Avec Sanford Parker (Voivod, Pelican, Leviathan…) aux manettes et deux ex Planes Mistaken for Stars, l’album Refractory Obdurate (réfractaire obstiné) mène le talent de David Eugene Edwards et la musique de Wovenhand vers les sommets d’une grâce rock’n rollienne authentiquement rageuse et extatique. Se démarquant du même coup des restrictions du désormais « classique » Denver Sound.

 

Il y a treize ans, Wovenhand devait être pour David Eugene Edwards (Dee) un simple projet annexe lors d’une pause dans la carrière bien agitée de son groupe 16 Horsepower. Pionnier du renouveau du style americana, 16 HP mêlait avec talent les basiques de la country, l’énergie frénétique du rock et la tranchante rugosité d’une certaine « cold wave » européenne (sans doute, outre l’admiration de Dee pour Joy Division, l’apport du bassiste français Pascal Humbert, Tanit, Passion Fodder, aujourd’hui Detroit avec Bertrand Cantat), tout ce qui fait les caractéristiques de ce qu’on se plaît à nommer le Denver Sound (Jay Munly, Slim Cessna’s Auto Club, le producteur Bob Ferbrache…).

David Eugene Edwards (source  : opus.fm)
David Eugene Edwards (source : opus.fm)

Lorsque 16 Horsepower cesse d’exister en 2005, Wovenhand a déjà 4 albums, aussi cinglants que singuliers, à son actif (Wovenhand, Blush, Consider the Birds et Mosaic). Il ne fait aucun doute que ce sera désormais l’écrin privilégié des compositions de Dee. Dès l’origine, le seul autre membre permanent de ce projet est Ordy Garrison, percussionniste et ami d’enfance de Dee. Il apporte un jeu de batterie tribal et mélodique, à la fois subtil et puissant qui sera et demeure, avec la voix écorchée de Dee, un des marqueurs positifs des compositions de Wovenhand. Autres ingrédients incontournables de la musique de Dee, le son tempétueux de la Gretsch Falcon et les arpèges envoûtants du banjo-mandoline. Ce dernier si prégnant dans les albums précédents (en particulier le splendide et orientalisant Threshing floor) n’avait guère trouvé d’espace d’expression dans le dernier en date The Laughing Stalk, plus puissamment électrique

Wovenhand Refraction Obturate
Wovenhand Refraction Obturate

Réfractaire obstiné : « même les rebelles habiteront avec l’Éternel » (Ps. 67). Moins massif, moins homogène pour ce qui est de l’électrification que The Laughing Stalk, Refractory Obdurate apporte un équilibre salutaire à l’ensauvagement de la musique de Wovenhand, sans rien perdre de son urgence incisive et de sa sincérité intègre. Il n’est en rien non plus moins biblique (certains titres le démontrent à eux seuls, King David,  l’exaltant Salome , intégrant un schéma très cold-wave à un extatique hymne blues-rock déjanté …). La foi intègre et intense de Dee trouve encore une fois un exutoire à sa mesure. L’urgence l’immédiateté quasi frénétique de ce rock exalté (Masonic Youth, Hiss, froid déferlement d’un post-punk épique et sprirituel, Field of Hedon) se conjugue parfaitement à la certitude exprimée par Dee à la manière d’un roi David.

Rien de commun avec la pop-rock de minets louangeurs. La voix impérieuse s’élève et se tend, fil d’acier barbelé en fusion, prêchant, invoquant comme prise au beau milieu d’une tempête de sable dans un désert chauffé à blanc. Trois chants essentiels retrouvent tout de même la voie d’une certaine introspection, lumineuse dans de glaciales et chaotiques ténèbres (The Refractory, Obscura Obdurate, El-bow). Ce sont aussi ces titres qui renouent avec l’orientation plus expérimentale des premières productions. À l’image de sa pochette cet album à la gloire des « réfractaires obstinés » assemble dans une unité colorée les meilleurs aspects de la fougue musicale de Wovenhand, véritable pont entre les époques, celle millénaire du chant psalmique, et celle de l’urgence électrique du rock le plus brûlant, le plus radical et le plus profond. Une image sonore de ce paradoxe vivant que l’admirable Simone Weil avait ainsi défini : la pesanteur et la grâce !

Wovenhand, Reftractory Obdurate, Glitterhouse records, 2014

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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