naval désormais lieu de vie et de culture inscrit au cœur d’un projet urbain de la métropole brestoise. Les deux sites industriels étaient les seuls du grand ouest à être classés par les monuments historiques. Fermés à quelques années d’écart, 2004 pour la Manu, 2009 pour les Capucins, ce sont deux sites patrimoniaux en bon état qui se libéraient dans la même période. De plus, il s’agit dans les deux cas de lieux bien connus des habitants, mais dont l’accès restait interdit au public. « Le tabac n’est pas une production comme les autres, et on n’entrait pas facilement dans la Manu, comme dans l’arsenal à Brest », précise Thierry Seguin.

Pour animer plus encore la Manu, la CCI convie, en 2008, deux associations morlaisiennes partageant déjà leurs locaux, Entresort et Wart, au vaste plan de réhabilitation du site. « La culture présentait l’intérêt d’être régulièrement irriguée de public. Elle pourrait donc définitivement ouvrir le site », précise Thierry Seguin. « Pendant longtemps, alors que l’activité périclitait, qu’on pouvait y rentrer, le public n’osait pas, parce que ça restait dans les imaginaires un espace fermé », ajoute-t-il.

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Crédit photo : Unidivers

L’association SEW : Salamandre, Entresort, Wart

Au départ, quand la compagnie de théâtre Entresort et l’association musicale Wart sont conviées au projet, il est question de bureaux partagés et d’une salle de répétition pour la création de spectacles, sur une superficie de 500 m². En 2010, le cinéma d’art et d’essai La Salamandre se joint à l’initiative, qui prend alors une nouvelle tournure. « Quand La Salamandre nous a rejoints, ça a donné une tout autre dimension, très intéressante. Parce qu’un cinéma, c’est ouvert tous les jours. On a alors commencé à réfléchir à une salle de spectacles, puis à des espaces accueillants comme un bar, une librairie pourquoi pas, un restaurant… », raconte Thierry Seguin. Aujourd’hui, le SEW s’étend sur 5500 m² et comprend trois salles de cinéma, une salle de spectacle modulable, une grande cour pour des concerts en extérieur, des espaces de répétition et de création, et un bar-restaurant. De quoi faire un véritable tiers-lieu de ce qui devait à l’origine être des bureaux.

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Crédit photo : Pascal Léopold

Véronique L’Allain, directrice du cinéma La Salamandre, revient sur les raisons de cette association entre structures morlaisiennes : « on avait tous des problèmes d’immobilier. Les locaux historiques du cinéma, par exemple, étaient très vétustes. Ce n’était plus adapté aux années 2000, on ne pouvait pas s’y développer ». Et Eddy Pierres, directeur de Wart, de renchérir : « on était tous les trois dans des postures ascendantes en termes d’activités, et notre inscription à Morlaix passait aussi par le fait d’avoir un projet à long terme sur le territoire ».

Complémentarité des activités culturelles, attachement au dynamisme de la région et soutien enthousiaste des collectivités désireuses de l’encourager ont fait la recette du succès de ce projet de lieu culturel inédit dans le centre-ville de Morlaix. En 2012, la Salamandre, Entresort et Wart se réunissent au sein de l’association SEW. Celle-ci signe un bail de 40 ans avec l’agglomération, qui a depuis repris le chantier à la CCI.

Un chantier d’équipement culturel inédit

Entre 2012 et 2018, les trois associations, tout en continuant leurs activités respectives, œuvrent au futur chantier du SEW. « On y a bossé tous les jours », précise Thierry Seguin. « Il a fallu mener des études pour vérifier que les bâtiments étaient convertibles, et surtout chercher des fonds », ajoute-t-il. Eddy Pierres souligne d’ailleurs le temps passé à tricoter un montage financier cohérent pour l’ensemble, ce qui fait selon lui la force du projet : « s’il avait été porté par une collectivité, il n’y aurait peut-être pas eu toutes ces strates de financement ». Il poursuit : « tout est atypique dans ce projet, dans son montage financier, dans son fonctionnement transversal qui passe aujourd’hui par la mutualisation de postes, dans sa structuration qui est restée associative. Ça a pris beaucoup de temps pour faire comprendre aux partenaires ce qui est peut-être un modèle pour le futur ».

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Crédit photo : Pascal Léopold

Le premier financeur du SEW sera l’agglomération morlaisienne, une évidence pour Eddy Pierres puisque « le projet est à la dimension du territoire et non pas seulement de la ville de Morlaix ». Puis vient l’État, à travers de multiples entrées de subventions, telles que les aides du Centre National du Cinéma (CNC) ou du Centre National de la Musique (CNM). Et si la région, le département et la ville de Morlaix participent aussi, le troisième financeur est bel et bien l’association SEW qui a contracté un emprunt de près de deux millions d’euros, entre 25 et 30 % des fonds, pour marquer son engagement au projet et au territoire. Un fait assez rare, comme le précise Véronique L’Allain : « d’habitude, des associations ne s’endettent pas pour de l’immobilier ».

