Du 7 au 11 mai 2019, le TNB propose une série de représentations des Trois Brigands. Signé Tomi Ungerer et paru en 1961, ce classique de la littérature jeunesse qui hante encore nos bibliothèques enfantines est adapté à la scène par Angélique Friant et la compagnie Succursale 101 en 2017. Comédiens, danse, musique, marionnettes et ombres chinoises se marient pour donner vie à la fantasmagorie de l’album ! Unidivers a eu le plaisir de discuter de son travail avec la metteur en scène Angélique Friant.

Angélique Friant

UNIDIVERS – Les Trois Brigands est un spectacle de la compagnie Succursale 101, que vous avez fondée en 2006 et qui a la particularité de faire la part belle à la marionnette. Quelle place cette pratique tient-elle aujourd’hui dans les arts du spectacle ?

ANGÉLIQUE FRIANT – J’ai découvert la marionnette contemporaine grâce aux spectacles de la compagnie Pseudonymo, avec qui je travaille beaucoup et qui m’a formée, notamment à la technique du théâtre noir. Tout ce qui est manipulé l’est par des personnes en noir, dans des espaces noirs, donc, on ne voit pas les manipulateurs. Les personnages se mettent à bouger et à vivre sans qu’on comprenne pourquoi, et on peut dès lors invoquer des univers complètement fantastiques et transformer les corps.

La marionnette contemporaine regroupe énormément de choses parce que chaque compagnie a sa patte et va travailler sur une spécificité. Il y a eu une révolution de la marionnette à partir du moment où les autres arts s’en sont emparé. On en a davantage parlé quand on a pu commencer à jouer sur les scènes nationales. D’un seul coup, on a découvert la marionnette contemporaine, mais elle est partie des racines de la marionnette traditionnelle et a puisé dans ces racines pour en sortir de nouvelles techniques. Ce qui m’a passionné, personnellement, c’est l’univers plastique de la marionnette. J’ai adoré commencer à apprendre à construire, puis à manipuler la marionnette. Pour un comédien, passer au masque, puis à la marionnette, c’est un parcours dans l’humilité.

UNIDIVERS – Il y aurait eu une trajectoire depuis un art populaire, voire destiné aux enfants, vers une démarche plus intellectuelle ?

ANGÉLIQUE FRIANT – Très vite les enfants s’emparent de cet objet, mais les premières marionnettes ne leur étaient pas destinées. Elles servaient, au départ, à la critique politique par la caricature. Sans vouloir délaisser le spectacle pour enfants, on revendique de plus en plus la marionnette pour adultes. La marionnette est un objet dans lequel on projette ses propres peurs. On peut aller très loin, parce que ça reste un objet. Une marionnette qui se fait violer sur le plateau, on peut le faire, ça choquera moins, mais ça laissera une image beaucoup plus intense. La marionnette nous permet d’aller plus profondément à des endroits terribles. Elle a donc toujours pu se destiner aux adultes. Seulement, c’est la marionnette pour enfants qui a été principalement diffusée, et qui permettait aux compagnies de trouver des dates. Aujourd’hui encore je trouve beaucoup plus de dates avec un spectacle de marionnettes pour enfants que pour adultes. Pourtant, mes spectacles sont aussi exigeants pour les deux publics, j’y mets autant de travail. Mais dans les programmations pour enfants, il y a de la place pour les propositions pluridisciplinaires, alors que c’est difficile pour les adultes de se dire qu’un spectacle de marionnette n’est pas forcément un spectacle pour enfants.

 

UNIDIVERS – Vous êtes aussi à l’origine du Jardin Parallèle et du festival Orbis Pictus, dédiés à la marionnette…

ANGÉLIQUE FRIANT – Le Jardin Parallèle est un lieu de résidence à Reims où on accueille d’autres compagnies de marionnettistes pour créer leur spectacle. On a des ateliers de construction, un plateau de répétition et un appartement. Le festival Orbis Pictus, dont la prochaine édition approche (24-26 mai, Palais du Tau, Reims) invite une quinzaine de compagnies, régionales, nationales et internationales, à proposer des formes assez courtes, moins de 38 minutes, dans les salles du Palais du Tau, le musée de la cathédrale de Reims. Ce sont de grandes salles avec des tapisseries ou des pierres voûtées, et les spectacles entrent en résonance avec l’espace, ce qui nous permet d’avoir d’assez jolies scénographies.

UNIDIVERS – Votre spectacle Les Trois Brigands, créé en 2017, est en représentation au TNB du 7 au 11 mai 2019. Ce n’est pas la première fois que vous adaptez à la scène un ouvrage destiné à la jeunesse, qu’est-ce qui vous attire dans cette littérature et dans cette démarche d’adaptation ?

Les Trois Brigands

ANGÉLIQUE FRIANT – Auparavant j’ai adapté Petit-bleu et Petit-jaune de Léo Lionni, en 2009. Dans les albums, il y a peu de texte mais un bel univers esthétique, un univers visuel. Ce qui m’intéresse, c’est de m’immerger à l’intérieur de l’album et de rendre au plateau cet univers visuel. Pour Couac (2013), on s’est d’abord inspiré du conte du Vilain Petit Canard d’Andersen pour créer un spectacle. J’avais proposé à l’illustratrice Émilie Vast de faire les dessins du spectacle. Quand son éditrice a vu le spectacle, elle nous a demandé de créer l’album ensemble. C’était donc la démarche inverse, tout aussi intéressante.

