Il y a moins d’un demi-siècle Jérôme Cahuzac aurait disparu. Au sens propre ou littéral. Dans un petit manoir perdu dans une province reculée ou après un détour par l’armurerie. De nos jours, six semaines seulement après sa mise en examen et le scandale politique et moral que ce fraudeur aux responsabilités a provoqué, voilà qu’il bat les marchés de Villeneuve-sur-Lot après avoir informé les médias conciliants qu’il allait peut-être, sans doute, voire certainement, se représenter.

(Mise à jour du 8 décembre 2016 : Cahuzac écope de 3 ans de prison : le système politique en est-il pour autant changer ?) 

On le sait : le système politique français – dominé par une opposition artificielle entre les deux partis institutionnels de gauche et de droite – a laissé prospérer le népotisme, la corruption et une délinquance en col blanc au profit de certains élus et de leur clientèle. Faute de parapets et de mesures de contrôle suffisamment solides – en principe destinés à juguler les penchants à la toute-puissance intéressée de quelques élus locaux et nationaux –, la France est confrontée à une crise morale qui se conjugue à des versants économique, institutionnel et politique. Or, la France ne veut pas se réformer. La France : un millefeuille de privilèges où chacun réclame l’égalité et défend ses avantages en conspuant ceux des autres. Allez comprendre…

Quelques intellectuels médiatiques patentés, cautions des intérêts supérieurs du système politique, culturel et social en place, s’évertuent à persuader nos concitoyens que ce dernier est le meilleur et le plus juste au monde. En réalité, en parallèle de ses bienfaits, il produit également de l’inefficacité, de l’injustice, de la délinquance et un fonctionnariat où la qualité et les compétences personnelles ne sont qu’un critère parmi d’autres au service d’ascensions carriéristes.

En France, plus de 60 ans d’exercice du pouvoir auront rendu la gauche libérale, profiteuse et individualiste, la droite inculte, avide et sectaire. Mais c’est dès l’origine que le bât blesse. Le système politique français est un artefact institué après la Seconde Guerre sur un rapt dénoncé notamment par Henri Frenay et Emmanuel Astier de la Vigerie. Comme nombre de responsables de la Résistance (de la première heure), ces derniers souhaitaient la disparition des anciens partis politiques disqualifiés et l’institution d’un grand « parti de la Résistance » afin de diriger la vie publique. Realpolitik oblige, de Gaulle a recyclé l’administration de Vichy, sans laquelle il n’aurait pu gérer le pays, et négocié avec des partis socialistes et communistes dont l’implication dans la collaboration reste un sujet tabou dans les livres d’histoire de l’Hexagone.

C’est ainsi que la France a connu une expérience unique dans l’histoire occidentale : 50 ans de socialisme libéral ou de libéral-socialisme dominé par une administration omniprésente, un fonctionnariat pléthorique, deux partis politiques et des syndicats tout-puissants malgré la faiblesse grandissante de leur représentativité. Expérience unique à l’image uchronique d’un vaste kibboutz sous l’ancien régime. Elle s’est révélée plutôt fructueuse. Inéquitable, mais fructueuse ; en temps de croissance économique. Inéquitable, car la majeure partie des travailleurs non-salariés bénéficient d’une protection sociale sommaire, au profit des salariés, fonctionnaires ou non. Un système qui se révèle naturellement intenable et infertile en tant de crise. A fortiori dans un monde de globalisation où non seulement les capitaux mais les technologies et leurs usages rendent poreuses les frontières en tout genre.

Aujourd’hui, ce sont les fondations artificielles et les dévoiements de ce système qui font surface. Une administration en manque de rationalisation, un fonctionnariat au service d’intérêts catégoriels, un système politique où le cynisme de certains élus l’emporte parfois sur l’incompétence de certains autres. À l’heure d’une présidence et d’un gouvernement confrontés à la contradiction d’un électorat hétérogène qui les tire à hue et à dia, une défiance et une angoisse généralisées ébranlent en profondeur le système. Symbole de cette implosion en cours, l’affaire Cahuzac a jeté une lumière crue sur un ensemble de pratiques coupables depuis trop longtemps tolérées.

Bien sûr, la réponse du pompier pyromane ne s’est pas fait attendre : « on va moraliser la vie politique ». Étant donné la difficulté de mettre fin ne serait-ce au cumul des mandats, cette opération « transparence » promet de prendre des lustres… Et puis, plusieurs élus espèrent que la com’ politique est encore assez puissante pour refroidir les doléances éthiques de Français qu’ils croient rester à l’image de ce qu’en disait de Gaulle : des veaux. Peut-être. Peut-être pas. Le retour de Cahuzac comme élu de la République pourrait trancher cette inconnue.

Deux cas de figure possibles. Le parti socialiste, François Hollande en tête, fait pression sur Cahuzac pour qu’il se retire de la vie politique (bien d’autres voies d’enrichissement restent à sa disposition en sus de continuer à toucher ses indemnités de ministre…). La tension retombera un moment. Cahuzac se représente afin de relancer sa carrière. Qu’il soit élu (combien de veaux voteraient pour lui ?) ou non, cette candidature fera les choux gras des extrémistes de tous bords. Une démonstration opportune de la perversion rédhibitoire du système. Elle mettra un point final à la crédibilité de la classe politique française, quels que soient ses éléments de qualité.

Quel serait le meilleur cas de figure ? Chacun se fera sa propre idée. Si ce n’est qu’une partie grandissante des Français souhaiteraient la consolidation d’un pôle centriste servi par une classe politique détartrée et fondée sur la valorisation des compétences au détriment du copinage et des intérêts catégoriels et corporatistes. Un centre qui satelliserait les deux partis institutionnels actuellement dominants et jugulerait les points de vue délétères que promeuvent des commissaires politiques en puissance (qui rêvent de faire fusiller tous ceux qui ne pensent pas comme eux) et des biologistes en herbe (qui ne comprennent pas que le sens de l’honnêteté, de la dignité et de l’intérêt général ne dépend en rien de la couleur de peau).

Quelle alternative pour un système perverti par une partie de ses représentants ? L’observation des derniers mois laisse penser que nombre de Français espère en l’émergence d’une nouvelle formation politique centriste portée par une bourgeoisie élargie, émancipée, émancipatrice, éclairée et éthique. Vérité et contradiction…

Et pour les lecteurs intéressés par des solutions à explorer, retrouvez notre article consacré au salaire minimum unidiversel.

Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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