Si le végétarisme et le véganisme sont des sujets de société très en vogue en ce XXIe siècle, ces manières de vie et de pensée sont vieilles comme le monde. La question de la consommation animale est posée avec clarté et précision dès l’Antiquité par les plus grands penseurs.

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Le jeune chercheur Renan Larue nous le rappelle avec clarté et brio et s’attarde en particulier sur les débats entre végétarisme et carnisme qui ont animé le Siècle des Lumières dans un bel essai paru au printemps 2019 intitulé Le Végétarisme des Lumières : l’abstinence de viande dans la France du XVIIIe siècle.

PYTHAGORE
Pythagore (env. 580 av JC-495 av JC)

Pythagore, mathématicien et médecin mais aussi philosophe – « Le Sage de Samos » dit-on de lui -, fut un apôtre de la douceur, de la bienveillance et de la tempérance et le premier à dénoncer le traitement barbare réservé aux animaux – « Ne sois le despote de personne, pas même de ton chien » lui a-t-on fait dire – . Les disciples qu’il a su convaincre ne mangeaient ni viande ni poisson. Et il ne fut pas le seul, Ovide dans les Métamorphoses le clamait aussi :

Abstenez‐vous, mortels, de souiller vos corps de mets abominables. Vous avez les céréales, vous avez les fruits, dont le poids fait courber les branches, et, sur les vignes, les raisins gonflés de jus ; vous avez des plantes savoureuses et d’autres que la flamme peut rendre douces et tendres ; ni le lait, ni le miel, qu’a parfumé la fleur du thym, ne vous sont interdits ; la terre, prodigue de ses trésors, vous fournit des aliments délicieux. 

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Les philosophes français des Lumières, à leur manière, se sont emparés de la question du végétarisme. Voltaire et Rousseau en particulier mais aussi Condorcet, Bernardin de Saint-Pierre, Maupertuis ou encore Sade ont tous mis en avant ce mode alimentaire, pour des raisons de diététique et de rejet d’une gastronomie malsaine d’abord, par rejet également de la théorie des animaux-machines de Descartes et de l’anthropocentrisme de l’Église, et par élémentaire et humaine compassion, enfin, pour le sort fait aux animaux.

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Au XVIIIe siècle, une question philosophique anime les débats : est-il mal de tuer les bêtes ? Face à une partie de la population qui assiste avec enthousiasme à des combats d’ours, de lions, de tigres et de taureaux et organise dans la liesse des massacres de chats, la société éclairée qui se sentait de plus en plus d’intérêt et d’affection pour les animaux clame son dégoût et sa révolte. Sébastien Mercier dans son Tableau de Paris nous dit son émotion devant le spectacle de l’étal du boucher, « homme féroce et sanguinaire, l’œil rouge, le tablier ensanglanté… ». Diderot n’est pas en reste : « Ce sont gens violents, indisciplinables, dont la main et les yeux sont accoutumés au sang. » Parlant lui aussi de la boucherie, Voltaire condamne « ce carnage dégoûtant, étalé sans cesse dans nos boucheries et dans nos cuisines. » La chasse n’est pas mieux lotie et le philosophe de Ferney voit dans les chasseurs « des sots et des imbéciles ». Voltaire ajoute enfin : « Tous les animaux ont du sentiment comme moi (…), ils ont les mêmes facultés que nous (…), l’homme a reçu plus de talents du grand Être et rien de plus. »

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L’Inde, terre du respect animal, du végétarisme et de la non-violence, attire l’attention du philosophe de Ferney. Les Indiens se font « un crime d’égorger un animal » écrit-il. Le végétarisme des Brahmanes le tentait beaucoup au point d’envisager d’aller vivre sur cet autre continent. Sa santé fragile le fit vite renoncer au projet.

ROUSSEAU

Jean-Jacques Rousseau est l’écrivain qui aborde en France la question du végétarisme avec le plus de conviction et de force. Ce mode de vie et de pensée répond en effet exactement à son système philosophique. Dès 1755, dans son Discours sur l’inégalité, il affirme qu’il faut

tirer l’homme de la classe des animaux carnassiers et le ranger parmi les espèces frugivores.

Tout l’édifice anthropologique et moral de l’écrivain repose sur le végétarisme, « clé de voûte du système rousseauiste » (Renan Larue). Dans l’Émile, Rousseau insiste :

Une des preuves que le goût de la viande n’est pas naturel à l’homme est l’indifférence que les enfants ont pour ces mets-là et la préférence qu’ils donnent tous à des nourritures végétales telles que le laitage, la pâtisserie, les fruits.

Manger de la viande nous porte même à la férocité et à la perversion de notre nature, insiste Rousseau dans ce même texte, alors que les nourritures végétales rendent les humains plus doux. Rousseau herborisa, mais jamais ne fut tenté d’être anatomiste « avec ses cadavres puants, de baveuses et liquides chairs, du sang, des intestins dégoûtants, des squelettes affreux. » Halte à la barbarie !

Le Végétarisme des lumières - Renan Larue

Jean-Jacques Rousseau, nous dit Renan Larue, est de tous les penseurs du siècle

celui qui examine avec le plus d’attention le végétarisme. Grâce à lui, ce régime suscite l’intérêt d’une partie non négligeable désormais de la population, et non plus seulement celui des philosophes et des naturalistes, à travers Julie de la Nouvelle Héloïse et l’Émile, Rousseau a considérablement popularisé le végétarisme en France, et quarante ans avant l’utilitariste Jeremy Bentham, le voisin anglais.

VEGETARISME
Pieter Aertsen (1508-1575)

Le débat restera vif entre partisans et adversaires. Face aux végétariens, les « carnistes » avancent plusieurs types d’arguments : l’affirmation du droit du plus fort et l’ascendant des facultés intellectuelles de l’homme sur l’animal, la nécessité biologique de la consommation de viande, l’incapacité des bêtes à souffrir autant que les hommes… Les tenants du végétarisme en conviennent : « la nature est malheureusement forcée d’être barbare » concède Sébastien Mercier. Tout comme Voltaire qui écrit :

Ce qui est encore plus cruel c’est que dans cette horrible scène de meurtres toujours renouvelés, on voit évidemment un dessein formé de perpétuer toutes les espèces par les cadavres sanglants de leurs ennemis mutuels. Ces victimes n’expirent qu’après que la nature a soigneusement pourvu à en fournir de nouvelles. Tout renaît pour le meurtre. 

À la sortie du XVIIIe siècle, la querelle n’a pas mis à mal pour autant, loin s’en faut, le végétarisme. S’il en fallait une preuve, c’est chez Alphonse de Lamartine qu’on la trouverait, conclut Renan Larue. Sa mère Alix, très influencée par Rousseau et ses théories de l’éducation, éleva son fils dans les règles alimentaires et morales prônées par le philosophe savoyard. Dans ses Confidences publiées en 1857, Alphonse de Lamartine le dit clairement :

Physiquement cette éducation découlait beaucoup de Pythagore et de l’Émile. Ainsi, la plus grande simplicité de vêtement et la plus rigoureuse frugalité dans les aliments en faisaient la base. Ma mère était convaincue, et j’ai comme elle cette conviction, que tuer les animaux pour se nourrir de leur chair et de leur sang est une des infirmités de la condition humaine ; que c’est une des malédictions jetées sur l’homme soit par sa chute, soit par l’endurcissement de sa propre perversité. Elle croyait, et je le crois comme elle, que ces habitudes d’endurcissement de cœur à l’égard des animaux les plus doux, nos compagnons, nos auxiliaires, nos frères de travail et même en affection ici-bas ; que ces immolations, ces appétits de sang, cette vue des chairs palpitantes sont faits pour brutaliser et endurcir les instincts du cœur. (…) Ma mère allant à la ville me mena avec elle et me fit passer, comme par hasard, dans la cour d’une boucherie. Des ruisseaux de sang fumaient çà et là sur le pavé. Une profonde pitié mêlée d’horreur me saisit (…). L’idée de ces scènes horribles et dégoûtantes, préliminaires obligés d’un de ces plats de viande que je voyais servi à table, me fit prendre la nourriture animale en dégoût et les bouchers en horreur. 

La Révolution fut un moment important et révélateur de la prise de conscience des populations sur la condition animale. Le jacobin François Boissel proposa en 1793 un projet de Constitution accordant une place centrale aux animaux et à l’équilibre naturel dont ils sont des acteurs essentiels. Saint-Just, de son côté, proposera que

les enfants ne mangent pas de chair avant seize ans accomplis et ne vivent que de racines, de fruits, de laitages, de pain et d’eau.

Le végétarisme correspond bien au désir de régénérer l’être humain et d’œuvrer à une refondation complète de la société, nous dit Renan Larue.

En 1804, hélas, le Code civil napoléonien, dans ses articles 522 et 528, a fait des animaux de vulgaires objets meubles et immeubles. Il a fallu attendre février 2015 pour que ces deux articles disparaissent sous cette forme. Depuis cette date, une nouvelle rédaction du Code précise que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. » Le droit civil français semble désormais intégrer la dimension affective de la relation entre l’homme et les animaux et aider ainsi à condamner plus facilement les maltraitances qui leur sont faites. Victoire, entre autres, des végétariens ?

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Tableau explicatif issu du compte twitter @JeProfite2LaVie

 

Le Végétarisme des Lumières : l’abstinence de viande dans la France du XVIIIe siècle, par Renan Larue, Paris, Classiques Garnier, 29 mai 2019, coll. L’Europe des Lumières, n°62, index et bibliographie, ISBN978-2-406-08709-0, prix 22 euros.

 

Renan Larue

Renan Larue, spécialiste du végétarisme et du véganisme, est professeur de littérature française à l’université de Santa Barbara (Californie). Son livre est clair, instructif, et passionnant de bout en bout.
Il est l’auteur en 2014 d’une petite anthologie des textes que Voltaire a consacrés au végétarisme (Fayard/Mille et une nuits). Il a également fait paraître aux Presses Universitaires de France, Le Végétarisme et ses ennemis : Vingt-cinq siècles de débats. Ce dernier livre retrace la querelle qui oppose les carnistes aux végétariens et véganes, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours.

 

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