Maclow, ville concentrationnaire qui s’effondre sur elle-même dans la négation de toute valeur. La Fièvre devient l’avant-garde infectieuse de ce cauchemar nihiliste. Mais Nature a généré les Ombres pour hanter le cerveau des humains afin de les pousser à subvertir la réalité. Le Bourvaine fait partie de ces ombres. Le Langage est son devenir. Il revient cinquante ans après dans sa ville d’origine : Maclow. Mais la Fièvre est la règle. Le langage de Bourvaine se révèlera-t-il dans ce bourbier ?
Yann Bourven, Maclow Ville-Fièvre
Yann Bourven, Maclow Ville-Fièvre

Yann Bourven est un écrivain authentiquement contemporain. Qu’est-ce à dire ? Il ne cède en rien à un modernisme échevelé ou à une postmodernité aux accents apocalyptiques. Dans une optique houellbecquienne, ce jeune homme sous tension a parfaitement saisi que la littérature abandonnée à elle-même produit une artificieuse fiction au vide le plus souvent abyssal quand bien même elle se targue de parler sur ou au nom du monde. En évacuant la poésie de son centre, la littérature devient un monstre tiède. “Je sais tes oeuvres: tu n’es ni froid ni bouillant. Que n’es-tu froid ou bouillant! – Mais parce que tu es tiède, et non froid ou bouillant, je vais te vomir de ma bouche.” (Apocalypse, III, 15-16)

Maclow, la ville-fièvre devient la scène de ce spectacle du monde tiède, bercé d’un apaisant ennui consumériste et d’une amnésie programmée. Amnésie promise à ceux qui voudraient avoir l’audace de soutenir que l’humain c’est aussi la douleur, la colère, la rage, la violence, la révolte et non le seul pacifisme béat d’un égal accès aux biens matériels. Pour contrer les réfractaires, on a lâché aussi la Fièvre, maladie artificielle mais prétexte très réel pour enfermer ou abattre. Mais surtout pour pousser plus loin la déshumanisation. Les habitants de Maclow sont l’avant-garde de la promesse d’un nouvel âge de l’humanité : le neghumain. Clone naturel généré par l’homme à force d’auto détestation. Alors surviennent les Ombres, existence-inexistantes, chargées de hanter les cerveaux mollement endormis dans les graisses conformistes. Alors survient Le Bourvaine, ombre-ogresse du poète qui revient hanter la ville méconnaissable de son enfance admirée autant qu’abîmée.

Qu’est-ce que j’attends réellement ? Pourquoi renaître ici, cinquante plus tard, dans cette Ville-Fièvre, cette prison de malheur ? (p.79)
Mon ventre me fait souffrir, comme s’il allait s’ouvrir… et répandre son Langage de douleur… Je dois me ressaisir – c’est l’heure – ma voix est prête, il va faire nuit, il est temps. Ecoute-moi, Maclow ! Chaque nuit, tu subiras le Langage d’une Ombre ! (pp. 115-116)

 L’ombre-ogresse du poète voudrait délivrer les habitants de la ville, les libérer d’un esclavage déjà plus qu’à moitié accepté. Il ne lui suffit pas de constater et de pleurer dans la beauté d’un chant. Inadapté, il se fera dévoreur, ingérant dans son existence spectrale la cervelle des rares éveillés qui se savent perdus, mêlant au sien leurs propres langages de douleur.

Maclow Ville-Fièvre est un récit tissé d’incantations et de décantations. Beauté intransigeante et saisissante d’une fin. C’est sans issue, crépusculaire. Le langage est tout entier comme une flamme vacillante de feu-follet. Il résiste avec rage bien qu’il sache déjà qu’il devra s’éteindre lorsque prendra fin l’ignoble décomposition dont il tire son énergie esthétique.

Cela étant, là où pèche la langue poétique de Yann Bourven, c’est dans l’antienne très (trop) actuelle contre le « système ». Ce non-nom qui ne désigne plus rien. Il est regrettable de mêler des considérations peu ou prou intempestives à une lave poétique  puissante et grinçante. La poésie ne saurait avoir de camps ; sitôt qu’elle en choisit un, elle tourne à l’hémiplégie littéraire et à la parole fausse (leçon génial du poète Armand Robin). En outre, ce choix en entraîne un autre. Dommageable. Le parti-pris des contestataires, des rebelles. L’ogre-poète se repaît d’une violence qui est celle de toutes les tyrannies. Il n’y échappe pas, car il n’y eut jamais qu’une seule violence ; c’est la leçon sublime du poète Georges Haldas, l’état de poésie s’oppose absolument à l’état de meurtre.

Il n’en demeure pas moins que ce texte à l’immense mérite de jeter des flammes aussi sépulcrales qu’aveuglantes sur le sort que pourraient bien réserver à ses enfants-poètes certaines orientations techno-philosophiques de nos sociétés occidentales. La fougue poétique, nerveuse et fébrile de Yann Bourven claque et flambe dès lors comme une fusée d’alarme du logos dans une nuit sans étoile aux cieux des villes-mondes de l’Occident assoupi.

Yann Bourven, Maclow Ville-Fièvre, éditions Sulliver, 2011, 127 p., 12 €  
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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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