Samedi 3 juillet 2021, 3 artistes et poètes restituaient leurs œuvres constituées durant 1 semaine de résidence à la Maison de la Poésie de Rennes. Présentation d’un événement littéraire inédit qui explore l’écriture poétique.

Quentin Leclerc, directeur de la Maison de la Poésie à Rennes, évoque à notre demande les étapes qui ont conduit au bon déroulement de ce poétique festival. « Carrément » est un projet dont la gestation a nécessité trois étapes depuis mars 2021. D’abord, 4 artistes-poètes sont choisis afin de travailler sur la question « Écrire sur quoi« . Puis ils s’installent en résidence pendant une semaine, plutôt courte pour réfléchir à son rendu, mais c’est le jeu. Mettre en place des questionnements et des directions vers lesquelles les auteurs et autrices veulent absolument aller, et les synthétiser dans une seule œuvre présentée en juillet. Les quatre artistes, devenus trois après le départ de l’une d’elles, se voient attribuer une bourse afin de financer la création de formes littéraires dites « pauvres », à savoir le fanzine et les petits livres. Une autre bourse rémunère le travail des auteurs et autrices. Au programme en plus de cette restitution : des rencontres et des ateliers. Des temps de médiation avec des après-midi participatives, tournées vers la tradition de l’objet pauvre dans la poésie. « Par ce biais, on donne accès aux visiteurs à un sentiment de proximité » confie Quentin Leclerc.

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© Arnaud Aubry

« Carrément » est nouveau, non seulement parce qu’il s’agit d’une première édition, mais aussi parce qu’il cherche à renouveler un genre classique : l’écriture poétique. « Le but du festival consistait à trouver un format différent d’événement, un format plus léger, plus original. Il est né de l’envie d’inviter des artistes émergents (ils ont publié tout au plus 1 ou 2 livres) et de soutenir la nouvelle génération. » précise Quentin Leclerc.

Les artistes ont été volontairement choisis pour construire un panel diversifié, avec des profils décalés, dans « une volonté de former une passerelle plus forte entre les arts« . Ils appartiennent aussi à une jeune génération d’auteurs issus de milieux différents. La sélection s’est effectuée sous la forme d’une discussion en interne, et d’une lecture des textes. Maxime Actis a publié un premier livre et publie des histoires sur Internet. Laurence Cathala possède un parcours artistique qui n’est pas lié spécifiquement à la poésie mais qui est en revanche toujours lié au texte. Théo Robine-Langlois progresse lui dans un rapport avec Internet et l’audiovisuel, et a aussi publié deux ouvrage dont un, Le Gabion, récemment. Ils ne sont pas spécialement de la région, beaucoup viennent d’ailleurs du sud-est de la France. « La sélection n’était pas géographique, mais artistique : on a plutôt cherché à apporter des regards différents au niveau de l’écriture plutôt que de sélectionner simplement au niveau local » affirme le directeur de la Maison de la poésie.

« Carrément » est une interjection qui est devenue tic de langage dans nos sociétés contemporaines. Il signifie donner son aval de manière enthousiaste, et c’est cet enthousiasme qui a guidé l’organisation du festival. C’est d’ailleurs surprenant comme à force de parler du festival portant ce nom, on en vient à se rendre compte du nombre de fois que cette interjection ponctue les discussions. Carrément, c’est l’aspect « immédiat et jusqu’au-boutiste » du projet.

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Les « Versions » de Laurence Cathala.

Un petit tour de présentation des artistes-poètes s’impose. Laurence Cathala est une artiste plasticienne formée aux Beaux-Arts de Paris. Depuis le début de sa formation et de sa carrière, elle place son œuvre entre art et littérature afin de mettre au même plan l’image et le texte. « Les frontières entre ces deux éléments me semblent très poreuses en ce moment, notamment du fait des innovations actuelles qui impliquent de plus en plus leur usage. » Comme pour témoigner de l’alliance entre le visuel et le scriptural, l’artiste pratique la risographie, une forme technique d’impression mécanique, qui se situe entre « l’impression et le ton direct ». « Par exemple, le point commun avec la sérigraphie c’est que la couleur se fait directement sur la machine, donnant un caractère singulier au résultat final. » Son projet, Les Versions, imprimé par « Club Couleur », devrait être édité chez Sombres Torrents car il est encore en projet. Il s’apparente à un teaser d’un projet pensé depuis déjà une dizaine d’années. Il se compose de 6 à 7 textes correspondant chacun à une version fictive plus grande, et ici inachevée. Cet inachèvement est voulu : dans un processus méta-textuel, l’autrice veut faire croire à une œuvre colossale, mystérieuse et oubliée, d’un autre temps. Un temps qui n’est pas encore advenu.

Dans un futur proche, un narrateur évoque les événements apparemment catastrophiques qui se sont produits dans le monde. Un commentateur, issu du futur, retrouve ces écrits et les commentent, sous la forme de notes de bas de page. Elle essaye de retrouver en même temps une forme orale dans un écrit et de retranscrire une histoire post-apocalyptique dans une forme sérielle, d’où le « teaser ». A l’origine, ces versions constituent d’immenses œuvres de plusieurs mètres, comme des tableaux, et ont été exposées à l’École d’aviation civile à Toulouse (ENAC), à Belfort et au CREDAC (Centre d’art contemporain) d’Ivry. « Chaque œuvre est une nouvelle version à chaque fois mais demeure tout de même une évolution. Une évolution narrative et aussi artistique. » Les Versions interrogent donc le procédé narratif d’une histoire. Mais il détient aussi un message plus politique d’une société à l’abandon et vouée paradoxalement à la catastrophe et à l’espoir. La présence du commentateur futuriste prouve en effet l’existence d’une société postérieure et, donc, d’un après.

