don quichotte
Don Quichotte vu par Gustave Doré.


Débutant par la caricature, Gustave Doré se consacra finalement à l’illustration, sa voie véritable. L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche de Miguel de Cervantes Saavedra fut une des histoires qu’il illustra de son trait caractéristique. Le 4 novembre 2021 paraîtra, aux éditions Conspiration, une nouvelle édition de ce beau livre, représentatif de toute la grandeur artistique de Gustave Doré.

Strasbourgeois de naissance, Gustave Doré (1832-1883) arriva à Paris adolescent. Ce jeune prodige débuta par la caricature, dans la lignée de Töpfler ou Daumier, avant de se consacrer à l’illustration de livres qui fut sa voie véritable. Artiste supérieurement doué et imaginatif, il était prêt à toutes les besognes. « Je suis sûr, dira Théophile Gautier, que si on lui proposait par exemple l’influence des puces sur la sentimentalité des femmes, il trouverait moyen de l’illustrer. »

Gustave Doré
Gustave Doré (1832-1883)

Gustave Doré créa plus de dix mille dessins gravés sur bois, et aborda avec la même verve Balzac, Dante, Cervantès ou Shakespeare. Grâce à son activité artistique débordante, et très organisée, Doré fera fortune, alors que Daumier, autre génial illustrateur qui s’attaqua à Don Quichotte, vivra toujours dans d’extrêmes difficultés matérielles.

Il excellera d’abord dans les petits formats, en illustrant, magistralement, les Contes drolatiques de Balzac. La demande du public et des éditeurs le poussera vers les grands formats, l’in-folio en particulier, format peu habituel, lourd à manier, difficile à placer, mais qui sera le bon choix, écrira à l’époque le critique d’art Henry Houssais : « Chaque année pendant longtemps, Doré illustrera « Les Contes de Perrault », la Bible, Atala, Rabelais, La Fontaine, Coleridge. » Son imagination foisonnante, ses dons de metteur en scène, sa cocasserie brilleront en particulier dans les illustrations du Pantagruel de Rabelais.

  • gustave doré
  • gustave doré
  • gustave doré bible
  • gustave doré bible

Doré trouvera avec le peintre Héliodore Pisan, un graveur capable de le servir au mieux, comme le démontreront les 377 gravures sur bois qui vont jalonner le Quichotte. Ce roman faisait partie de ses projets dès 1855. L’illustrateur voyagea en Espagne cette année-là, puis à nouveau en 1861, en compagnie de Théophile Gautier et du Baron Davillier qui lui lancera : « Tu nous donneras à ton retour un splendide Don Quichotte bien espagnol, avec des paysages vraiment espagnols, empreints du soleil et de la couleur locale. » Ces mois-là en effet, nous dit Cyril Devès, historien d’art, dans la belle et longue préface, précise et précieuse, de la réédition du roman de Cervantès à paraître en novembre 2021, « il réalise un grand nombre de croquis en vue de l’illustration du « Voyage en Espagne » du baron Davillier, lui permettant de se familiariser avec ce pays. » Gustave Doré l’annonce à son ami Ludovic Halévy : « Je suis en partance pour l’Espagne, ne vous souvenez-vous pas que nous parlions un soir […] du Don Quichotte que j’entreprenais d’illustrer ? Je me rends donc dans la patrie de cet illustre Hidalgo pour étudier tous les lieux qu’il a parcourus et remplis de ses exploits et faire ainsi une chose qui aura son parfum local. » Au cours de l’été 1862, nous dit Cyril Devès, Doré travaille avec Louis Viardot – deux amis qui se rencontrent régulièrement – pour mieux s’imprégner de la vision du traducteur et représenter au mieux le texte à illustrer. 

En 1863, Hachette publie une première édition de luxe, avec grand succès, suivie en 1869 d’une édition populaire accessible à tous. Sainte-Beuve affichera son admiration « pour la liberté et l’audace du dessinateur. La connaissance directe de l’Espagne, de ses paysages et de son architecture, fournit à Doré la matière à des compositions très fidèles. […] C’est par ces voyages en Espagne qu’il a su reproduire les horizons nus, décharnés, les solitudes ou les âpretés sauvages comme aussi les plus fraîches oasis et les plus secrets vallons, les hôtelleries délabrées comme les résidences seigneuriales pompeuses et les architectures historiées et fleuries. […] Ce n’est point en Beauce ou en Brie que le chevalier de la Manche fait ses prouesses ; il traverse les gorges de la Sierra ; il assiste dans ses courtes heures de repos à des récits divers et animés qui varient les scènes et transportent le lecteur jusque sous le ciel africain : autant de motifs ou d’ingénieux prétextes pour lr crayon. […] Doré a donc refait un Don Quichotte espagnol : il l’a défrancisé. »

don quichotte doré
Gustave Doré, Le Don Quichotte bercé par le chant d’Altisidore. Image issue de Don Quichotte, Edoardo Perino, édition italienne publiée en 1888, l’Italie-Rome.

Ses représentations du paysage espagnol, géographique, historique, architectural s’attacheront à présenter au lecteur une Espagne authentique. Telle cette scène, entre mille autres, d’Altisidore donnant la sérénade à Don Quichotte devant un bâtiment authentique de l’Espagne du XVIè siècle. « Croire que Don Quichotte soit effectivement passé par des endroits réels », écrit Cyril Devès, « fait que les lecteurs aiment à croire que le héros a bel et bien existé, au même titre que les personnes qu’il rencontre. Parcourir les images de Gustave Doré, c’est se plonger en terre espagnole en compagnie de son plus illustre représentant et une manière de découvrir des lieux supposés avoir accueilli les aventures du Chevalier à la Triste Figure comme le village de Toboso, les moulins à vent du Cerro, la grotte de Montesinos, la Sierra Morena. Le lecteur voyageur se confrontera également aux échanges entre Orient et Occident et pourra se perdre dans de vastes espaces inhabités, propices à l’errance, l’introspection et la divagation de l’esprit. Voyager avec le Don Quichotte de Doré, c’est naviguer sur les voies de la sagesse et de la folie, de la raison et de l’extravagance… [C’est] la promesse d’un beau voyage. »

Le Quichotte vu par Doré, beaucoup plus que chez ses prédécesseurs, est un personnage noble, exalté et tragique, un rêveur idéaliste condamné à souffrir dans un monde insensible au message qu’il porte. Doré en accentue les effets dramatiques. La dimension comique du personnage est alors reléguée. Doré nous montre un personnage baignant complètement dans le Romantisme de l’époque en totale cohérence avec la traduction de Louis Viardot. Ses gravures en pleine page, aux décors fouillés, amples, profonds et spectaculaires, composent probablement l’ensemble le plus emblématique de l’iconographie du Quichotte, en France, en Espagne et au-delà, tous siècles confondus.

don quichotte doré

La riche et instructive présentation de cette réédition illustrée du Quichotte, réalisée par les éditions Conspiration, apporte au lecteur moult éclairages et informations sur la réception du public français et des écrivains de l’époque du chef d’œuvre de Cervantès dans la France du XVIIe siècle jusqu’au XIXe siècle. Le préfacier Cyril Devès refait aussi l’historique des traductions successives, de César Oudin en 1614, François de Rosset en 1618, Filleau de Saint-Martin en 1677, Florian en 1799, et rappelle pareillement les illustrations des peintres et dessinateurs qui se sont succédé, de Jean Mosnier, de 1625 à 1656, à Jérôme David en 1605, de Coypel, de 1715 à 1751, à Charles-Joseph Natoire, de 1735 à 1744.

« Gustave Doré fixe définitivement le visage, la silhouette et les aventures de Don Quichotte. De fait, il permettra à des artistes comme Honoré Daumier, Picasso, Dali, Weisbuch, etc, de le réduire à sa forme la plus simple. Le Don Quichotte de Doré est un maillon essentiel pour comprendre l’évolution iconographique de ce héros et le processus d’autonomie plastique lui permettant de s’ancrer profondément et durablement dans notre imaginaire collectif. Pourfendeur de moulins à vent, de troupeaux de moutons et autres outres de vin, le monde n’aura jamais vu aussi fier faiseur de chimères dont la plus belle de toutes restera Dulcinée, la femme de ses pensées et pour laquelle il ressuscite cette chevalerie défunte. Au cours des siècles, les lecteurs sont tiraillés dans leur sensibilité. Si l’aspect risible du personnage est la première idée qui s’impose, se peut-il que derrière le rire se cache une larme ? Ce fou n’est-il pas le représentant de la condition humaine ? » (Cyril Devès).

  • gustave doré don quichotte
  • DON QUICHOTTE
  • DON QUICHOTTE
  • DON QUICHOTTE
  • DON QUICHOTTE
  • DON QUICHOTTE

Gustave Doré, plus qu’aucun autre artiste, achève de faire du Quichotte un héros immortel. Voilà donc une magnifique réédition qui ne peut que mériter les éloges.