Couac
Émilie Vast et Angélique Friant, Couac, Nantes, MeMo, 2015.

UNIDIVERS – Dans le dossier de presse des Trois Brigands disponible en ligne, vous parlez du spectacle pour jeune public comme d’un espace de liberté mais qui serait à la fois porteur de responsabilité. Comment conciliez-vous les deux sur scène ?

ANGÉLIQUE FRIANT – Les enfants viennent souvent pour la première fois au spectacle et n’ont pas forcément les codes : ils peuvent avoir peur de ce qui se trouve sur le plateau, ils n’ont pas forcément l’habitude d’applaudir… On peut travailler une dramaturgie qui n’est pas forcément linéaire, parce que les enfants n’ont pas d’attente, ce qui crée cet espace de liberté. Surtout, l’enfant a une capacité d’imaginaire importante. C’est comme un tremplin, on donne de petites impulsions et ils peuvent partir très loin dans leur imaginaire. J’essaie d’écrire un voyage sensoriel et émotionnel provoqué par les images ou la musique, et qui suit le rythme des enfants, tout en laissant une grande part à mon imaginaire et aux images que m’ont évoquées les albums, que les enfants vont reprendre et fantasmer davantage.

Quant à la responsabilité, elle se joue par rapport à ce qu’on montre. Un enfant est une éponge. Et j’aime travailler sur les peurs, c’est peut-être pour ça que je parle de la responsabilité : ça m’intéresse de travailler sur la peur parce qu’elle participe de la construction de l’enfant. Et, en même temps, on a la responsabilité de ne pas choquer l’enfant, de lui donner envie de revenir parce qu’il aura découvert des univers qui le happent, qui le font grandir. C’est une responsabilité importante, on ne peut pas parler de n’importe quoi. Ou en tout cas, on peut parler de tout, mais pas de n’importe quelle façon.

UNIDIVERS – C’est donc un espace de liberté qui a ses contraintes ?

ANGÉLIQUE FRIANT – Bien sûr. Mais est-ce qu’on ne trouve pas la liberté justement dans la contrainte ? Partir d’un album, c’est déjà se donner un cadre et des contraintes. Les contraintes, ce sont des bornes. Elles donnent un cadre. Trouver la liberté à l’intérieur d’un cadre, c’est aller bien plus loin. Et c’est ce qui est excitant de trouver la liberté à l’intérieur de ça, de ne pas faire comme les autres, de faire sa propre adaptation. Il y aurait plein de façons d’adapter Les Trois Brigands, et pourtant tout part du même album et à chaque fois on le reconnaît.

UNIDIVERS – Votre adaptation des Trois Brigands est présentée comme un voyage dans l’album de Tomi Ungerer, pourquoi avoir choisi cette destination ?

Tomi Ungerer Trois Brigands
Tomi Ungerer et les brigands.

ANGÉLIQUE FRIANT – C’est d’abord un choix de cœur. J’ai redécouvert cet album lorsqu’il m’a été offert par Uriel Barthélémi, le créateur sonore avec qui j’ai travaillé sur Couac. Ça m’a donné envie de collaborer de nouveau avec lui et je lui ai proposé d’adapter cet album ensemble. J’ai travaillé sur l’univers visuel, sur la dramaturgie, lui a fait la création sonore. Pour Couac, je lui faisais des demandes. Pour Les Trois Brigands, comme c’est un album qu’il aime beaucoup et qu’il rêvait de monter, il a fait beaucoup plus de propositions. Il a invité les musiciens qu’il souhaitait, Michel Godard au serpent et au tuba, Pierre Lainé à la clarinette. Uriel a composé pour eux, les a enregistrés, et ça participe vraiment de l’univers du spectacle.

UNIDIVERS – Aviez-vous un rapport particulier à cet album ou à son auteur, Tomi Ungerer ?

ANGÉLIQUE FRIANT – Je l’ai beaucoup lu, je me suis aussi amusé à voir ce qu’il avait fait pour les adultes. Mais tout ça, je l’ai découvert, pour la plupart, après avoir eu l’envie de monter Les Trois Brigands. C’était surtout cet album que je connaissais au départ. Ce qui m’intéressait beaucoup, c’est l’idée de recueillir, d’être la terre d’accueil que constituent les trois brigands, cet endroit où tous les enfants abandonnés peuvent se retrouver et vivre heureux.

Les Trois Brigands

UNIDIVERS – Comme lorsqu’ils viennent assister à un spectacle pour enfant, celui des Trois Brigands par exemple ?