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L’œuvre « Brutusses et Brutus » de Maxime Actis.

Maxime Actis, lui, a une profil d’autant plus tourné vers l’écriture. Il est artiste et parfois enseignant. Il écrit beaucoup sur Internet. Il s’est lancé dans la micro-édition et a ensuite décidé d’écrire un livre : Les paysages avalent presque tout paru dans la collection « Poésie » chez Flammarion. « Pourquoi avoir décidé de passer par la forme matérielle du livre plutôt que par Internet ? » « Il y a quelque chose de sacré dans le fait de faire un livre. Quand on ouvre un livre, on a davantage l’impression d’arriver bientôt au bout, à la fin, c’est figé et on ne retrouve pas ça, ou moins, su Internet. » C’est donc aussi cette conscience de l’objet fini qui a poussé l’auteur à écrire des ouvrages matériels.

Au point de départ de Brutusses et Brutus, un séjour à Thessalonique en Grèce. Pas très fan des visites guidées, Maxime préfère aller dans des coins plus reculés et moins touristiques, et commence à observer des scènes étranges, qui mettent en scène des « normes glissantes« . Par exemple, des comportements d’enfants. L’écrivain pense d’abord faire des portraits de personnes rencontrées ou observées, ou bien d’auteurs et autrices qu’il apprécie comme Marcelle Delpastre par exemple. L’objectif est de mettre en scène un ouvrage « constellé » de plusieurs personnages, avec des épisodes et de petites aventures. L’idée c’est que toutes ces aventures et ces personnages se rejoignent en un groupe, un « cortège dionysiaque bizarre« . La terminologie des Brutus et Brutusses provient de la démocratie romaine et en particulier du sénateur Brutus qui prit la tête du mouvement de rébellion contre le dictateur Tarquin à la suite du viol de Lucrèce. En enterrant le pouvoir tyrannique, il fonda la République de Rome en 509 avant Jésus-Christ. Il s’apparente aussi à un pseudo anonyme qui convient bien pour ces personnages qui n’ont « pas besoin de prénom » pour l’auteur. L’occasion de remettre en cause la place du personnage dans l’œuvre littéraire.

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L’affiche réalisée par les élèves de cinquième de l’atelier sur le langage breton.

Au croisement entre le son et l’écriture, Théo Robine-Langlois puise son inspiration dans différents milieux. Il travaille en librairie et aussi pour la radio *Duuu à Paris. Il a par exemple effectué des lectures dans le parc de la Villette, orientant en partie son travail vers l’oralité. Sa restitution porte sur le langage, et revient sur sa rencontre avec une classe de collégiens sur la thématique du dialecte breton. Ce qui l’a longtemps marqué, c’est son enfance en banlieue parisienne et l’apprentissage d’un langage un peu différent du français qu’on entend d’habitude : inversement de suffixes, des langues étrangères qui se côtoient et se mélangent… Avec l’aide en particulier du travail de Françoise Morvan, qui a montré que l’usage du Breton avait baissé après la Seconde guerre mondiale, l’auteur poursuit sa réflexion. En cause, les preuves de collaboration entre certains Bretons et les Nazis. Il s’est aussi intéressé à l’essai Une politique de la langue de Michel de Certeau, Dominique Julia et Jacques Revel. « Ce qui m’anime aussi, c’est de comprendre et d’expérimenter comment la langue se construit », et de réfléchir à la façon dont le langage a pu servir de messages de rébellion et de résistance mais aussi de répression.

L’artiste effectue d’ailleurs une autre résidence, intitulée « Avec la langue » toujours à la Maison de la poésie rennaise et au FRAC (Fonds régional d’art contemporain) de Bretagne du 28 juin au 11 juillet. Bien que ce questionnement colle en particulier à la peau de Théo Robine, ce qui lie finalement les 3 artistes, c’est cette réflexion sur une langue qui est différente, une langue qui bouge et qu’on peut toujours modeler, interroger, ajuster, rechercher…

Pour tous les artistes, demeure le goût et l’envie de donner des clés au public. Des clés pour comprendre le monde, la littérature, la langue. Et ce, par plusieurs prismes : le son, le visuel, l’écriture manuscrite. C’est aussi l’un des objectifs de l’association de la Maison de la poésie. Donner à voir la poésie par d’autres points de vue. « Casser l’image d’Épinal du Breton romantique et solitaire regardant au loin avec la mer en face et ouvrir le champ de l’imaginaire », évoque avec une pointe d’humour Quentin Leclerc.

Le 8 juillet 2021, la Maison de la Poésie organisent des ateliers d’écriture, comme pour prolonger un peu l’expérience créative.

Juliette Thomas : Dans mon jardin, poème sans fin. TARIF : 15€. de 19 à 21 heures. Tel : 02 99 51 33 32 contact[@]maisondelapoesie-rennes.org

INFOS PRATIQUES

Maison de la poésie, 47, Rue Armand Rebillon, 35000 Rennes

Ouvert du lundi au vendredi sauf événements

La Maison de la Poésie sera fermée du 9 juillet au 16 août pour les vacances d’été.

Site de l’association

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