Le hasard capricieux se joue souvent des Hommes. Encore plus quand il pleut et que l’on oublie son parapluie. Joris Mertens nous éblouit avec ce polar par ses talents exceptionnels de dessinateur et de coloriste. Un des albums majeurs de ces dernières semaines.

En deux albums, Joris Mertens s’est fait un nom dans le monde de la BD. Un nom associé à un style graphique immédiatement identifiable. Béatrice l’avait fait découvrir, une Bd poétique, nostalgique errant dans un Paris rêvé mais éternel. Un an plus tard avec Nettoyage à sec l’auteur mélange les mêmes ingrédients pour une même réussite.

C’est le dessin magistral qui identifie d’abord le talent. Il suffit de feuilleter l’album, le geste premier d’un amateur de Bd, pour être séduit immédiatement par des doubles-pages éblouissantes. L’album est sombre, dans son récit comme dans ses images. Il pleut tout au long des 142 pages, sans arrêt, sans discontinuer, une pluie drue qui rend les rues d’un Bruxelles recomposé au temps des DS et des Simca 1000, fantomatiques mais présentes comme un personnage essentiel. Les cases sont allumées de l’intérieur par quelques couleurs récurrentes. Le rouge, le même que le manteau de Béatrice, éclaire les scènes, le rouge et le jaune des phares des voitures, des enseignes lumineuses, omniprésentes. « Schpritt », « Mouche télé », « Glou-glou » ou encore « Schtinck » balisent, comme des onomatopées dans des pages silencieuses et rêveuses, la balade bruxelloise de François, homme proche de la retraite, qui mène une vie routinière de livreur chez une blanchisserie et partage sa vie entre son métier, une petite chambre et quelques bières chez Monica, son bistrot favori.

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Un petit coup d’oeil sur une vitrine de lingerie féminine, un regard sur les jolies jambes d’une passante sont les seuls autres moments de la journée où François peut oublier sa vie minutieusement réglée et sans cesse répétée. Pas très solide il subit le monde, à la manière d’un personnage de Marcel Aymé, comme il subit la pluie, oublieux qu’il est de se protéger avec ce parapluie qu’il abandonne en permanence. Il n’est pas fait pour lutter contre les difficultés de la vie, François. Il est fait pour une vie d’habitudes et de petits plaisirs. Il oublie ce qui peut le protéger.

Une éclaircie dans cette météo mauvaise pourrait venir d’un tirage au Loto, il joue les mêmes chiffres depuis plusieurs années, sa date de naissance et celle du jour de la mort d’un « voisin du haut » détestable. Le Loto rythme la vie différemment. Et puis un jour, accompagné d’un fieffé imbécile, stagiaire et neveu de la patronne, il doit se rendre à l’extérieur de la ville pour une livraison peu ordinaire. Et alors vient le temps des opportunités, des choix, du destin à accomplir ou à rejeter.

Nettoyage à sec est bien entendu une méthode de lavage mais aussi une expression à plusieurs sens car sans rien dévoiler du scénario, cette BD est aussi un excellent polar digne de la Série Noire, un polar d’atmosphère mais aussi un polar sociétal qui montre la vie des gens ordinaires dans un monde fait de petits riens : des bocks étincelants de bière le soir sur la table du bistrot, des pavés luisants dans la nuit où l’on glisse, des dessins d’enfants et des voitures mal garées. Et la peur du chômage, de la descente aux enfers, de la pauvreté.

Joris Mertens a été scénariste, coloriste et dessinateur belge pour le cinéma et la télévision, et ce passé professionnel se retrouve dans des plans scénarisés comme au Grand Rex : douze cases pour déguster une cigarette du matin ou pour une scène dialogue dans un fast-food, double page sur un décor urbain tétanisé par les embouteillages, plongée, contre plongée, toute la grammaire cinématographique est utilisée.

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On devinait Béatrice dans les rues de Paris grâce à son manteau rouge. Il faut chercher François dans son petit costume noir et sa chemise blanche de croque-mort potentiel.

Croque-mort ? Et si le destin avait tout prévu sous le signe du noir et blanc dans un album où les lumières explosent la nuit ? Et si Joris Mertens était un magicien ?

Nettoyage à sec de Joris Mertens. Éditions Rue de Sèvres. 148 pages. 25€. Parution : 20 avril 2022.

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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