Retrouvez chaque lundi et jeudi jusqu’au mois de septembre deux nouveaux chapitres d’Une odeur d’incertitude, second roman de Jérôme Enez-Vriad.

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Juste un Baiser

L’ambiance est à la quiétude et aux clopes. Bärbel m’explique les secrets du mojito suédois à base de rhum ambré, d’oranges en remplacement des citrons, et quelques feuilles de basilique frais sont ajoutées à la menthe. Guido reste muet. Une télécommande pour micro, il mime le play-back d’un vieux tube explosé par les amplis. Je demande s’il est possible de baisser. Il pousse le son au maximum. Se met à danser de manière suggestive en direction de la piscine. Et plonge. Une fois ressorti à la force des bras, il se déshabille et jette ses vêtements trempés dans tous les sens. Splash ! fait son T-shirt contre la baie vitrée. Là où le tissu glisse, la trace humide décompose au loin le paysage qui semble avoir fondu. Bärbel lève les yeux au ciel en me tendant un verre et nous trinquons.

–       Eh ! Vous pourriez m’attendre.

–       Dis moi Guido, peux-tu nous dire ce que signifie ce striptease de branquignole ?

–       Parce qu’en plus il faudrait que ça ait un sens ?

Je hoche la tête. Les regarde l’un après l’autre. Puis me lance.

–       A propos d’explications, j’ai quelque chose à vous dire.

Quatre pupilles inquiètes se tournent aussitôt vers moi. Respiration. Inspiration. Mes facultés sont encore altérées par le champagne de la nuit. J’essaie de me concentrer sur elle, précisément, cette nuit longue et pétillante où j’ai déballé mes infortunes à une chanteuse de variété. La meilleure chose est d’en reprendre le fil conducteur. Bärbel écoute. Guido fait semblant. Un quart heure plus tard j’en suis au résultat des recherches génétiques. Malgré une augmentation des actes criminels en période estivale, l’inspecteur Varas Suarez a obtenu un passe-droit. Comment ? Pourquoi ? Ne sais-je. Toujours est-il qu’hier, au téléphone, il m’a confirmé que le corps remonté par les pêcheurs n’est pas le sien. Reste la dépouille échouée sur la plage de Burriana. Nous attendions de savoir si elle était en état d’observer une éventuelle circoncision. Là encore, les circonstances relèvent d’un véritable miracle puisque les poissons, d’ordinaire fins gourmets d’appendices humains, n’y ont pas touché, attestant que le corps ne peut avoir reflué depuis les Baléares et qu’à l’évidence il s’agit d’une noyade récente au large de la Costa de Azahar. Pour autant, l’inspecteur n’a rien voulu entendre, arguant d’un ton ferme qu’aucune disparition n’avait été signalée ces derniers jours sur le continent. Nonobstant son prépuce, le macchabé correspond en détail au signalement de Ce-petit-con, et si je m’entête à refuser l’identification il prendra contact avec le consulat afin d’obtenir les coordonnées de sa famille en vue d’une convocation à la morgue.

–       Tout ça pour un bout de zob, lance Guido !

–       Bien entendu, je m’y suis opposé. De famille, il lui reste seulement sa mère avec qui il est en discorde depuis des lustres, et rien ne justifie une telle épreuve malgré leurs divergences. En conséquence, je rejoindrai Luz-Helena demain matin à Barcelone. Ensuite nous descendrons sur Valence reconnaître celui qu’il n’est pas, avant de rentrer par le bateau de nuit. Il va donc falloir retourner chez vos parents quelques jours.

–       Pourquoi ? C’est notre dernière semaine.

Guido me fait penser à lui. Méga solo. Présent mais jamais dispo. Son bon plaisir avant celui des autres et l’instant d’après la noblesse généreuse de mère Theresa. Leurs noms glissent sur le même fil rouge qui me relie à l’un, me délie de l’autre, puis l’inverse… A devenir fou. Sa chevelure saint-sébastianesque blanchie par l’été ressemble à mes vacances, elles aussi effacées des couleurs qui en faisaient le relief quelques semaines en amont. Je regarde en alternance les ondulations spectrales sur l’eau bleue de la piscine et le carrelage ocre du pourtour. On dirait une vieille diapo du ciel à l’encadrement jauni. Le vent s’amuse en oscillations fantomatiques contre le rocking-chair. Je ne dis plus rien. Alors Bärbel s’avance, pose sa main sur mon bras et m’embrasse.

–       J’aimerai qu’un jour quelqu’un m’aime comme tu l’aimes.

–       Je t’aime comme ça, lance Guido en la regardant.

–       Non. Cet amour là ne se dit pas.

 . 

 (untitled)

Jérôme ne supportant pas qu’une personne lui échappe ou ne s’intéresse à lui, fut-elle lui-même, il camisolait son inquétude en vastes plaines de travail offertes au recommencement. La colombienne remuait des hanches comme une danseuse de salsa. Les pages noircies durant la nuit semblaient mettre les parenthèses entre parenthèses. Tout évoluait de manière ascensionnelle jusqu’au petit matin. Il fallait alors attendre que les gamins se lèvent, prennent leur petit-déjeuner, ensuite Bärbel filait à ses multiples occupations de gosse de riches : équitation, parapente et autres sensations éoliennes, pour qu’enfin le vertige redescende à hauteur d’homme dans les bras de Guido.

En fin d’après-midi, Jérôme le pressa d’acheter des fleurs et de les livrer chez la chanteuse. Il se souvenait avoir lu qu’elle appréciait les arômes – pas vraiment faciles à trouver au moins d’août sur une île méditerranéenne. Face à la verdure fleurie du magasin, Guido écarta quelques magnifiques hortensias dont la symbolique détestable en Scandinavie le rebuta puis, sur les conseils de la vendeuse, il élimina encore une brassée de Tokyo blancs (des chrysanthèmes), avant de photographier tous les vases et d’envoyer la boutique par MMS à Jérôme qui finit par choisir des glaïeuls améthyste et roses. Restait à parcourir au plus vite les douze kilomètres en retour pour éviter que les fleurs ne fanent sous la canicule. Le transport instable entre les jambes du jeune homme sur le scooter fut une prise de risque inutile car l’ex Numéro 1 des Carpentier était absente.

Il y avait de la nostalgie dans le bouquet maintenant posé sur la table. Jérôme se rongeait les ongles. Les amitiés se cultivent comme une pépinière mais il n’avait pas hésité à mettre en scène la notoriété d’une femme qui lui faisait confiance. Manière de lancer au lecteur : « Tiens, y’a du beau monde dans l’histoire ! » Etait-ce une trahison déguisée en manque de loyauté ? La fameuse parenthèse entre parenthèse ? Il essaya d’y réfléchir. Chaque nouveau personnage est à se tirer une balle. A fortiori s’il est inspiré du réel dont-il sera au mieux la pâle copie, et au pire une grotesque caricature. C’est ingrat les personnages, vous en faites de véritables héros et ils vous font des bras d’honneur qu’il faut stopper avant que la main ne frappe le creux de la manche. On en sort obligatoirement détruit. A n’aimer personne et avoir peur des autres. Quasi misanthrope.

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Jérôme Enez-Vriad
Jérôme Enez-Vriad est blogueur, chroniqueur et romancier. Son dernier roman paru est Shuffle aux Editions Dialogues.

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