Nous rentrerons ensemble : Suzanne et Simone, une amitié à Ravensbrück

Suzanne et Simone

Stéphanie Trouillard, journaliste à France 24, est spécialisée dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Elle propose une nouvelle enquête à l’occasion de la Journée nationale du souvenir des victimes de la déportation ce dimanche 27 avril 2025, et notamment pour les 80 ans de la libération du camp de concentration de Ravensbrück le mercredi 30 avril prochain. France 24 publie ce nouveau long format Nous rentrerons ensemble, Suzanne et Simone, une amitié à Ravensbrück…

Le documentaire de Stéphanie Trouillard est consacré à deux résistantes françaises : Suzanne Bouvard, une jeune Bretonne et Simone Séailles, une résistante parisienne. Toutes deux se sont liées d’amitié dans l’enfer du camp nazi de Ravensbrück en Allemagne, le plus grand camp de concentration réservées aux femmes, où elles ont été 8 000 à être déportées au départ de la France. Au total, plus de 120 000 déportées d’une vingtaine de nationalités sont passées à Ravensbrück jusqu’en 1945.

 Suzanne et Simone

Stéphanie Trouillard et la journaliste Claire Paccalin se sont rendues en Bretagne, en Allemagne et en République Tchèque sur les traces de ces deux femmes déportées.

Suzanne Bouvard est née à Saint-Marcel dans le Morbihan le 27 septembre 1918 au sein d’une fratrie de huit enfants. Son père est colonel de l’armée française et conseiller municipal. La famille participe activement à la vie de la communauté et Suzanne Bouvard enseigne le catéchisme aux enfants de l’école du village. Elle sera ensuite monitrice d’enseignement ménager.

Au printemps 1944, alors que la France est occupée depuis quatre ans, la jeune femme de 26 ans est fiancée à Daniel et prépare son mariage. Hélas son destin va basculer au mois de juin ! Elle plonge brutalement dans le conflit quand le maquis de Saint-Marcel devient un épicentre de la résistance en Bretagne. Ce lieu sert depuis plusieurs mois de terrain de parachutage secret pour les membres de la France libre, venus de Londres et qui font partie d’une unité d’élite sous commandement britannique : le Special Air Service (SAS) ; le maquis de Saint-Marcel a été choisi aussi comme point de ralliement pour tous les FFI (Forces françaises de l’intérieur) du Morbihan.

Dès le 7 juin, la famille Bouvard accueille les premiers blessés du maquis. Suzanne, qui est maintenant infirmière à la Croix-Rouge, leur porte secours : elle prend en charge un blessé qui a reçu une balle dans le pied ; elle soigne un parachutiste touché par balle au poumon et parvient à le sauver, etc.

Au cours de la terrible bataille de 18 juin 1944, une intense fusillade éclate aux abords du manoir Sainte-Geneviève, propriété de la famille Bouvard, devenu un poste de secours important que les Allemands mitraillent de partout ! Le lendemain, ils perquisitionnent Sainte-Geneviève, où ils ont trouvé des pansements anglais : Suzanne Bouvard et sa cousine Annic Philouze secouriste pour la Croix-Rouge sont arrêtées puis conduites en direction de la prison de Nazareth, à Vannes.

Conduites auprès de Feldgendarmes (la police militaire allemande), elles sont rouées de coups ; Annic en perd même connaissance ! Elles sont ensuite remises aux mains de la Gestapo et sont à nouveau interrogées. Les deux cousines, habituées jusque-là à la vie de manoir, sont emprisonnées dans une cellule où polluent les punaises ! Deux semaines plus tard, elles apprennent qu’elles vont quitter la Bretagne. Le 1er juillet 1944, à 5 h du matin, elles font partie d’un groupe d’une dizaine de femmes et envoyées à la gare de Vannes pour monter dans un wagon à bestiaux 

 Suzanne et Simone

Le 10 juillet, le convoi arrive au camp de Royallieu, à Compiègne, dans l’Oise, la dernière étape avant l’enfer des camps de la mort ! En effet, le 18 juillet, c’est l’heure d’un nouveau rassemblement avec des conditions de transport très difficiles : les détenues sont serrées comme des sardines, manquent de nourriture et la chaleur est insupportable avec des odeurs nauséabondes. Dans la nuit du 20 au 21 juillet, la frontière franco-allemande est franchie. À Sarrebruck, l’ordre est donné de descendre. Les résistantes sont brutalement conduites à pied au camp de Neue Bremm, géré par la Gestapo. C’est une plongée dans l’enfer concentrationnaire qui commence… 

 Suzanne et Simone

Le trajet de 72 heures dans des wagons à bestiaux est un nouveau calvaire. Le 31 juillet à 6 h, leur destin est scellé. Elles franchissent la lourde grille du camp de Ravensbrück cerné de miradors. Mises nues, les deux cousines, comme toutes les autres, sont bousculées et humiliées avant d’être tatouées d’un numéro de matricule : 47 329 pour Suzanne, 47 372 pour Annic ; elles rejoingnent le bloc 23 et l’enfer commence avec tous les jours le même profil et une discipline très stricte :  lever 3h30 ; jus de café ; séance d’appel interminable debout pendant des heures ; travail à la construction d’une bâtisse en bois, où il faut porter de lourdes charges de 6 h à 18 h ; courte pause avec filet de soupe ; remplir et pousser des wagonnets de sable au rythme de la schlague des gardiens ; extraire de la tourbe ; de nouveau l’appel sans fin le soir ; maigre repas. La soirée se passe à tenter d’enlever les poux sur les paillasses où elles doivent coucher à plusieurs.

