Dans Giant, diptyque qui s’achève, Mikaël nous fait partager la vie quotidienne d’un ouvrier constructeur des buildings new-yorkais pendant la Grande Dépression. Vertigineux.

BD GIANT

Sur la magnifique couverture, une lourde silhouette assise sur une poutre métallique contemple New York, une silhouette d’ouvrier, casquette vissée sur la tête, clope à la lèvre. Cette image rappelle immédiatement cette célèbre photo représentant onze ouvriers à l’identique posant lors d’une pause déjeuner mise en scène au-dessus du vide.

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Sur le dessin, l’homme par contre rêve, médite. C’est un taiseux, un « Giant », un Géant. Ombre au début de la BD, son visage va s’extraire peu à peu de l’anonymat pour prendre forme et pour raconter enfin son histoire. C’est celle de ces émigrés irlandais quittant la misère et la guerre civile pour rejoindre la Grosse Pomme, la ville rêvée, où chacun peut tenter sa chance et réussir. La réalité en cette année 1932 se révèle finalement beaucoup moins glorieuse et la crise économique allonge les files d’attente aux bureaux d’embauche. Giant, riveteur inégalé par sa force herculéenne, un mystère pour ses voisins ouvriers, va devoir écrire à la veuve de Ryan restée dans la « verte Erin », pour lui annoncer le décès de son mari, car le métier reste dangereux: « un accident mortel en moyenne tous les dix étages ». Mais au lieu d’écrire ce courrier dévastateur, il entame une fausse correspondance, se faisant passer pour Ryan, avec son épouse, mère de trois enfants. Jusqu’au jour, où Mary Ann et sa petite famille débarquent à Ellis Island.

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Cette histoire se suffit à elle même pour permettre de suivre au quotidien Giant, de deviner son passé, de retirer son apparence massive et en faire un être de chair, partagé entre son Irlande natale et son présent d’anonyme. La talent de Mikaël, et la fluidité de son récit lui permettent d’insérer ce grand taiseux dans une description fine et humaine d’une époque et d’une ville en pleine effervescence.

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L’auteur nous emmène dans le « Purgatoire », ces logements de fortune, provisoires, dans des arrière-cours insalubres dans l’espoir d’obtenir le « Paradis », un logement en dur qui permettra à la famille restée en Irlande de traverser l’Atlantique. C’est le paradoxe de la ville, touchée par le krach boursier de 29, où les rues grandissent à la verticale dans une euphorie bâtisseuse unique, alors que la misère suinte au ras du sol. Les ouvriers oublient parfois la raison de leur venue, mais la solidarité les réunit et les portraits des personnages secondaires sont remarquables : Dan Shackleton le dernier embauché, sorte de double inversé du Giant, Ed Donahue qui a américanisé son nom et tant d’autres qui racontent à leur manière leur vie de bâtisseurs anonymes, mais fiers de bâtir le monde moderne.

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À la manière d’un documentaire, on découvre leur vie quotidienne et avec discrétion, on se glisse dans leurs préoccupations : l’envoi de la paie au pays, le lien avec la religion, les relations avec la mafia, avec le monde de la prostitution. Comme pour ancrer cette vie journalière dans la réalité, Mikaël prend même soin, à travers l’intervention d’une photographe, de dénoncer les mises en scène demandées par les journaux de l’époque. Une manière habile de signifier au lecteur que l’histoire de Giant ne s’accommode pas de fables ou de contes journalistiques. Qu’elle est la vraie vie.

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Beaucoup de planches nous renvoient à des documents photographiques, que rappelle la couleur sépia. Mais le talent graphique de Mikaël magnifie ces images. On navigue ainsi entre les bas-fonds et le ciel, entre les vicissitudes de la terre et la camaraderie des hauteurs. Au sol tout est confus, resserré, multiple. Sur les poutres métalliques du Rockefeller Center, tout est aéré, la géométrie ordonnance l’espace. Les dessins sont époustouflants de beauté et le deuxième tome plus silencieux laisse un plus grand espace à ces vues de tours gigantesques nimbées de nuages ou de fumées. La monochromie accentue l’unité du récit en apportant une touche ancienne. Que ce soit l’évocation de l’Irlande ponctuée de rares taches vertes, ou le lever du jour sur Manhattan, Mikaël traduit magnifiquement le silence de la solitude, ce silence que Giant est obligé de rompre dans les dernières pages pour une inévitable confrontation.

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Dans sa préface le compatriote franco-canadien de Mikaël, Jean Louis Tripp, écrit : « J’aime bien qu’on me raconte une histoire. Et qu’on me la raconte bien. Et Mikaël sait faire cela. Bien. Enjoy ». Il aurait pu ajouter: « et qu’on me la dessine bien ». Et tout cela Mikaël sait désormais le faire pour nous offrir, deux des plus beaux albums de ces derniers mois.

BD GIANT

BD Giant de Mikaël, histoire en deux tomes. Éditions Dargaud. Chaque album de 58 pages est accompagné d’un magnifique cahier graphique. 13€99. Le tome 1 paru en 2017 avait obtenu le prix BD RTL en juin.

DESSINATEUR : MIKAËL
SCÉNARISTE : MIKAËL
COLORISTE : MIKAËL

PUBLIC ADO-ADULTE – À PARTIR DE 12 ANS GENRE : AVENTURE HISTORIQUE

BD GIANT

Série : GIANT
Tome N° 2
Album : + EX-LIBRIS OFFERT
Éditeur : Dargaud
Date de parution : 19 Janvier 2018
Type de récit : série finie
Référence : ex9782505069539
Reliure : Couverture rigide
Poids : 653 g.
Auteur : Mikaël

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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