Rennes regorge d’illustrateurs et illustratrices aux univers multiples. Unidivers vous présente une série de portraits avec, aujourd’hui, une créatrice locale : Happyderm’Ink, de son vrai nom Anne-Flore, dessinatrice d’architecture de profession. Expatriée à Toulouse pour raisons professionnelles, elle s’évade (et nous transporte par la même occasion) dans un univers urbain surréaliste en noir et blanc. Entretien.

Unidivers : Comment en êtes-vous venue au dessin ?

Anne-Flore : Le dessin a toujours été pour moi le meilleur moyen de communication, comme une évidence. Certains se passionnent pour la cuisine, la danse, moi, c’est le dessin. Je ne suis pas spécialement à l’aise à l’oral, dessiner est le moyen d’exprimer mes pensées sans passer par le langage, même si c’est aussi un langage. Tout le monde peut comprendre un dessin, il n’y a pas de barrière de culture ou de langue.

illustration happyderm'ink rennes

Unidivers : Pourquoi avoir choisi Happyderm’ink comme nom d’illustratrice ?

Anne-Flore : Une amie m’a dit un jour que mes dessins pourraient faire de très beaux tatouages, la finesse du trait et les contrastes assez marqués. Au moment de chercher un nom d’illustratrice, j’ai pensé au mot « épidermique », mais il peut avoir une définition assez négative si on pense aux réactions allergiques par exemple. « Épidermique » est devenu « Happydermique », le Ink rappelle l’encre et la relation au papier.

Unidivers : Vous êtes actuellement dessinatrice en architecture à Toulouse. Votre style d’illustratrice a-t-il une continuité avec votre activité principale ?

Anne-Flore : Mes études m’ont forcément influencée, mais dessiner des personnes s’avère aussi très compliqué. D’un point de vue technique, mais aussi humain. Vous vous sentez facilement jugée par le regard du modèle, car vous représentez une personne. L’architecture ne va pas s’amuser à dire « tu ne m’as pas bien dessiné » ou « je ne suis pas exactement comme ça » (rires).

Dessiner de l’architecture donne une certaine liberté. On peut s’évader, se promener, sans chercher à représenter une chose concrète ou réelle, dépasser le côté physique et les lois de la gravité. C’est pour cette raison que j’aime représenter des villes sans échelle, on ne sait pas si elle flotte dans les airs ou pas.

Les crayons que j’utilise sont également la base du travail d’architecte. Très peu de choses sont dessinées à la main, mais dès qu’un projet est expliqué à un enseignant ou un client, les crayons noirs à pointe fine sont utilisés, des outils basiques que l’on retrouve partout, mais essentiels.

illustration happyderm'ink rennes

Unidivers : Contrairement à votre métier, l’univers d’Happyderm’Ink propose des mondes et des architectures irréels. Comment sont nés ce style et cet univers ?

Anne-Flore : Les cours d’histoire de l’art que j’ai suivis en arts appliqués au lycée m’ont influencée dans le sens où ils m’ont permis de découvrir beaucoup d’artistes. Et autant en peinture et sculpture qu’en bande dessinée.

Un ancien enseignant disait que le dessin permettait de représenter des choses non réelles et de s’affranchir des lois de la physique. Dessiner un éléphant sur une aiguille à coudre devient alors possible. Cette phrase m’a toujours motivé et je pense que c’est une des raisons pour laquelle je dessine des univers fantastiques. Ce détournement du réel et du quotidien me plaît : s’inspirer de ce qui nous entoure et qui est ancré dans une réalité pour mieux le faire dériver vers un horizon surréaliste.

illustration happyderm'ink rennes

Unidivers : Pouvez-vous nous citer des courants ou artistes qui vous ont influencée ?

Anne-Flore : Jules Verne m’inspire énormément, notamment le livre d’anticipation Paris au 20e siècle (publié à titre posthume en 1994, NDLR). Il y décrit sa vision de l’évolution de Paris projeté dans les années 1960, où les sciences auraient triomphé sur la littérature, la musique et la peinture. Le personnage principal est un jeune lauréat d’un prix de poésie latine qui essaie d’échapper à cet enfermement. Il décrit la ville d’une façon gigantesque, et même si le livre ne parle pas d’illustrations, je le trouve exceptionnellement bien illustré. Le film Metropolis (1927) aussi, de Fritz Lang, est un film révolutionnaire dans l’histoire du cinéma. On y découvre une ville qui contamine la population, comme une sorte de monstre.

Mes villes ne sont pas menaçantes, mais ce genre d’œuvres cinématographiques ou littéraires ne peuvent qu’inspirer. Les villes sont traitées comme des êtres humains et deviennent des personnages à part entière de l’œuvre.

illustration happyderm'ink rennes
Exposition Promenades urbaines à la boulangerie My by Thierry Bouvier.

Côté peinture, j’aime beaucoup le mouvement surréaliste. Les Belges sont très forts de ce point de vue, notamment Magritte, qui travaille sur la lumière et la couleur, ce qui n’est pas encore mon cas. Je ne suis pas encore passée par cette étape-là, j’y arriverai peut-être, mais pour l’instant, je reste sur le noir et blanc. Dans une série, L’Empire des lumières, il joue sur des oppositions entre le jour et la nuit. Les tableaux représentent par exemple des maisons plongées dans l’obscurité dont les fenêtres sont éclairées, sous un ciel bleu avec des nuages. Ces contradictions dans le style m’ont inspiré et de là découlent mes idées.

Magritte l'empire des lumières

L’univers de la bande dessinée est extrêmement riche en grands dessinateurs et en grands scénaristes également. Toujours du côté de la Belgique : le dessinateur François Schuiten et le scénariste Benoît Peeters ont réalisé Les cités obscures, une bande dessinée qui retrace différentes villes imaginaires. Chaque ville a une caractéristique particulière.

Tous ces univers m’inspirent, mais concrètement, je dessine d’après des bâtiments que j’ai pu voir lors de voyages par exemple. J’ai parfois le temps de faire un rapide croquis sur place qui me sert de base et que je réadapte en fonction de mes idées. Je dessine rarement d’après photos, et, si je le fais, ce ne sera que pour prendre quelques détails d’un bâtiment ou essayer d’être dans le « vrai » d’un style architectural en particulier.

illustration happyderm'ink rennes

Unidivers : On peut voir quelques touches de couleurs dans certains de vos dessins, mais vous travaillez essentiellement en noir et blanc…

Anne-Flore : Je me suis décidée à me tourner vers le dessin au moment de mes études en architecture. Les outils qu’on utilise les plus en architecture ceux sont des crayons noirs simples. Le but n’est pas de développer le dessin avec de la couleur, les crayons servent seulement à réaliser des esquisses et des croquis. Je suis partie sur ces outils, car la technique me convenait. Je préfère les exploiter au maximum avant de me tourner vers autre chose.

illustration happyderm'ink rennes

Unidivers : Comment se passe la réalisation d’un dessin concrètement ?

Anne-Flore : Le dessin est une histoire d’humeur. Si vous n’êtes pas motivé et que vous n’avez pas d’inspirations, rien ne sert de chercher ou de forcer le travail. Certains dessins n’ont pas vraiment de fins, ou bien je ne sais pas quand sera mis le dernier coup de crayon. D’autres sont plus rapides, l’inspiration vient tout de suite.

MA MANIÈRE DE DESSINER EST À PENSER COMME LA DÉCOUVERTE D’UNE VILLE QUE L’ON NE CONNAÎT PAS : ON SE PROMÈNE, PARFOIS ON SE PERD, AVANT DE RETROUVER LE BON CHEMIN.

Je travaille toujours sur papier, l’ordinateur n’intervient que pour la partie numérisation et mise en ligne des illustrations. La façon de composer dépend du dessin en lui-même. Je peux en commencer un et y revenir trois mois plus tard en repensant totalement la composition initiale. Je dispose les volumes du premier plan d’un rapide coup de crayon. Seulement quelques rectangles et quelques lignes qui donnent les orientations et perspectives. Une fois ceci fait, je me promène sur la page. Je commence par un bâtiment, je peux me rendre compte qu’un trait ne me plaît pas, mais il va me permettre de matérialiser autre chose. Je ne cherche pas de but précis dès le début, mais vraiment à déambuler sur la page.

illustration happyderm'ink rennes

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