Suzanne et Simone

Le 14 août 1944, les cousines changent de camp : Neu Brandenburg. Elles doivent coudre sur leur tenue rayée de déportées leur matricule et un triangle rouge, symbole des prisonniers politiques. Les coups de cravache s’abattent sur leurs corps déjà éreintés. Elles ne sont plus humaines ; elles sont devenues des automates conscientes que le droit de mourir en paix leur est refusé, n’ayant plus que le droit de crever d’épuisement et de souffrances…

Dans ce monde de folie et d’horreur, Suzanne Bouvard et Annic Philouze font cependant connaissance avec d’autres déportées ; parmi elles, il y a Simone Séailles, une jeune fille vive, élancée, aux yeux noirs expressifs et chaleureux ; cette Parisienne de 27 ans a été arrêtée en janvier 1944 parce qu’elle était agent de liaison du réseau Sylvestre-Farmer chargé d’opérations de sabotage dans le nord de la France. Diplômée de l’École supérieure de physique et de chimie industrielles, son nom de code dans la résistance est Violette

 Suzanne et Simone
Suzanne Bouvard, Simone Séailles et Annic Philouze.

Au fil des semaines, un sentiment indéfectible lie les trois jeunes femmes, et plus encore entre Simone et Suzanne. Cette amitié va les sauver de la barbarie, car les conditions de vie se durcissent encore : réveil à 3 h et appel de 4 h à 6 h ; le froid de l’hiver est là ! Elles sont maintenant affectées au déblayage d’un terrain d’aviation, puis en usine pour remplacer la main-d’œuvre allemande manquante, un travail dur et toujours debout ; leurs forces s’amenuisent…

Face à l’avancée des troupes alliées début 1945, elles creusent des tranchées antichars dans un froid mordant descendant jusqu’à -20° degrés. En mars 45, les deux cousines sont séparées…

 Suzanne et Simone retournent à Ravensbrück le 25 mars, tandis qu’Annic reste à Neu Brandenbourg. Mais deux jours plus tard, les voilà à nouveau dans un wagon, un voyage terrible sans boire, où elles assistent à la mort de plusieurs de leurs camarades de misère. Le 1er avril 1945, les portes du wagon s’ouvrent et les rescapées arrivent dans le camp de Neu Rohlau en République Tchèque. Il faut maintenant travailler dans une usine de porcelaine destinée à l’armée allemande et participer à la réalisation d’armement pour l’aviation allemande. Le camp est dirigé par une Russe. À quelques kilomètres, les combats font rage entre l’armée allemande et l’Armée rouge. Suzanne Bouvard est hospitalisée à deux reprises à cause d’une forte fièvre, mais Simone Séailles est toujours bienveillante à ses côtés. Le 22 avril, c’est l’évacuation du camp. Suzanne tient à peine debout, pourtant il faut marcher dix kilomètres jusqu’à la gare de Karlsbad. Simone la soutient à bout de bras. La faim se fait encore sentir ! Des femmes tchèques, émues de pitié, tendent des pommes de terre crues aux déportées, qui affamées se jettent dessus ! Plusieurs de leurs camarades meurent sur la route.

Le 31 avril, elles ne sont plus que cinq Françaises encore en vie. Elles sont libérées le 5 mai à Theresienstadt dans le gheto destiné aux juifs. Suzanne se sent un peu mieux, mais Simone souffre de problèmes respiratoires et de dysenterie. À peine a-t-elle retrouvé la liberté, que Simone Séailles s’éteint. Suzanne Bouvard est inconsolable ! Elle fait seule le chemin du retour vers la France après un mois d’hospitalisation. Elle pèse 32 kilos et passe deux mois sans pouvoir marcher…

Quand à La cousine de Suzanne Bouvard, Annic Philouze, elle est libérée le 5 juin 1945, et rejoint l’hôtel Lutétia de Paris qui est réquisitionné pour l’accueil des déportés, par le Général-de-Gaulle. Après la guerre, Annic Philouze devient vierge consacrée, vivant dans la contemplation. Elle est décédée en décembre 2017, à l’aube de son 100e anniversaire.

Pendant des décennies, la Bretonne Suzanne Bouvard a gardé le silence sur ce douloureux passé. Ce n’est qu’à l’âge de 73 ans, qu’elle se livre pour la première fois en 1991 sur son expérience durant la Seconde Guerre mondiale face à des collégiens en classe de troisième dans le Morbihan. Elle énumère les différentes catégories de déportés : ceux pour motifs raciaux, d’autres pour délits d’opinion et pour faits de résistance, comme elle qui a été arrêtée pour avoir porté secours à des maquisards et des parachutistes de la France libre.  Quarante-six ans après la mort de Simone Séailles, la peine qu’elle confie aux élèves est toujours aussi grande. Devant eux, l’ancienne déportée fend un peu l’armure et fait part de ses sentiments, alors que son amie a donné sa vie pour elle…

 Suzanne et Simone
Simone Séailles avant la guerre

Le Web documentaire montre ensuite la vie de Suzanne Bouvard après la guerre : sa vie de femme, mère de quatre enfants, sa culture de vergers avec ses objectifs pour défendre les agricultrices d’une part et son travail de mémoire d’autre part ; elle œuvre activement à la création du musée de la Résistance en Bretagne, sur les lieux même de la bataille du 18 juin 1944. 

Suzanne Bouvard s’éteint le 23 octobre 1992, victime d’un AVC…

Ce documentaire multimédia est disponible en français et en anglais depuis le 25 avril 2025, et illustré de nombreuses archives, raconte cette tragique histoire d’amitié, née au cœur de la déportation.

 Suzanne et Simone
Martine Gatti
Martine Gatti est une jeune retraitée correspondante de presse locale dans le pays de Ploërmel depuis bien des années.