En parallèle de la gestion du festival Mythos, de l’Aire libre et du MeM, l’association CPPC – pilotée principalement par le couple Maël Le Goff et Emilie Audrain qui a créé durant les vingt dernières années plusieurs sociétés, commerciales et immobilières, et participe à d’autres – a initié en 2019 deux filiales nommées Manger bon et Otarie. Ce montage de sociétés autour d’une association aidée par les villes de Rennes et Saint-Jacques-de-la-Lande, mais aussi le Conseil départemental, le Conseil régional, le ministère de la Culture et la Drac Bretagne a suscité de légitimes interrogations. Un montage public/privé qu’Unidivers avait questionné pour sa part dès mars 2015 (voir notre article). Depuis cette publication, le temps a passé sans que rien ne semble changer au grand dam de nombreux Rennais et autres acteurs associatifs. Il aura fallu que la Chambre régionale des comptes passe à son tour en 2020 sur le dossier pour que la Ville de Rennes soit conduite à clarifier sa position. Dans ce cadre, Unidivers publie la réponse des services de la Ville de Rennes à une série de questions que notre rédaction lui a posée et un entretien avec Benoit Careil, adjoint à la Culture (voir ici), qui entend mettre fin aux errances de la gestion municipale de la vie associative par le truchement d’une obligation de transparence et de résultats. Rennes Métropole est-elle sur le point d’entamer une nouvelle époque culturelle, artistique et sportive ?

D’IMPORTANTES SUBVENTIONS EN NUMÉRAIRE ET EN NATURE

Nous remercions les services de la ville de Rennes de leurs réponses rapides. Nous avions également souhaité compléter cet échange par un tableau panoramique des différentes subventions versées par les collectivités et l’Etat à l’association Paroles traverses créée en 1997 par le couple Le Goff-Audrain avant de fusionner avec la société Ici Même en 2013 et devenir l’association CPPC. Hélas, si Rennes, Saint-Jacques et le Département ont répondu rapidement à notre sollicitation, la Région nous a communiqué, à force d’insistance, non des réponses mais un lien vers un fichier général de subventions qui ne répond que partiellement à nos questions mais que le lecteur pourra consulter utilement ici. Quant à la DRAC Bretagne, elle n’a jugé ni utile ni courtois de répondre à nos demandes orale et écrites. Par conséquent, nous n’avons obtenu que les montants à partir de 2014 qui sont listés par le rapport de la Cour des comptes.

Au demeurant, les montants en numéraire versés au CPPC pour l’année 2019 s’élèvent à :

DRAC Bretagne : 64500 euros (62 700 pour l’Aire libre, 1800 pour Mythos)
Conseil régional : 150 000 euros (60 pour l’Aire libre et 90 pour Mythos)
Conseil départemental : 85960 euros pour Mythos
Rennes Métropole : 20 000 euros pour Mythos
Ville Rennes : 79400 euros (76900 euros pour Mythos et 2500 pour Paroles traverses – CPPC)
Ville Saint-Jacques : 535 000 euros pour l’Aire libre
ONDA : 3800 pour l’Aire libre et 8500 pour Mythos
Adami : 10000 euros pour Mythos
Sacem : 5500 euros pour Mythos
PJJ : 700 euros pour Paroles traverses – CPPC

Soit : 964 000 euros

Les subventions en nature, en matériel (mise à disposition gratuite du matériel et des agents de la ville de Rennes ou de Saint-Jacques ; la Ville de Rennes a chiffré à 98 662€ pour le seul festival Mythos 2019 mais c’est 132 000€ selon la Cour des comptes – voir note *) et aide immobilière (comme le loyer extrêmement faible de la Guinguette le MEM) devraient s’établir entre 300 et 400 000 euros par an.

Soit pour l’année 2019, une dotation globale comprise entre 1,2 et 1,4 million d’euros.

ÉCLAIRCISSEMENT ET RÉPONSE PAR LA VILLE DE RENNES

Unidivers – En 2007, Nicolas, contrôleur de comptes spécialisé dans le monde associatif à Rennes, fut sollicité par Maël Le Goff afin d’auditer ses comptes et les mettre aux mieux pour les certifier. Nicolas a vite compris le montage financier qui mêlait habilement intérêts publics et privés. Dès lors, il a préféré refuser la mission. Pourquoi la Ville n’a-t-elle rien trouvé à redire en 20 ans ? 

Ville de Rennes – Comme toutes les associations subventionnées par la Ville de Rennes, le CPPC est soumis au contrôle de gestion qui relève, dans son analyse, que l’association respecte les règles de gouvernance ainsi que les obligations réglementaires en termes de comptabilité (commissaire aux comptes et expert-comptable). 

