Dans Zinc David Van Reybrouck évoque ce métal brillant particulièrement malléable. Son récit, publié aux éditions Actes Sud, en a lui aussi la matière : il raconte la vie d’un homme, Emil Rixen, et d’un État, Moresnet-Neutre, que l’histoire européenne a transformé. Entre reportage et enquête littéraire, Zinc propose un court récit édifiant…

 

Zinc David Van ReybrouckDe quoi Zinc est-il le nom ? Difficile de parler d’un roman, encore moins d’un essai. Actes Sud le publie dans sa collection « Lettres néerlandaises ». Car son auteur est un écrivain belge d’expression néerlandaise. Engagé, David Van Reybrouck l’est assurément : celui qui, en 2012, se retrouve lauréat du prix Médicis essai pour Congo, s’avère aussi président du PEN Club de Flandre, une association d’auteurs luttant notamment contre la censure. Il est également un fervent partisan d’une démocratie par tirage au sort. Dans Zinc David Van Reybrouck ne déroge pas à cet engagement : derrière le récit qu’il tisse transparaît, en filigrane, une réflexion contemporaine sur le concept de frontière ou de neutralité.

Dans la lignée d’un Stig Dagerman, d’un Jack London, ou plus récemment d’un Emmanuel Carrère, David Van Reybrouck se pose en enquêteur (au sens historique du terme).

Ce Zinc David Van Reybroucknarrateur, c’est bel et bien lui. Connaissez-vous Moresnet Neutre ? Jusqu’à sa disparition, au lendemain de la Première Guerre mondiale, Moresnet Neutre était l’un des plus petits États du Monde. Avec une superficie de 3, 44 kilomètres carrés, il dépassait de peu Monaco et le Vatican. Son histoire ? D’abord, celle d’une mine de zinc, l’une des plus riches d’Europe. Le Congrès de Vienne, en 1814-1815, redessine les frontières du continent, après la défaite de Napoléon. Les royaumes de Prusse et des Pays-Bas ne s’entendent pas concernant ce petit morceau de territoire : ce triangle devient alors un état neutre, notamment capitale mondiale de l’espéranto. Viendra, après les Pays-Bas, la Belgique. Puis l’invasion, par deux fois, de l’Allemagne, lors de la Première puis de la Seconde Guerre mondiale.

Le courrier était distribué par deux facteurs, l’un Belge et l’autre Prussien. S’ils voulaient boire un schnaps ensemble après leur tournée, ils devaient faire attention en prenant rendez-vous, car entre Moresnet-Neutre et Moresnet-Prussien, il y avait une heure de différence. Le territoire neutre était dans le fuseau horaire de Paris, tandis que de l’autre côté de la route, on se réglait sur l’heure de Berlin. Et pour tout arranger, les pendules néerlandaises avaient de surcroît vingt minutes d’avance sur les Belges, car avant l’apparition de liaisons ferroviaires internationales, l’heure était encore une affaire locale. (p. 26).

Zinc David Van ReybrouckDans Zinc David Van Reybrouck suit la destinée d’un certain Emil Rixen, orphelin d’une mère prussienne, adopté par un notable de Morenest Neutre. Dans son existence, il aura deux identités différentes, cinq nationalités et onze enfants. Le cœur du récit tient dans le corps d’un homme dont David Van Reybrouck recueille patiemment le témoignage. Zinc réussit admirablement à concentrer en un court récit tout ce que sous-entend ce petit État de Morenest Neutre : l’histoire de l’Europe moderne, son passé ouvrier, ses frontières et ses guerres. Les anecdotes, souvent truculentes, tournent à l’absurde le jeu des grandes puissances et la bêtise de la bureaucratie. Moresnet Neutre, souvent piétiné par l’histoire, passe presque pour une forme d’utopie : un confetti fait par les diverses migrations, et défait par les conquêtes et les nationalismes. À lire absolument.

Sans avoir déménagé une seule fois de sa vie, il a été successivement citoyen d’un État neutre, sujet de l’empire allemand, habitant du Royaume de Belgique et citoyen du Troisième Reich. Avant de redevenir Belge, ce qui sera son cinquième changement de nationalité, il est emmené comme prisonnier de guerre allemand. Il n’a pas traversé les frontières, ce sont les frontières qui l’ont traversé. (p.63).

Récit Zinc David Van Reybrouck, Actes Sud, novembre 2016, 80 pages, 8,50 euros

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