Lorsqu’il s’agit de parler de Sarajevo ou de la Bosnie-Hérzégovine, il est souvent difficile d’échapper aux clichés et à l’univocité de la vision du conflit ex-yougoslave promue par les principaux médias français, le quai d’Orsay et le département d’État américain. Le film documentaire d’Emmanuelle Sabouraud, Sarajevo, à l’heure bosnienne – présenté en avant-première au Cinéma l’Arvor le 3 décembre 2011, – tente de jeter un autre regard sur la capitale de la Bosnie-Herzégovine et, surtout, sur sa jeunesse.

La réalisatrice fait découvrir aux spectateurs la Bosnie actuelle grâce à deux plans. D’une part, à travers la quête quasi initiatique de deux jeunes Français partis prendre des photos (le moyen le plus facile pour établir rapidement des contacts avec une population autochtone). D’autre part, par l’entremise de cinq jeunes bosniens ; plus exactement par cinq ‘bosniaques’.

 

Certes, beaucoup d’entre nous peinent à comprendre ces termes de désignation nationale. Pour être précis, les Bosniaques sont les habitants musulmans de la Bosnie. Les Bosniens, quant à eux, représentent l’ensemble des citoyens de cette ex-république de la fédération yougoslave, démantelée après l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie en juin 1991 puis de la Bosnie en octobre 1991. (À noter qu’en serbo-croate, il n’a pas été utile de créer le néologisme ‘Bosnien’, le terme de ‘Bosanci’ désignant tous les habitants de la région ayant existé de tout temps).

 

La trame du film signé par Emmanuelle Sabouraud dresse un portrait de la situation actuelle à Sarajevo. Dans ce cadre, la caméra s’arrête sur des images pittoresques, notamment des immeubles ou des murs déchiquetés par la guerre, conservés en état comme autant de traces indélébiles du passé.

On soulignera la qualité de la photo. Les visages bigarrés des habitants et l’architecture ex-yougoslave désuète ont procuré au cinéaste les linéaments nécessaires à l’esthétique qu’elle recherchait.

Au demeurant, les jeunes bosniaques interrogés sont forts sympathiques et montrent une image tolérante et moderne d’un islam européen. Ils n’en oublient cependant pas les plaies du passé et les rancoeurs d’aujourd’hui. De fait, la Bosnie – après les accords de Dayton de 1995 et l’espérance suscitée par les Occidentaux – n’est guère le pays qu’ils avaient imaginé et dans lequel, paradoxalement, ils vivaient avant la guerre.

C’est un territoire constitué en trois entités : une entité parlementaire qui n’est pas une république en dépit de son nom (la République serbe de Bosnie), une fédération qui n’est pas une fédération en dépit de son nom (la Fédération de Bosnie-et-Herzégovive – croato-bosniaque) et un district neutre. Dans ce melting-pot confus, seule la République de Bosnie-Herzégovine s’avère être un sujet de droit international.

Le pays est donc écrasé par un mille-feuille administratif qui coûte cher à ses contribuables. Son économie est exsangue et sa population appauvrie. D’où les envies d’émigration et la nostalgie de l’ex-Yougoslavie où les gens se sentaient pris en charge par le système et jouissaient d’une relative liberté d’aller et venir. C’est un point important de Sarajevo, à l’heure bosnienne qui se donne en filigrane : le rappel du passé, l’importance d’une contextualisation culturelle, humaine et psychologique.

Impossible de s’entendre, obligation de coopérer…

Ce passé a été éludé avec soin par les grands médias français dont l’attitude suiviste aux moments des faits restera dans l’histoire du journalisme français comme le tournant qui a mené à l’appauvrissement en vigueur aujourd’hui. Rappelons-nous la situation médiatique française : alors qu’il aura fallu attendre des mois et des mois avant de voir des spécialistes des Balkans être invités à s’exprimer sur les plateaux de télé, quelques intellectuels-procureurs recommandaient de séparer tout de go les ex-Yougoslaves. Leur argument massif se résumait ainsi : 1. C’est un conflit interethnique, 2. la Bosnie-Hérzégovine est un pays, 3. Conclusion : il faut préserver son indépendance coûte que coûte. Mais pourquoi dans le même temps lesdits intellectuels patentés s’employaient-ils à séparer la Croatie et la Serbie, les deux peuples majoritaires de cette république ?

