Raconter son avortement, c’est ce que Aude Mermilliod souhaite nous dire dans sa deuxième BD. Elle le fait avec une franchise et une sensibilité totale. Un album remarquable à mettre entre les mains de toutes les femmes. Et de tous les hommes.

BD MERMILLIOD

IVG, trois lettres qui claquent comme un slogan en cette période où ce droit chèrement acquis par les femmes est de plus en plus remis en cause. Au delà de ce combat, on oublie souvent l’acte médical lui même et les conséquences psychologiques qui en résultent. Car l’IVG n’est pas anodin, neutre, et Aude Mermilliod qui y a eu recours en 2011, dans sa BD Il fallait que je vous le dise témoigne de toutes les souffrances et des incompréhensions qui l’ont assaillie, et l’assaillent encore.

BD MERMILLIOD

Dans cette deuxième BD, qui fait suite au remarquable Reflets changeants, l’auteure poursuit son trait, directement attaché à la banalité apparente du quotidien. Elle dessine la vie de nous tous, sa vie et ses moindres interstices dans lesquels se glissent des moments essentiels. Lorsque on l’avait rencontrée au cours d’un salon BD en octobre, accompagnée de Tripp, avec qui elle réside à Montréal, elle nous avait fait part de la parution de cette BD au printemps, avec dans la voix, une émotion non feinte. Car il s’agit bien de cela, raconter « ce foutoir émotionnel que nous procure cette possibilité d’avoir ou non un enfant » et « d’entrer dans les zones d’ombre dont ne parle pas assez ».

BD MERMILLIOD

Dans la première partie de la BD, elle se représente sans fard, sans embellissement, « pas épilée et avec ses bourrelets » dans un processus chronologique précis, de la connaissance de la grossesse à l’acte médical lui même, en passant par toutes les phases de déni, d’acceptation, de refus. Tout, Aude Mermilliod, montre tout, mais avec le talent qui lui est propre, celui de la délicatesse, de l’honnêteté, de la vraie pudeur, le dessin permettant de montrer ce que la crudité des mots peut cacher. On la suit pas à pas, comme dans un journal quotidien, y compris dans cette salle d’opération où tout ne dure que quelques minutes, mais des minutes qui marquent une vie. On comprend alors l’ambivalence des sentiments, la solitude liée à l’incompréhension des autres, y compris des femmes qui ont connu cette situation, la souffrance physique. Mais la qualité du travail de Aude Mermilliod, est de montrer, y compris dans les moments les plus sombres, les recoins poétiques de la vie, comme celui de regarder un arbre grandir, ou d’offrir son corps nu à un paysage. Et de savoir dessiner le silence quand celui ci est nécessaire.

BD MERMILLIOD

On peut se poser alors la question de savoir quel est le rôle des hommes dans cette histoire, à qui la dessinatrice dédie également son ouvrage eux « qui ne vivent pas ce deuil dans leur corps, qui épaulent malgré leur propre peine, sans toujours comprendre ». L’écrivain Martin Winckler, mais aussi médecin engagé à côté des femmes dans leur combat pour la libéralisation de l’IVG, qu’il a pratiquée pendant de nombreuses années, apporte dans la deuxième partie de la BD des réponses à cette question. Aude Mermilliod, le rencontre, le dessine, trace le parcours d’un homme qui veut aider les femmes, les accompagner, mais qui les comprendra véritablement grâce à Yvonne, une infirmière. Une femme. Ce témoignage du corps médical complète magnifiquement les tourments de ce « deuil-qui n’en porte pas le nom- qu’est l’avortement ». L’auteur de Le Choeur des femmes, animé des meilleures intentions, est lui aussi assailli de doutes, sur son action, ou plutôt sur la manière de mener son action.

BD MERMILLIOD

Les deux regards conjugués de Aude Mermilliod et de Martin Winckler, composent une mosaïque où les slogans n’ont pas cours, où les simplifications sont écartées. Ils racontent ce qui est rarement dit avec délicatesse et intelligence. Une formidable BD où la dessinatrice nous invite, comme sur la couverture, à prendre notre souffle, pour écouter la voix des femmes. « Il fallait que je vous le dise », un titre en forme de nécessité.

Il fallait que je vous le dise de Aude Mermilliod. Avec la participation de Martin Winckler. Éditions Casterman. 164 pages. 22€.
Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici