J.R. HeltonLe titre français de ce livre m’a quelque peu induit en erreur : j’ai cru en effet que j’allais lire trois cents pages d’une descente aux enfers. En réalité, Voyage au bout de la blanche est le récit lucide, autobiographique, d’un homme qui a toujours fait en sorte de ne jamais se laisser abuser par les multiples substances qu’il consomme. Multiples, car il ne s’agit pas spécialement de blanche, mais de tout (le titre original, d’ailleurs, est Drugs, ce qui est plus exact au regard de son contenu). Les éditions 13e note proposent une littérature contemporaine anglo-saxonne, mais aussi française et latino, axée sur notre postmodernité en ruines. Avec ses antihéros ébréchés, ses zones urbaines débarrassées du discours touristique, on touche du doigt la purée, comme chantait Gainsbourg. Dans le réalisme souvent glauque et drôle de la collection Pulse (qui réédite au format poche les titres initialement parus chez 13e note), le livre de J.R. Helton trouve parfaitement sa place.

J.R. HeltonJ.R. Helton est né à Houston en 1962 et a grandi au Texas. Depuis une trentaine d’années, tout en écrivant et publiant dans la presse underground, il a exercé de multiples emplois : il a vendu des citrouilles, coupé du bois, dirigé des équipes d’ouvriers des chemins de fer, peint des décors de cinéma, géré un sanctuaire animalier, travaillé sur des chantiers de construction. Il donne actuellement des cours d’écriture à Trinity University et à l’université du Texas, à San Antonio. Les éditions 13e note ont déjà publié de lui un recueil de textes regroupés sous le titre Au Texas, tu serais déjà mort. Il s’agit d’un constat lucide de la vie américaine, sans fioritures, mais toujours abordé sous l’angle de l’homme de la rue. L’humour y tient une bonne place.

Ce point de vue se retrouve dans Voyage au bout de la blanche. Helton raconte sa vie, mais de manière jamais ennuyeuse et si je dis que le titre français m’a induit en erreur, c’est parce que, n’ayant jamais entendu parler de cet écrivain, je m’attendais à une histoire extrêmement sordide, aux turpitudes d’une racaille à hauteur de seringue usagée dans une arrière-cour. Il n’en est rien. Helton n’est pas un criminel, c’est, pourrait-on dire, un homme ordinaire qui a fait ses bêtises comme beaucoup de jeunes gens, a flirté un peu à droite et à gauche, a toujours essayé de s’en sortir en cherchant du travail. C’est précisément cela qui rend absolument fascinant le récit de sa consommation massive de drogues et de médicaments. Aucune perversité dans cette attitude, mais de la curiosité, et aussi, de façon très concrète, le besoin de soulager des douleurs physiques intenses (au niveau du dos) engendrées par des années de travail sur des chantiers, ou en extérieur d’une manière générale. On est donc prié de remiser les discours moralisateurs, à la lecture de ce livre.

Quelques turpitudes tout de même, surtout dans la première partie du texte ; avec le temps, Helton s’est quelque peu assagi. Mais il est vrai que d’un bout à l’autre de ce récit, nous assistons à un véritable festival : marijuana, cocaïne, héroïne, ecstasy, opiacés, anxiolytiques, protoxyde d’azote… Tout, je pense qu’on passe à peu près tout en revue, dans ce domaine. Il est vraiment très intéressant de suivre Helton dans sa description des effets engendrés par la prise de telle ou telle substance, ou de tel et tel mélange, comment cela modifie éventuellement ses rapports aux autres. L’auteur, cependant, ne tient pas du tout à « effrayer le bourgeois » ni à « corrompre la jeunesse » en jouant au bad boy séducteur. Ses comptes-rendus sont précis, ses souvenirs racontés de façon directe, parfois crue, mais sans honte ni forfanterie.

La dernière partie du livre s’ouvre sur les considérations de Helton devant le spectacle d’une Amérique littéralement transformée, à ses yeux, en effrayante fabrique de junkies. Cela peut sembler paradoxal au vu de ses expériences personnelles, mais, encore une fois, l’auteur n’est pas là où on l’attend. De plus, il ne stigmatise pas uniquement le trafic de drogue (que ce soit par la frontière mexicaine, qu’il connaît bien et décrit de façon magistrale, ou par d’autres réseaux), mais considère en fait que les USA sont une nation de drogués, aussi bien par la prise de substances déclarées illicites que par la consommation de substances socialement acceptées (légales) : tabac, café, alcool. Sans oublier l’industrie pharmaceutique, vouée, selon lui, non pas à soigner, mais à rendre encore plus dépendant. À ses yeux, il ne s’agit pas simplement pour cette industrie de réaliser des gains financiers énormes, mais aussi, purement et simplement, de participer au contrôle de la population exercé par le gouvernement, quelle que soit l’étiquette politique de celui-ci. Sous ce rapport, Helton considère la fascination suscitée par le petit écran comme une addiction complémentaire et très dangereuse pour l’individu.

Voyage au bout de la blanche n’est donc pas un livre amusant à strictement parler, même si certains épisodes de « défonce » peuvent faire sourire. Il ne s’agit pas d’une mise en garde même si les propos de l’auteur, ça et là, expriment une attitude lucide. Il ne s’agit pas davantage d’un road movie littéraire, quand bien même on s’y déplace beaucoup en voiture, dans des conditions très spéciales. Un brûlot psychédélique, peut-être ? Mais l’objectif, à nouveau, n’est pas de scandaliser ni de faire peur. Il se pourrait bien en définitive que Voyage au bout de la blanche soit le livre d’un homme qui, tout simplement, ne triche pas.

Paul Sunderland

Le samedi, il y avait une soirée chez Jill. Corky et Gary sont arrivés les premiers et on s’est tous installés dans le séjour. On a fumé du crack et maté des cassettes vidéo. Un peu plus tard, une bande d’étudiants de New Braunfels a déboulé et Corky et Gary ont disparu avec quelques-uns d’entre eux dans une des chambres au fond de la maison. Susan, Jill et moi étions à la cuisine, occupés, en maintenant des fioles dans l’eau bouillante et dans la glace, à baser la cocaïne et à la fumer. On est restés presque toute la soirée à la cuisine, consommant en égoïstes, tandis que la chambre du fond était le théâtre d’allées et venues incessantes. Vers quatre heures du matin, on a remarqué que la maison était drôlement silencieuse.

— La fête est finie, j’imagine, a dit Jill.
Elle a tiré une bouffée de la pipe en verre, l’a gardée un moment dans ses poumons, puis m’a soufflé la fumée dans la bouche.
— On devrait peut-être aller quelque part, a dit Susan.
Elle a pris une bouffée et m’a tendu la pipe.
Corky est entré dans la cuisine, d’un pas lent. Il m’a regardé.
— Viens voir.
J’étais en train d’allumer la pipe en verre.
— Quoi? Je suis occupé.
— Faut vraiment que tu viennes voir.
Je l’ai dévisagé. Il avait le visage blême, les yeux exorbités. J’ai inhalé la fumée et passé la pipe à Susan, avant de suivre Corky dans la chambre du fond.
Gary et une pute à crack d’une maigreur invraisemblable fixaient le lit. Un grand jeune homme aux longs cheveux blonds était étendu sur les draps, dans une position inhabituelle. Son visage avait une teinte bleutée, ses yeux étaient grands ouverts.
— Il est mort, a dit Corky.
J’ai hoché la tête.
— Ouais.

J.R. Helton, Voyage au bout de la blanche, 13e note éditions, traduit de l’anglais par Nicolas Richard, oct; 2012, 300 pages, 8€.

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