Conformément au code général des collectivités territoriales (art. L.1611-4), l’association adresse ses comptes à ses financeurs, leur permettant ainsi un contrôle de l’utilisation des fonds publics.

En revanche, ne participant pas aux instances de l’association, la Ville de Rennes n’a pas à émettre d’avis d’opportunité sur les choix de gestion de la structure, car cela relèverait de l’ingérence dans la gestion associative. 

Unidivers – Quel a été le montant total des subventions en numéraire accordées aux différentes associations chapeautées par Maël le Goff et Emilie Audrain depuis 1997 ? Dans les livres de comptes – qui sont contrôlés par la mairie de Rennes au titre d’une convention partenariale –, à quel montant s’élève les décaissements desdites associations vers des entreprises contrôlées pour tout ou partie par Maël Le Goff ?

Ville de Rennes – La Ville de Rennes soutient financièrement l’association porteuse du festival Mythos (Paroles Traverses initialement, puis CPPC), depuis la création de Mythos et uniquement pour l’organisation de ce festival. 

Les montants de subventions en numéraire accordés par la Ville de Rennes depuis 1998 à Paroles Traverses puis CPPC sont les suivants :

ExerciceTotal (€)
1998 6 098
1999 7 622
2000 15 245
2001 16 769
2002 26 656
2003 35 000
2004 45 525
2005 46 058
2006 71 513
2007 75 000
2008 79 127
2009 79 570
2010 79 622
2011 78 946
2012 79 762
2013 79 798
2014 76 900
2015 98 782
2016 79 871
2017 89 898
2018 89 193
2019 88 400

Depuis 1997, l’association et la Ville de Rennes sont liées par une convention financière.

Selon les termes de la convention, le montant alloué est fléché sur (voir note **).

Dans le contexte d’évaluation importante du projet, la Ville de Rennes a proposé à l’association, en 2019, une convention pluriannuelle d’objectifs sur la base de ces éléments :

Le projet artistique et culturel soutenu par la Ville s’articule autour de (***).

Cette première convention pluriannuelle d’objectifs prendra fin au 31 décembre 2022.

L’association fournit chaque année à la Ville de Rennes un budget prévisionnel et un bilan analytique où apparaissent les dépenses et recettes du festival. D’après cette comptabilité analytique, l’usage de la subvention respecte bien les termes de la convention existante.

Le bilan comptable de l’association atteste que l’activité artistique est, depuis l’origine du festival, financée principalement par les recettes propres et, depuis quelques années, par le secteur privé (mécènes notamment).

Unidivers – Comment les services de la mairie et les élus n’ont-ils pas sourcillé devant ce passe-passe et cette étonnante situation d’une société qui continue d’exister sous un autre nom alors qu’elle a été achetée par une association dirigée du reste par le… vendeur ?

Ville de Rennes – Le commissaire aux comptes estime que les montages financiers de l’association CPPC sont légaux, et il n’a pas émis d’alerte sur la sincérité des comptes.

Toutefois, ces montages financiers compliquent l’appréhension globale des finances de l’association, ce qui conduit le contrôle de gestion de la Ville de Rennes à alerter régulièrement l’association à ce sujet.

Unidivers – À combien estimez-vous les subventions en nature, notamment la mise à disposition chaque année des agents des services de la ville pour contribuer à monter le festival Mythos ?

Ville de Rennes – En 2019 (dernière édition en date du festival Mythos), l’intervention des agents de l’Unité Fêtes de la Ville de Rennes a été valorisée à 18 860 €. Ce montant est intégré dans une valorisation matérielle globale de 98 662 €.

Unidivers – Pourquoi le festival Mythos bénéficie-t-il du carré Du Guesclin alors que tant d’associations qui l’ont demandé se le sont vu refuser ?

Ville de Rennes – Le carré du Guesclin est un espace fragile, qui a longtemps été interdit au public et dont la mise à disposition nécessite une logistique lourde pour respecter le lieu (pas d’accès de véhicules lourds, déchargement manuel du matériel…) et pour gérer la cohabitation avec les usagers du parc. 

Pour conserver ce parc de prestige, la Ville veille à ne pas multiplier les accueils de festivals et seuls trois en bénéficient, d’avril à octobre : Mythos (en avril), les Tombées de la Nuit (mi-juillet) et le Grand Soufflet (en octobre).