Voilà le nœud gordien de cette problématique balkanique pour ceux qui connaissent le contexte : Pourquoi les Occidentaux souhaitaient-ils préserver et radicaliser l’identité de cet ensemble géographique (où vivaient des orthodoxes, des catholiques et des musulmans depuis des siècles) en même temps qu’ils divisaient la Serbie et la Croatie ? Cela signifiait que, d’un côté, les protagonistes ne pouvaient pas s’entendre, alors que, de l’autre, ils avaient pour obligation de coopérer…

Pourtant, la Bosnie n’est pas le diminutif des Bosniaques. Elle doit son nom à un affluent de la Save, la Bosna. La langue du pays n’est pas le bosnien, mais s’inscrit dans le serbo-croate. De fait, les habitants du fleuve Bosna font partie intégrante de l’ethnie et de la langue serbo-croates (plus de 20 millions de locuteurs en Serbie, Croatie, Bosnie et Monténégro). Ainsi, contrairement aux affirmations d’intellectuels peu rigoureux, les habitants de la Bosnie constituent une entité historico-politique et non ethnique. Il est donc absurde de parler de conflits ethniques au sujet de la Bosnie.

Mais comment expliquer ces subtilités aujourd’hui au spectateur occidental, notamment en France où les médias n’ont pas fait leur travail d’analyse et d’investigation durant le conflit ?  Par conséquent, toute information qui concourt à expliquer les tenants et aboutissants de cette problématique balkanique est la bienvenue.

Le documentaire d’Emmanuelle Sabouraud a le mérite de tenter d’expliquer certains aspects abscons de ce conflit. Cinq Bosniaques à la parole libérée traduisent finement l’exaspération de la jeunesse et une vision sombre de l’avenir. Seul bémol : l’absence de jeunes serbes et croates paraît regrettable. Certes, on peut gager que le ressentiment aurait être semblable…

La situation aujourd’hui

Quel exemple les leaders politiques nationaux donnent-ils à ces jeunes ? Une cacophonie autour de la compatibilité de leur constitution avec celle de l’Union européenne. Ils viennent de se retrouver autour des représentants de la communauté internationale à Cadennabbia, sur le lac de Côme. L’invitation émanait de la fondation Konrad Adenauer et visait à répondre à une possible convergence entre une constitution alambiquée et une entrée potentielle dans l’Union.

Dès le premier jour de ce minisommet, Milorad Dodik, le leader serbe du SNSD a quitté la table des négociations en plein accord avec le chef du HDZ croate de Bosnie-Herzégovine, Dragan Čović. Tous deux refusent un changement de constitution qui servirait les intérêts jacobins de l’administration politique de Sarajevo. Ils soutiennent que des entités fortement décentralisées ne sont aucunement incompatibles avec l’Europe. Ils vont jusqu’à dire qu’on aurait gagné à écouter ceux qui considèrent que la situation était un peu moins compliquée avant l’apparition de ce terme ‘bosnien’.

Conclusion

La réalisatrice, Emmanuelle Sabouraud donne au spectateur du grain à moudre. Tous ceux qui s’intéressent à ce que l’on appelle communément ‘Europe’ gagneraient à mieux comprendre cette partie géographique dont les frontières n’ont que peu varié depuis la division des empires romains d’Occident et d’Orient après la mort de Théodose en 395. On attend avec impatience le deuxième film de la nouvelle réalisatrice. Il y a tant d’histoires à raconter dans ces contrées ou ailleurs. Sarajevo à l’heure bosnienne est un film pédagogique qui mérite de passer sur Arte ou FR3 et d’être primé dans des festivals.

Dragan Bkric

Sarajevo à l’heure bosnienne a été coproduit par Candela productions, TVR 35 Bretagne, Tébéo et Ty TV avec le soutien de la Région Bretagne. Il est présenté en avant-première à Rennes au cinéma l’Arvor le samedi 3 décembre 2011 à 11h.

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