L’éloquence est l’art de toucher, convaincre ou persuader par le discours. Lancée en 2018, la Journée Éloquence du lycée Saint-Vincent (Rennes) invite les élèves de première à se confronter à l’utilisation des mots sous le regard d’intervenants professionnels. À l’initiative de lycéens inspirés du documentaire à succès À voix haute (2017), cet événement propose aux lycéens, en prévision des oraux du bac, une plongée au cœur de la langue et de son maniement.

Le 28 janvier 2019, les élèves de première du lycée privé Saint-Vincent ont vu leurs cours banalisés au profit d’une « Journée Éloquence ». Deuxième édition de l’événement, elle a été organisée par deux élèves de premières, membres du BDE. L’objectif affiché : permettre aux élèves d’appréhender l’importance de la parole et de comprendre sa place dans tous les domaines professionnels. Dans une ambiance décontractée, les élèves comme les professionnels se sont franchement prêtés au jeu.

Notre reportage

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A voix haute

Si l’art de l’éloquence a actuellement le vent en poupe, c’est en partie grâce au documentaire À voix haute de Stéphane de Freitas. Sorti en salle en 2017, on y découvrait le concours « eloquentia » qui, à l’Université de Saint-Denis, vise à élire le « meilleur orateur du 93 ». En vue de ce concours, les étudiants participants se préparent toute l’année auprès de professionnels (avocats, slameurs, metteurs en scène…) afin de développer leurs capacités d’allocution. Le film a connu un succès notable pour un documentaire (191 000 entrées en cinéma et 560 000 téléspectateurs sur France 2) et un goût pour l’éloquence a depuis refleuri, ici et là. Comme au lycée Saint-Vincent.

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C’est après avoir vu ce film qu’Élise Torché, élève de première ES l’an passé, se propose d’organiser une Journée Éloquence pour ses camarades de première, au lycée Saint-Vincent. Malgré quelques réticences de l’administration, elle parvient en solitaire à réunir une quinzaine d’intervenants et à convaincre ainsi le lycée de s’intéresser à son projet, devenu réalité en janvier 2018.

Un an après, rebelote pour la seconde édition, avec deux nouveaux organisateurs : Aymé Proust et Marie-Cléophée Lebossée, tous deux élèves de première. La Journée Éloquence 2019 fût précédée d’une projection du documentaire À voix haute en présence de tous les élèves de première. Un film qui, selon les nouveaux porteurs du flambeau, « ne peut pas laisser insensible » et encouragerait les plus réticents de leurs camarades à donner de la voix. Cerise sur le gâteau lors de la projection : Loubaki Loussalat (slameur) et Eddy Moniot (comédien), deux éminents personnages du documentaire de Stéphane de Freitas, étaient présents, générant l’enthousiasme et les applaudissement des lycéens [voir notre reportage vidéo].

Premières paroles

Aymé et Marie-Cléophée soulignent l’importance que peut avoir l’enseignement de l’art oratoire pour des lycéens, en particulier pour les élèves de première : « C’est une année où on a tout particulièrement besoin d’apprendre à s’exprimer. On a les oraux de T.P.E et ceux de Français à la fin de l’année ». Pourtant décisifs pour l’obtention du baccalauréat, ces oraux ne font généralement pas l’objet d’un apprentissage pratique de l’allocution, laissant les élèves à la merci de leur propre timidité, leur vocabulaire ou leurs manières de s’exprimer parfois inadaptées à ce qui est attendu d’eux.

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Marie-Cléophée Lebossée, co-organisatrice de la Journée Éloquence 2019
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Aymé Proust, co-organisateur de la Journée Éloquence 2019

De plus, les lycéens organisateurs soulignent l’importance que revêt la maîtrise du langage dans des domaines extra-scolaires. Pour eux, il ne s’agit pas que d’un chemin vers la réussite scolaire mais d’un outil du quotidien : « C’est savoir adapter ses mots pour traduire sa pensée », énonce Elise, « Ça se joue tous les jours, dans la vie professionnelle mais aussi personnelle. Une pensée ça se formule ; les mots ont un sens. En face de nous on a des êtres humains qui ressentent les mots. On ne peut pas dire n’importe quoi à n’importe qui, il faut adapter son discours. »

En organisant une journée comme celle-ci, Aymé et Marie-Cléophée ont dû surpasser leur statut d’élève : « Ça m’a donné confiance en moi. Moi qui suis assez timide j’ai du faire face à l’imprévu, appeler des gens que je ne connaissais pas (…) et prendre des responsabilités », confie Marie-Cléophée. Aymé renchérit : « Ça a été 4 mois de travail. (…) On a dû gérer la présence d’une quinzaine d’intervenants et de 200 élèves… ça nous a demandé d’être éloquents, nous aussi ! »

Les pro’ de la parole

Aymé et Marie-Cléophée ont notamment dû batailler pour trouver 16 intervenants acceptant d’animer bénévolement des ateliers.

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Atelier d’Elodie Cohen-Morvant – « L’éloquence : l’art de séduire »

De tous horizons professionnels, les intervenants avaient la particularité commune d’avoir à user d’éloquence au quotidien dans le cadre de leur métier. Avocat, comédien, conseiller municipal, professeur (etc.), ils ont chacun dirigé deux ateliers (un le matin, l’autre l’après-midi) sur une thématique ayant trait à l’expression orale. Les élèves de première, réunis en groupes d’une quinzaine d’élèves ont donc pu s’initier au théâtre, à la plaidoirie, à la lecture oralisée, à la parole politique (etc.) et poser leurs questions aux professionnels venus partager leur expérience. Loubaki Loussalat, slameur, a par exemple mené un atelier intitulé « Poétiser son discours » tandis que Pascal Roignau, comédien, proposait de se pencher sur la tirade de Cyrano lors de son atelier « Du nez dans la voix ».

La fin de journée fût l’occasion d’une mise en commun improvisée, durant laquelle les élèves pouvaient, s’ils le souhaitaient, présenter le fruit de leurs travaux du jour devant leurs camarades réunis en amphithéâtre. Le tout s’est déroulé dans une ambiance bon enfant, appliquée et détendue. Réclamés par l’amphithéâtre, Eddy Moniot et Loubaki Loussalat ont conclu cette journée de prise de parole par des textes poétiques, inspirés du quotidien, qui ont visiblement touché les élèves (si l’on s’en tient à l’applaudimètre).

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Eddy Moniot, comédien et personnage du film A voix haute a dirigé un atelier sur l’improvisation.

« La parole est une arme, les accents tuent » (Eddy Moniot)

Du fait du succès de cette journée et de sa possible réédition l’an prochain, certains questionnements méritent d’être soulevés.

Si l’éloquence a des vertus intrinsèques évidentes que des élèves pourront réemployer lors de leurs examens oraux (clarté du discours, talent de convaincre, création d’émotions par le verbe), peut-elle vraiment être abordée de but en blanc, sans une part d’éclaircissement philosophique en rapport à son usage ? Cicéron par exemple, en fin orateur, disait à ce propos : « Un orateur ne vient pas à la tribune pour se servir d’une cause, mais pour la servir ». Si beaucoup d’ateliers sont parvenus à cette fin, d’autres semble ne s’être préoccupés que de faire dire quelque chose – qu’importe quoi – à chaque élève. Une parole, aussi stylisée soit elle, a-t-elle un sens si elle ne sert pas une valeur réelle, un point de vue argumenté ou encore la recherche d’une émotion justifiée par une cause ? Une journée de l’éloquence ne devrait pas devenir la journée de « l’expression à tout prix » mais s’affirmer en tant que première approche d’une discipline immensément large, profonde et engagée.  Car n’est-il pas vain d’enseigner à des lycéens la parole sans les mettre en même temps face aux responsabilités qui découlent de ce pouvoir de discourir ?

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Atelier de Pascal Roignau – « Du nez dans la voix »

« L’éloquence est quelque chose de plus grand qu’on ne le pense, qui demande une immense réunion d’études et de talents. » Cicéron

Aussi, faire rire n’est pas convaincre, émouvoir n’est pas persuader. En atelier ou lors de la mise en commun de fin de journée, il fut parfois difficile de différencier ce qui relevait de l’art oratoire de ce qui relevait du spectacle ou de la pure rhétorique. L’épreuve d’expression a parfois tourné à la démonstration d’excentricité, qui a davantage à voir avec la mise en scène de soi (propre à cet âge, bien sûr) qu’avec l’art du discours. Cette possible dérive de l’éloquence vers le show, déjà très présente dans notre société, aurait mérité d’être davantage remarquée et pointée par certains intervenants afin que la démarche oratoire ne se noie pas dans la vanité, celle de l’absence de chose à dire ; de véritable discours.

Buste de Cicéron

En cela, réunir des professionnels et des élèves uniquement a représenté à la fois la force et la faiblesse de cette Journée Éloquence. Des nuances qui pourraient être étudiées, lors de la (possible) troisième édition d’un événement qui n’a pas démérité !

« La vraie éloquence se moque de l’éloquence » Blaise Pascal

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Les lycéens organisateurs de la Journée Eloquence, avec Eddy Moniot et Loubaki Loussalat

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