Le chantier du SEW débute officiellement en 2018, après un mois de Baluche Disco Club, un lieu de vie et de fête animé par Wart. D’autres événements parsèmeront la durée des travaux, par exemple pendant l’édition 2019 du festival Panoramas. Des visites de chantier sont organisées régulièrement et accueillent jusqu’à 13 000 personnes. Les bureaux des trois associations sont installés dès le début des travaux, ce qui leur permet de suivre de près leur évolution et de participer à la conception du lieu, de concert avec les architectes, Amélie Loisel (Laab, Lannion) et Loïc Julienne (Construire, Paris). 

Ce dernier a déjà eu l’occasion de travailler sur des chantiers similaires, puisqu’on lui doit notamment le Lieu Unique à Nantes. La modernisation se veut discrète, l’objectif était de permettre une multiplicité d’usages du site tout en préservant sa structure et sa mémoire patrimoniale. « Ce bâtiment en friche, modeste dans sa rénovation brise les codes qu’on peut avoir vis-à-vis des lieux de culture, qui sont souvent ostentatoires, écrasants. Celui-ci, on le veut d’un contact simple », commente Thierry Seguin.

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Crédit photo : Unidivers

De nouvelles perspectives de développement

La rénovation de la Manu a beau laisser le bâtiment dans son jus, avec un côté inachevé ou transitoire qui semble encourager le passage, et l’appropriation, elle n’en a pas moins fait du lieu un équipement redoutable qui va permettre aux trois structures culturelles de développer grandement leurs activités respectives.

Fondé en 1981, le cinéma La Salamandre, ouvert à l’origine dans le quartier excentré de la Boissière, « coincé entre le Leclerc et le McDo », comme le précise Véronique L’Allain, va pouvoir fêter ses 40 ans avec trois salles de projection neuves, et dans des locaux à la fois accueillants et proches du centre-ville. « En plus du confort au travail pour les trois salarié. e. s, c’est un confort dans la programmation. On peut passer trois à quatre fois plus de films, les garder plus longtemps, avoir des films plus pointus, beaucoup de choses deviennent possibles ! », s’enthousiasme la directrice de La Salamandre. Une dizaine de séances quotidiennes, des rencontres avec des professionnels du cinéma, des projets de médiation culturelle à destination des publics scolaires ou empêchés, des collaborations avec le tissu associatif et culturel de la ville, des formats innovants permis par les différentes jauges des salles (50, 100 et 150 places) tels que des soirées thématiques, des ciné-goûters, ciné-concerts, des projections courtes à horaires décalés, la liste des possibilités est déjà longue. Elle continuera certainement de s’allonger au fil des idées qui naîtront du voisinage des trois structures culturelles.

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De son côté, la compagnie de théâtre Entresort a profité de l’ouverture du SEW pour se métamorphoser et devenir le premier Centre National pour la Création Adaptée (CNCA) labellisé par le ministère de la Culture. « Pour nous, c’est une révolution », commente Thierry Seguin. Et en effet, quelle trajectoire depuis la création en 1984 par Madeleine Louarn, éducatrice spécialisée, d’une troupe de théâtre amatrice au sein de l’association d’accompagnement des personnes en situation de handicap Les Genêts d’or ! La troupe Catalyse devient professionnelle en 1994, et Madeleine Louarn fonde avec Thierry Seguin la compagnie Entresort pour développer la création et diffusion des spectacles de la troupe. 

Mais le CNCA aura une tout autre ampleur. « Ça devient un équipement pérenne, une institution avec plus de moyens, qui pourra accompagner la création de nos spectacles et ceux d’autres artistes qui sont dans les mêmes pratiques, mais aussi produire de la formation, de la recherche, contribuer à l’évolution de ce secteur », précise Thierry Seguin, son directeur. Non seulement le SEW réunit des conditions idéales pour la création de spectacles en termes d’espaces (pièce de stockage, atelier de conception de costumes et d’accessoires, salles de répétition, plateau de scène), mais cette association inédite présente aussi le grand intérêt, selon lui, d’impliquer les personnes en situation de handicap de la troupe Catalyse à un projet culturel et urbain majeur. « Quand on a fait des lieux dédiés aux pratiques artistiques des personnes handicapées, on l’a fait dans des lieux à part. Là, la révolution c’est d’être au cœur du projet, avec les amis et voisins de la Salamandre et Wart », se réjouit-il.