L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, par Miguel de Cervantes Saavedra, en deux tomes, traduction de Louis Viardot révisée par Eliette Germe-Téllez, avec les dessins de Gustave Doré, préface de Cyril Devès. Conspiration Éditions, 1300 pages, ISBN : 979-10-95550-25-9. Parution prévue : 4 novembre 2021. Prix 69 €

Lire un extrait

Conseils de lecture :

Le site de Cyril Devès

« Cervantès et la France », colloque de la Casa de Vélazquez, 2007, avec une longue communication d’Albert Bensoussan

Découvrez une belle série d’illustrations du Quichotte de Doré

Note de l’éditeur :

Jamais oeuvre n’aura suscité un tel engouement que l’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche de Cervantès. Publié en deux parties (1605-1615), ce classique de la littérature (4ème livre le plus vendu au monde), porteur de l’idéal chevaleresque, regorge d’aventures truculentes. Mais derrière le rire, se cachent sagesse, espoir et mélancolie. Cette édition rend hommage à ce texte en vous proposant de le (re)découvrir dans la traduction de Louis Viardot, dans une version entièrement révisée laquelle a consisté à privilégier la fluidité de lecture par un lecteur contemporain, afin de savourer, aujourd’hui comme hier, ce joyau de la littérature. Pour se faire, les mots, locutions et constructions de phrases surannées ont été modernisés et la ponctuation remaniée, tout en se référant à l’oeuvre dans sa version originale. Elle est accompagnée des gravures de Gustave Doré (1863). Avec ces 377 illustrations dont 120 en pleine page, l’artiste est parvenu à ancrer la silhouette et les aventures de Don Quichotte dans l’imaginaire collectif. La passionnante préface de Cyril Devès, docteur en Histoire de l’art, pensionnaire à la Casa Velázquez de Madrid et qui a consacré au Chevalier à la Triste Figure de nombreux articles et colloques, éclaire magistralement le parcours de l’oeuvre et de sa mise en image.

DON QUICHOTTE
« La liberté, Sancho, est un des biens les plus précieux que le ciel ait accordé aux hommes. De tous les trésors enfouis sous la terre ou cachés sous les mers, aucun ne saurait l’égaler. C’est pour sa liberté, et aussi pour l’honneur, que l’on peut, que l’on doit risquer sa vie ; car l’esclavage est le pire des maux qui puissent accabler les hommes. »

Pour aller plus loin :

Lorsque Cervantès (1547-1616) publie la première partie de Don Quichotte en 1605, il est âgé de plus de cinquante ans. Le bilan de sa vie est une suite de désillusions. Devenu le Manchot de Lépante par suite d’une blessure lors de la bataille du même nom en 1571, le voici contraint de renoncer aux armes. Retenu esclave à Alger pendant cinq ans, il ne goûtera pas au succès avec son premier roman La Galatée et les pièces de théâtre lors de son retour en Espagne. Emprisonné à Séville en 1595 pour des problèmes financiers et fiscaux, il se lance dans la rédaction de son Don Quichotte.

Miguel de Cervantès
Miguel de Cervantès Saavedra(1547-1616)

Cette histoire a germé dans l’esprit d’un homme désabusé, souhaitant vivre du métier des armes et qui se retrouve en prison. De là découle l’idée répandue que Cervantès, à travers son roman, ait pu s’imaginer un instant à la place de son héros afin de dénoncer le monde dans lequel il vivait. Gustave Doré (1832-1883) ne se trompe guère en l’incluant dans son programme d’illustration daté de 1855. Précédent L’Enfer de Dante et devançant la Bible, il s’intègre parfaitement dans sa stratégie de réaliser les illustrations de ce qu’il considère être les chefs-d’oeuvre de la littérature.

L’ouvrage ne peut se résumer à une simple considération numérique. En fixant définitivement son visage, sa silhouette et ses aventures, il ouvre la voie aux recherches plastiques d’autres artistes comme Honoré Daumier, Picasso, Dalí. Le Don Quichotte de Doré est un maillon essentiel pour comprendre l’évolution iconographique de ce héros et le processus d’autonomie plastique grâce auquel il s’ancre profondément et durablement dans notre imaginaire collectif.

À lire également sur Unidivers.fr :

DON QUICHOTTE ILLUSTRÉ PAR GÉRARD GAROUSTE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici