La BD Se rétablir est la petite dernière de la dessinatrice Lisa Mandel parue le 25 mai 2022 et sélectionnée pour le festival de la BD d’Angoulême édition 2023. Après HP et Une année exemplaire, Lisa Mandel revient sur ce thème récurrent dans son œuvre : la santé mentale. À travers le récit de quatre personnes, elle narre le chemin semé d’embûches vers une forme d’équilibre. Retour sur un livre étonnant de légèreté pour un sujet grave.

Le premier tome de Se rétablir de Lisa Mandel, c’est les histoires de vie de Jonathan, Franck, Chloé et Éric. Jonathan a un TDAH (trouble de l’attention avec ou sans Hyperactivité), Franck est schizophrène ou comme il préfère plus poétiquement dire « entendeur de voix », Chloé est bipolaire et Éric est anxieux. Tout les opposent et pourtant leurs histoires se croisent autour de l’épineux sujet de la santé mentale en France.

« … se rétablir, ce n’est pas guérir, c’est vivre avec. »

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À défaut de pouvoir parler de guérison, Se rétablir est une histoire de rétablissement, de rémission. Tous vivront avec leur maladie psychique et mentale toutes leurs vies, tantôt présentées en alliées, tantôt en monstres à dompter. Tous alternent et jonglent entre périodes de crises et périodes de paix, mais gardent courage et espoir que leur météo interne s’apaise. Pour atteindre ce stade de rétablissement, il faut passer par tous les autres. Celui du déni, de l’incompréhension, du rejet, etc. pour atteindre ceux plus apaisés de l’acceptation et de l’appropriation, le stade « Insight ».

Le témoignage de Jonathan ouvre le sujet en parlant de cet objectif à atteindre, à partir duquel la paix est possible. Tous ont en commun cette errance médicale plus ou moins longue, plus ou moins bien tolérée. Jonathan a été en errance plus de 35 ans, a vu de multiples psychiatres qui ont tous posé des diagnostics différents… avant le bon, 35 ans trop tard. Il évoque ici une forme de violence des psychiatres à l’approche de diagnostics inconfortables ou lourds que relayent trois histoires.

J. Lisa Mandel se rétablir

Tout d’abord, l’annonce même du diagnostic est compliquée. Entre les médecins non-formés qui s’y prennent mal et tournent autour du pot, ceux qui envoient leurs assistantes le faire à leur place ou encore ceux qui ne l’annonceront jamais au patient, qui aura l’agréable surprise de lire le diagnostic sur la notice du médicament prescrit à la hâte. L’annonce du diagnostic est un moment pénible, vécu par tous.

La question de la médication est également reprise dans les quatre récits. Tous ont connu ces médicaments prescrits à la hâte, qui modifient totalement la personnalité du patient. Face à une crise psychotique, les médecins surmédicamentent avant d’adapter les doses dans un second temps. Dans les récits, la voix des médecins plane et écrase celle du patient, premier concerné qui se plaint du traitement. 

Les récits de Jonathan, atteint du TDAH, et de Chloé, bipolaire, soulèvent une autre question qui fâche, celle du lien entre drogues et maladies mentales/psychiques et la prise en charge en santé mentale de patients dépendants aux substances. Chloé fume depuis son adolescence et Jonathan, délaissé par l’école, la médecine et toutes les institutions, a quant à lui peu à peu sombré dans les drogues dures et la délinquance. L’une des premières questions posées par les psychiatres successifs concerne la durée de leur consommation de drogue. Déjà affaiblis, les malades culpabilisent, se sentent responsables de leur état et donc illégitimes d’être aidés… Chloé en arrête d’ailleurs momentanément son parcours de soin.

Se rétablir J Lisa Mandel

Quant à Jonathan, dont le trouble le rend agité, impulsif et agressif, les médecins n’hésitent pas à lui prescrire à l’excès des anxiolytiques inefficaces sur lui et d’autres « camisoles chimiques ». Ils rechignent cependant à lui prescrire l’unique médicament qui l’aiderait : la Ritaline. Effrayés par la catégorie ‘stupéfiant’ à laquelle appartient ce médicament et par le passif addictif de Jonathan, les médecins peu documentés sur le sujet rejettent cette possibilité. Ils craignent que le médicament, connu pour être un excitant, ne rende Jonathan encore plus incontrôlable. Or, toujours du fait de sa particularité neurologique, la Ritaline agit avec l’effet inverse chez une personne atteinte du TDAH, elle la calme. Ainsi, la faillibilité de ce système de soin est bien mise à jour dès ce premier récit.

Les choses avancent pourtant et ce beau livre est un message d’espoir. Des associations de personnes en rétablissement se créent pour venir épauler les malades qui s’ignorent encore et les accompagner dans leur cheminement, même si le patient doit aussi être acteur de son rétablissement. Le système de santé psychiatrique est en train de changer doucement, mais le changement doit s’opérer encore plus en amont, en formant les médecins pour que les futurs Jonathan, Franck, Chloé et Éric puissent se rétablir plus vite et être maîtres de leur vie plus tôt. 

On ne pourra conclure autrement que par cet extrait tiré du récit : Jonathan en plein parcours de diagnostic alors qu’on vient de lui refuser la Ritaline du fait de son passé chaotique. Il parle par lui-même.

« Pour l’instant ça va, car je sais que cette vie n’est pas la mienne, un genre de brouillon que je jetterai plus tard à la poubelle. Ma vie à moi elle commencera quand j’aurai le choix de faire des choix… Bienvenue dans un monde où toute logique est illogique. 

Se rétablir, de Lisa Mandel

Se Rétablir de Lisa Mandel, éditions Exemplaires, maison d’édition alternative qui remet l’artiste au cœur de l’œuvre, pour un salaire plus juste. Parution : Mai 2022.

Edition exemplaire Lisa Mandel

Twitter de Lisa Mandel

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