ANGÉLIQUE FRIANT – Ça peut être joli de l’imaginer comme ça. Ce qui est intéressant pour les enfants, c’est qu’au début, ils ont peur des trois brigands. Le spectacle commence avec une image dans le noir. J’aurais pu mettre de la lumière, mais je préfère garder le noir et titiller cette peur. On place les enfants dans la situation de Tiffany, la petite fille qui raconte l’histoire. Elle est avec trois énormes chapeaux, elle a peur des brigands. Et puis, au fur et à mesure de l’histoire, on les aime, à la fin on n’a plus peur d’eux. En revivant les souvenirs de Tiffany, comment elle passe de la peur à l’envie d’être avec eux et de rester avec eux, on place les enfants dans le même parcours émotionnel qu’elle.

Les Trois Brigands

UNIDIVERS – C’est un spectacle qui parle de rédemption ?

ANGÉLIQUE FRIANT – De transformation en tout cas. Je ne sais pas si j’irais jusqu’à la rédemption parce que j’aime laisser libre cours à chacun d’imaginer pourquoi les brigands volent. En tout cas, ils amassent. Mais dès qu’on leur ouvre la possibilité d’utiliser l’argent à bon escient, ils le font. Tiffany représente la générosité : elle offre aux trois brigands le pouvoir d’être des hommes qui vont faire le bien et partager. Au cours du spectacle, leurs armes deviennent des instruments de musique. C’était une façon pour moi de décrire subtilement cette transformation.

UNIDIVERS – Il existe des adaptations cinématographiques des Trois Brigands, vous êtes vous appuyée sur ces précédents ?

ANGÉLIQUE FRIANT – On les a regardés plusieurs fois avec Uriel. Ce qui nous intéressait était de voir comment ils avaient mis en mouvement les personnages et quel type de musique ils avaient choisi. On est d’ailleurs partis dans une direction complètement différente au niveau sonore. Ça excitait beaucoup Uriel de pouvoir proposer une autre proposition sonore.

Les Trois Brigands (The Three Robbers), court-métrage réalisé par Gene Deitch, produit par Weston Woods Studios INC en 1972.

Les Trois Brigands (Die drei Räuber), film d’animation allemand écrit et réalisé par Hayo Freitag, produit par Animation X et sorti en salles en 2007.

UNIDIVERS – Selon vous, le spectacle vivant apporte-t-il quelque chose de plus par rapport à ces précédentes adaptations à l’écran ou à l’album ?

ANGÉLIQUE FRIANT – De plus, je ne sais pas. De différent sans doute. L’album est important. Tenir un livre entre ses mains, toucher le papier… D’ailleurs, j’espère que les enfants qui ne lisent pas et qui assistent au spectacle auront envie d’avoir un album dans les mains, ne serait-ce que pour voir les différences.

Ce qui m’intéresse c’est l’immersion à l’intérieur de l’album, de pouvoir à un moment être happé et avoir l’impression de vivre l’histoire en direct.

UNIDIVERS – Cette immersion est-elle facilitée par le mélange des arts au sein du spectacle ? Il y a notamment une place importante de la marionnette…

ANGÉLIQUE FRIANT – Dans tous mes spectacles, il y a des comédiens et des marionnettes, ou des objets, avec de la magie, de la vidéo. Au début des Trois Brigands, des chapeaux géants cachent les personnages. On retrouve les formes et les couleurs de l’album. Et d’un seul coup, on passe à quelque chose qui se met en vie, et je n’aurais pas cette possibilité sans les marionnettes. Ensuite, les personnages passent en ombre, il y a tout un travail autour du théâtre d’ombre, de la vidéo, de la lumière. Ce sont autant d’outils qui permettent d’aller au plus près de l’esthétique de l’album tout en jouant sur l’imaginaire.

Les Trois Brigands

UNIDIVERS – Merci à vous, Angélique Friant…

Les Trois Brigands au TNB

Représentations :

MAR 07 05 18h00
MER 08 05 15h00
MER 08 05 18h00
JEU 09 05 9h30
JEU 09 05 11h00
JEU 09 05 18h00
VEN 10 05 9h30
VEN 10 05 11h00
VEN 10 05 18h00
SAM 11 05 15h00

SAM 11 05 18h00

 

SALLE SERREAU
DURÉE 45 MIN
À PARTIR DE 4 ANS

Mise en scène
ANGÉLIQUE FRIANT
Assistée de
MARIE VIVIER ET JADE COLLET
Scénographie
SARAH GRANDJEAN
Musique
URIEL BARTHÉLÉMI
Musiciens
MICHEL GODARD ET PIERRE LAINÉ
Costumes
JENNIFER MINARD

Avec
CHIARA COLLET
AUDREY DUGUÉ
FRÉDÉRIC JEANNOT

Production : La Compagnie Succursale 101.
Coproduction : La Scène Watteau – scène conventionnée de Nogent-sur-Marne avec les soutiens de Théâtre Paris-Villette ; Centre de la marionnette de la fédération Wallonie-Bruxelles (Belgique) ; Scène nationale de Dieppe ; le Jardin Parallèle ; le Conseil régional Grand Est ; le Conseil départemental de la Marne ; la Ville de Reims avec le soutien du Conseil départemental du Val-de-Marne, dans le cadre de l’aide à la création.

Jean Gueguen
J'aime ma littérature télévisée, ma musique électronique, et ma culture festive !

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