Longtemps éclipsée par son cousin star, la cañahua (ou kañiwa) refait surface sur les hauts plateaux boliviens. Plus rustique, plus nutritive et tout aussi savoureuse, cette plante native des Andes est au cœur d’une renaissance agroécologique portée par des scientifiques et des paysans visionnaires. Parmi eux, Trijidia Jimenez, agronome bolivienne, bataille depuis 25 ans pour faire reconnaître les vertus de cette plante oubliée. Pour elle, la cañahua n’est pas seulement un aliment : c’est une promesse d’autonomie alimentaire, de justice climatique et de diversité génétique.
Un trésor précolombien tombé dans l’oubli
Cultivée depuis des millénaires par les peuples aymaras et quechuas, la cañahua a été peu à peu reléguée à l’arrière-plan au XXe siècle. En cause : l’exode rural, l’uniformisation des régimes alimentaires, et surtout l’explosion mondiale de la demande en quinoa, devenu « graine miracle » du Nord global. Résultat : la cañahua, pourtant plus résistante aux aléas climatiques et mieux adaptée aux sols pauvres de l’Altiplano, a été laissée pour compte.
Petite graine, grands pouvoirs
Sur le plan nutritionnel, la cañahua surclasse même le quinoa. Riche en protéines (jusqu’à 19 %), elle contient les neuf acides aminés essentiels, un taux élevé de calcium, de fer et de zinc, et un indice glycémique bas. Elle est naturellement sans gluten, digeste, et son goût subtil de noisette torréfiée séduit les chefs boliviens les plus audacieux.
« La cañahua est une plante de haute résilience. Là où le quinoa peut dépérir, elle prospère », souligne Trijidia Jimenez.
Scientifiquement, ses capacités d’adaptation au stress hydrique en font une alliée précieuse face au changement climatique. Des recherches menées par l’Université de San Andrés montrent que certaines variétés de cañahua peuvent supporter des gels jusqu’à -10 °C et se passer d’irrigation dans des conditions extrêmes.
Un retour sur les marchés… et dans les assiettes
Depuis quelques années, grâce aux efforts conjoints de chercheurs, de coopératives paysannes et d’organisations autochtones, la cañahua réapparaît dans les champs boliviens. Le programme Saberes y Sabores de los Andes, piloté par Jimenez, vise à répertorier et replanter les anciennes variétés, tout en formant les communautés à des techniques de transformation artisanale.
Dans les villes, elle gagne en visibilité : pains, galettes, céréales soufflées, boissons fermentées et même bières artisanales à base de cañahua se multiplient dans les étals bio de La Paz ou Cochabamba. Des chefs engagés comme Marsia Taha (restaurant Gustu) la réinventent dans des plats gastronomiques qui allient tradition andine et modernité.
Une alternative au quinoa… ou son complément ?
La ruée mondiale vers le quinoa a bouleversé les écosystèmes économiques andins. Monoculture, appauvrissement des sols, flambée des prix : autant de dérives que les défenseurs de la cañahua veulent éviter. Ils prônent une diversification raisonnée, un ancrage local fort, et une valorisation des savoirs ancestraux.
« C’est en cultivant la biodiversité que nous pourrons nourrir durablement notre peuple », martèle Jimenez, qui rêve d’une politique publique ambitieuse en faveur des granos nativos.
Et en Europe ?
Encore peu connue sur le Vieux Continent, la cañahua pourrait séduire les amateurs de superaliments et de produits sans gluten. Reste à ne pas reproduire les erreurs du passé : respecter les circuits courts, assurer une rémunération juste aux producteurs, et ne pas confondre exportation massive et reconnaissance culturelle.
En cuisine : que faire avec de la cañahua ?
- Farine de cañahua : excellente pour les pâtisseries sans gluten, avec un léger goût de noisette.
- Soupe andine : cuite façon risotto, la cañahua se marie très bien avec des légumes racines.
- Granola maison : grillée avec du miel, des noix et des épices.
- Boisson chaude : façon api caliente, avec cannelle, clou de girofle et sucre de canne.
Et si la cañahua devenait le symbole d’un autre rapport au vivant ? Un aliment nourricier, humble mais puissant, ancré dans des écosystèmes locaux et porteur d’un futur agroécologique. C’est le pari de Trijidia Jimenez et de toute une génération de chercheurs et paysans andins qui réinventent l’agriculture à partir de leurs racines.
Bibliographie et sources
- Bazile, D., Jacobsen, S.-E., & Verniau, A. (2016). The global expansion of quinoa: Trends and limits. Frontiers in Plant Science, 7, 622.
- Mujica, A., & Canahua, A. (2014). Cañahua: cultivo ancestral de alto valor nutricional. Universidad Mayor de San Andrés, La Paz.
- Aroni, P., & Mamani, J. (2020). Adaptación climática de cultivos andinos en el Altiplano boliviano. INIAF.
- Taha, M. (2023). Revalorización de ingredientes nativos en la alta gastronomía boliviana. Fundación Melting Pot Bolivia.
- FAO. (2018). Quinoa and kañiwa: Andean grains of the future. Rome: FAO publications.