En revanche, le Thabor accueille également de très nombreuses animations, au théâtre de verdure et au kiosque : le festival I’m from Rennes, le festival Maintenant, la Biennale de la Percussion, les mercredis du Thabor, le Bal Pirate…

Unidivers – Pour quelle raison Mythos comme le MEM jouissent-ils d’une latitude étendue en matière de décibels ? 

Ville de Rennes – Comme l’ensemble des événements amplifiés autorisés par la Ville de Rennes, l’association bénéficie, pour le festival Mythos, d’un arrêté de sonorisation l’autorisant à sonoriser l’événement « à un niveau sonore permettant l’animation de la manifestation sans porter atteinte à la tranquillité du voisinage ». 

Le festival Mythos a précisément été déplacé au Thabor car son implantation précédente, place du Parlement, générait des nuisances sonores trop importantes pour les riverains.

Par ailleurs, s’agissant du MeM, suite à une interpellation des riverains, le Service Santé Environnement de la Ville de Rennes a demandé à l’association une mise en conformité au Code de l’Environnement et au Code de la Santé publique avec la mise à jour de l’étude d’impact, réalisée avant l’installation, et la mise en place d’un limiteur répondant aux exigences réglementaires, afin de préserver la tranquillité des riverains.

Unidivers – Malgré ce manque de transparence du CPPC, comment se fait-il que les élus n’aient pas rechigné à accorder un loyer associatif dans le cadre de la location d’un terrain en bord de Vilaine où Maël le Goff a installé son matériel, ses activités et la société Manger bon dirigée par son bon ami Franck Maciag (chiffre d’affaires 2020 : 1 158 000.00 €) ? Une réduction de 90% du tarif immobilier normal, pouvez-vous nous dire quelle autre association aussi opulente que le CPPC à Rennes jouit d’une telle ristourne ?

Ville de Rennes – En accompagnant le projet d’installation du MeM à la Piverdière, la Ville de Rennes répondait à une forte demande d’animation des bords de la Vilaine exprimée par les Rennais, notamment dans le cadre de la démarche Rennes-2030. 

La Ville a choisi d’appliquer un tarif associatif, car l’application de ce tarif est liée au statut de la structure porteuse (association) et au type de projet mené (projet culturel). 

Par ailleurs, ce tarif – accompagné d’un intéressement sur les recettes de la guinguette – devait permettre d’accompagner la prise de risques de l’association à son installation. La Chambre régionale des comptes a considéré que ce modèle devait être revu compte tenu du succès de l’activité guinguette ; les services de la Ville de Rennes y travaillent actuellement.

Cependant, le chiffre de 90 % de réduction par rapport au tarif immobilier normal est théorique : il supposerait que la guinguette soit exploitée 365 jours par an, ce qui n’est pas le cas.

Pour autant, les associations rennaises bénéficient dans leur ensemble, pour la mise à disposition de locaux appartenant à la Ville de Rennes, de tarifs préférentiels, selon une grille tarifaire revue chaque année, ainsi que d’une refacturation des charges à 100 %.

Plusieurs associations rennaises bénéficient également d’une mise à disposition gratuite de locaux, au regard des projets qu’elles développent et du conventionnement qui les lie à la Ville de Rennes (Institut Franco-Américain, Maison internationale de Rennes, Bug, Association du Bourg-l’Evêque, Maison de la Consommation et de l’Environnement…).

Unidivers – Au-delà des questions éthiques, n’y a-t-il pas là dans ces différents types de soutien continu de la mairie de Rennes et de Saint-Jacques aux activités de Maël Le Goff et Emilie Audrain la production chronique et systématique d’une distorsion de concurrence qui pénalise plusieurs commerçants et acteurs privés de la boisson et de la musique ?

Ville de Rennes – S’agissant du « soutien aux acteurs privés de la musique », et particulièrement aux festivals, la Ville de Rennes et Rennes Métropole soutiennent un nombre important de festivals, et dans des proportions parfois bien supérieures à Mythos : Mythos est l’un des trois festivals rennais les plus importants en termes de budget global ; mais la part de subventions publiques est l’une des plus faibles parmi l’ensemble des festivals subventionnés par la Ville de Rennes et Rennes Métropole. En 2019, les subventions accordées par la Ville de Rennes et Rennes Métropole à CPPC pour le festival Mythos représentent 6 % du budget global du festival, et 34 % de l’ensemble des subventions publiques. 

S’agissant du « soutien aux acteurs privés de la boisson », la Ville de Rennes et Rennes Métropole ont répondu présents, depuis le début de la crise sanitaire, pour accompagner le secteur du commerce des cafés hôtels restaurants, qui ont particulièrement souffert des mesures de restriction, en mettant en place un plan de relance métropolitain, en permettant l’installation de terrasses temporaires et en exonérant les commerçants de la redevance, en construisant un plan de soutien au commerce local, qui inclut plusieurs dispositifs dont l’appui à la digitalisation et le référencement sur un site internet géré par Destination Rennes afin de faciliter la vente en ligne, la prise de rendez-vous et le click and collect, en déployant une campagne de communication « Achetons local »…

Unidivers – Depuis la parution en 2015 de l’article de notre magazine consacré à Maël Le Goff, plusieurs artistes nous ont confié – ce qui a été confirmé par des cadres et même des directeurs d’équipements culturels bretons – les pratiques de pression sur eux exercée par Maël Le Goff afin qu’ils travaillent à vil prix, voire gratuitement. Ainsi Sébastien nous a confié : « j’ai été payé un quart du montant normal du cachet, mais Le Goff m’avait fait reluire la possibilité de futurs concerts. Les concerts, Poubelle, Mythos, le MEM, une belle carotte ! Mais beaucoup d’appelés et peu d’élus. Il ne m’a jamais rappelé… – conclut-il avec un petit rire triste. » Sans parler des bénévoles dont plusieurs ont confié des conduites qu’elles considèrent comme relevant de l’exploitation. Sophie nous a expliqué : « j’étais à Rennes 2, on nous a dit que c’est bon pour le cv de travailler à Mythos et que peut-être j’aurais des heures salariées plus tard. Je suis boursière et j’aimerais travailler dans le monde de la musique. Résultat, j’ai fait une crise de nerfs tellement j’étais épuisée après que l’équipe m’a poussé à enfiler des nuits entières de travail. C’était de l’esclavage ! » Est-ce bien normal qu’une mairie – a fortiori où il fait bon vivre en intelligence socialiste et écologiste – ne trouve rien à redire à ces pratiques pour le moins blâmables ? 

Ville de Rennes – Les services de la Ville de Rennes ont parfois été informés « officieusement » de l’hypothèse de l’existence de telles pratiques. Ils ont donc émis plusieurs alertes auprès de l’association, lui rappelant la réglementation et lui demandant de s’y conformer si tel n’était pas le cas.

Notes :

(*) « L’autorisation d’occupation à titre gratuit est délivrée chaque année par simple lettre de la commune de Rennes, qui par ailleurs prête du matériel, assure l’affichage en ville, prend en charge une partie de la communication et des frais d’inauguration pour des montants respectivement de 99 000 €, 22 000 €, 10 000 € et 1 500 €, soit environ 132 000 € que la commune demande à l’association de valoriser dans son compte-rendu financier. La collectivité prend également en charge la fourniture des fluides (eau et électricité, hors groupes électrogènes), ainsi que l’élimination des déchets pour un montant non évalué. »

(**)

  • L’organisation du festival Mythos sur le territoire rennais dans le but de faire découvrir à un large public la diversité des arts de l’oralité à travers une programmation pluridisciplinaire allant du conte à la poésie en passant par la musique et la chanson ;
  • Le soutien à la création contemporaine dans le domaine du conte par la mise en place d’ateliers animés par des artistes professionnels engagés dans une démarche de transmission de cette discipline ;
  • La sensibilisation aux arts de la parole des publics étudiants et jeunes en poursuivant une démarche centrée sur « l’école du spectateur » qui favorise la rencontre entre professionnels du spectacle vivant et jeunes spectateurs.

(***)

  • L’organisation du festival Mythos sur le territoire rennais dans le but de faire découvrir à un large public la diversité des arts de l’oralité à travers une programmation pluridisciplinaire allant du conte à la poésie en passant par la musique et la chanson ;
  • Le soutien à la production à la diffusion des œuvres : le festival contribue à vitaliser le secteur culturel en finançant les compagnies et artistes au travers d’achats de spectacles et d’apports en numéraire pour coproduire des créations artistiques ;
  • La mise en réseau des artistes et des compagnies : la notoriété du festival apporte une visibilité importante aux œuvres présentées. Les professionnels du secteur (programmateurs de théâtre et de salles de concert, responsables de Médiathèques, organisateurs d’événements) découvrent ainsi des spectacles et des artistes qui peuvent intégrer leurs propres saisons en fonction de leurs lignes artistiques particulières ;
  • L’activité de sensibilisation des publics : l’optique de démocratisation culturelle et d’élargissement des publics passe par la mise en œuvre d’actions de médiation indispensables. Le festival permet de redéfinir un réel espace public de partage et de rencontres, au bénéfice de publics scolaires, de structures jeunesse, socio-culturelles ou d’établissements de santé. ».

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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