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Quant à Wart, association musicale organisatrice du festival Panoramas à Morlaix depuis 1997, le chantier du SEW a garanti son ancrage sur le territoire. « Il faut savoir que 70 % de notre activité est dédiée à la tournée, on est producteurs de spectacles, agents d’artistes, on a un bureau à Paris en parallèle de notre installation ici », explique Eddy Pierres. « On aurait pu imaginer se décentraliser peu à peu vers Paris, car on est une exception à la règle dans notre domaine, mais c’est vraiment ce projet interdisciplinaire qui nous a retenus. La majorité de l’équipe vivant à Morlaix, c’est une façon de montrer au territoire le fruit de leur travail ». 

Déjà, parce que le SEW permet à Wart de disposer d’un espace à l’année pour proposer des concerts, et ainsi de reprendre le flambeau du club Coatelan, fermé depuis 2018, et où l’association organisait autrefois des événements. Cette programmation régulière vise à établir une relation de plus grande proximité avec le public local et à élargir l’audience de Wart en proposant des concerts dans une ligne plus large que celle de Panoramas, dédiée principalement aux musiques électroniques et au rap. Par exemple, les concerts de Renan Luce et Miossec à l’été 2021. Ou encore, celui de Jeanne Added qui avait inauguré la salle de spectacle en septembre 2020. En plus de cette dimension de diffusion, Wart pourra, à l’image du CNCA, développer son activité de création. En 2021, une dizaine de projets sont passés en résidence au SEW. Parmi eux, des locaux en passe de professionnalisation, mais aussi des spectacles “créés en pays de Morlaix” et qui auront ensuite un rayonnement national, voire international, comme celui du duo Mansfield. TYA, créé à l’occasion de leur dernier album.

Les trois structures vont aussi bénéficier de leur voisinage. D’abord, parce que certains postes salariés sont mutualisés au sein du SEW. Puis, parce que les trois équipes partagent un même étage de la Manu, où les échanges vont bon train et l’entraide est à portée de voix. « Le cinéma, c’était trois salariés au départ. Il y a des tas de services qu’on n’a pas. Par exemple, les cinémas d’art et d’essai sont très mauvais en communication en règle générale. Maintenant, à un rideau de moi j’ai un service com. entier avec qui je peux discuter, j’apprends beaucoup en les côtoyant », déclare Véronique L’Allain. Mais, au-delà de ces collaborations professionnelles, c’est le voisinage des arts qui renforce chacun. « Le point fort du SEW, c’est que le public peut y avoir une expérience multiple, voir un film, rester pour un verre, en profiter pour faire un tour à une expo », raisonne Thierry Seguin. « On a aussi constaté que quand il y a un temps fort dans une discipline, celles d’à côté en profitent », poursuit-il. Partisanes d’un lieu « aux possibilités infinies », les trois associations espèrent, par le croisement de leurs publics, et ainsi des générations, des genres et des profils, faire du SEW un véritable lieu de vie ouvert à toutes et tous.

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Un nouveau phare pour le Finistère Nord

La réhabilitation et la réouverture de la Manu devraient permettre de panser enfin la blessure de sa fermeture pour les Morlaisiens. « Ça avait été très mal compris par les habitants de voir ce lieu rester vide si longtemps », explique Eddy Pierres, directeur de Wart. Dès les visites de chantier, la population locale afflue et salue les ambitions du SEW. « On a toujours dit que c’était plus qu’un projet culturel, que c’était un projet de renaissance de ce site et du centre-ville. Ça a été très bien compris et soutenu par le monde économique, le monde associatif. On s’est sentis portés par ces soutiens », raconte Thierry Seguin. Et en effet, un équipement tel que le SEW se présente comme une potentielle solution pour revitaliser un centre-ville qui, toujours aujourd’hui, laisse voir de nombreuses enseignes vides.

Là encore, la comparaison avec l’atelier des Capucins à Brest est éloquente. Fermé en 2009, l’arsenal transformé ouvre au public en 2016. Alors que la Manu à Morlaix doit attendre une quinzaine d’années pour revivre, après sa fermeture en 2004. Un écart qui, selon Thierry Seguin, souligne « l’attractivité des métropoles et à l’inverse les difficultés des villes moyennes à vivre à proximité ». Un des principaux chevaux de bataille du SEW pendant le montage du projet était justement de convaincre les collectivités qu’il valait mieux investir sur un territoire comme celui de Morlaix, « pour ne pas creuser encore plus les inégalités », explique Eddy Pierres.

Ainsi achevé, le nouvel équipement du SEW représente un écrin de culture pour le territoire de Morlaix, susceptible d’ériger la ville en un pôle d’équilibre en regard de la métropole brestoise, selon les vœux de Thierry Seguin. « Quand on habite à Morlaix, on a l’habitude d’aller voir des spectacles à Brest. La réciprocité doit être possible. Il faut attirer les Brestois avec une offre de qualité. Et c’est ce qu’on a observé depuis les premiers mois d’ouverture. » Un avenir radieux pour la culture semble bien se dessiner sur le port de Morlaix.

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Crédit photo : Unidivers

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