Editions At Play est né en février 2016. Après Google Art Project, un service permettant de visiter virtuellement certains musées, le géant de Mountain View lance, avec Visual Editions, une maison d’édition de littérature numérique. Editions At Play est né en février dernier et compte à ce jour deux publications. Le gourmand Google se prendrait-il pour Gallimard ou Grove Press ? Le googlisme est-il oui ou non une avant-garde ?

 

DU GOOGLISME EN LITTÉRATURE

Google littérature numériqueGoogle a suscité de nombreux néologismes plus ou moins heureux. On googolise ou on googlise. On pourrait même gougueler. Le googlisme existe, mais ne constitue pas, rassurez-vous, une énième secte. Le googlisme fait l’objet d’un site web et permet de définir, selon Jean-Noël Anderruthy, « quelque chose ou quelqu’un en fonction des réponses trouvées dans le moteur de recherche Google ». Nouveau paradigme scientifique ? N’abusons pas. Puisqu’il est question dans cet article de Google et de la littérature, demandons à Googlism.com la définition, à tout hasard, d’avant-garde. Les trois premiers résultats, roulement de tambour : avant-garde is undesirable ; avant-garde is the richest ; avant-garde is woman. Le poète a toujours raison ? La femme est l’avenir de l’homme ?

Google se lance dans la littérature. Sera-t-elle, ou est-elle déjà une avant-garde ? Pourra-t-on parler de googlisme, mais comme mouvement et phénomène littéraire, au même titre que le modernisme, le surréalisme ou le lettrisme ? Un spectre hante le monde : le spectre du googlisme ? Non, pour la bonne et simple raison, esthétique et philologique, que le terme en lui-même s’apparente fortement à celui d’une pâtisserie alsacienne (la rédaction tient néanmoins à préciser qu’elle n’a rien contre l’excellent kouglof).

Google littérature numériqueLa love story entre Google et la littérature a débuté il y a quelques années maintenant. Google Books et ses numérisations ont provoqué la peur et colère des libraires. Depuis 2004, un grand procès sur les droits d’auteur a suscité polémiques et débats. En octobre dernier, la cour d’appel fédérale de New York a donné raison à l’entreprise et son programme de bibliothèque universelle. Google Books est actuellement le plus grand corpus textuel du monde. Un manège apparaît pour certains auteurs, Victor Hugo, pour ne citer que lui. Certains Google Doodles – transformation exceptionnelle du logo pour la célébration d’un événement particulier – ont mis à l’honneur la littérature : le centenaire de l’anniversaire d’Albert Camus le 7 novembre 2013, le 123e anniversaire de la naissance de Marina Ivanovna Tsvetaïeva.

Google littérature numériqueLe 8 février 1916, à Zurich, Tristan Tzara trouvait au hasard le terme dada dans un dictionnaire Larousse : le dadaïsme naissait. Un siècle plus tard, en février 2016, Google Creative Lab et Visual Editions acte la naissance des Editions At Play. Coïncidence ? Message cryptique ? Curieuse généalogie ? Preuve en tout cas que le géant de Mountain View s’intéresse à la littérature. Certes, l’initiative reste avant tout éditoriale. Mais Google At Play, comme toute maison d’édition, possède une ligne éditoriale. Et pas n’importe laquelle : « explorer un nouvelle sorte de livre : celui qui utiliserait les propriétés dynamiques du web ». Le but est clairement de légitimer le livre numérique : « nous voulons montrer que le numérique possède des qualités narratives qui ne peuvent être transférées sur du papier ». Le projet en énumère les sous-genres. Leur liste est longue : notons à titre d’exemple les livres génératifs, algorithmiques, non-linéaires, personnalisés, collaboratifs, en expansion, etc.

Rien de nouveau sous le soleil, Éditions At Play le confesse volontiers lui-même : « Les livres numériques dynamiques – connus aussi sous le nom de littérature électronique – sont en ligne depuis le début d’internet. La littérature numérique est un secteur en croissance et on dénombre de nombreuses applications pour IPad publiées récemment sous la forme de livres qui explorent le potentiel d’utilisation uniquement numérique des romans ». Petite nuance, cependant : si la littérature électronique existe depuis la fin des années 90, Google Editions At Play entend innover sur trois points : « introduire une nouvelle écriture numérique », insister sur un « superbe design », pour « une nouvelle audience ».

Google littérature numérique

Editions At Play a annoncé quatre publications pour la première moitié de l’année 2016. Pour l’instant, deux livres numériques sont disponibles. Entrances & Exits, de Reif Larsen, utilise la technologie de Google Street View pour bâtir une histoire d’amour. The Truth About Cats & Dogs réunit le poète Sam Rivière et le romancier Joe Dunthorne pour un travail minimaliste sur le journal intime. Google At Play se refuse à dénigrer ce qu’il appelle le livre ordinaire ou habituel. Au contraire, ils disent « aimer le livre ordinaire » et « la lecture ». Visual Editions, à l’origine du projet avec Google Creative Lab, est par ailleurs une maison d’édition londonienne qui fabrique des objets somptueux et visuels, par exemple son Don Quixote. Editions At Play propose aussi de publier vos idées de livre : actuellement, six romans restent à l’état de germe sur le site.

LA LITTÉRATURE NUMÉRIQUE

Google littérature numériquePour prendre acte de ce phénomène, il s’agit de comprendre pleinement ce qu’est la littérature numérique. En France, Serge Bouchardon demeure l’un des grands spécialistes en la matière : professeur des universités en sciences de l’information et de la communication à l’université de Technologie de Compiègne, il a notamment publié La valeur heuristique de la littérature numérique. Il est également l’auteur d’œuvres numériques et membre du collectif i-trace. Comme il l’a précisé dans une entrevue accordée aux Fictions Augmentées, « Il faut sans doute distinguer la littérature numérisée (une littérature qui pourrait être également imprimée) et la littérature numérique (une littérature qui ne peut être reçue et agie que sur un support numérique), même si la frontière est poreuse ». Cette littérature numérique, que Google et Visual Editions entendent exploiter, comporte de nombreux genres. Il n’existe pas une littérature numérique, mais plusieurs. La littérature dite hypertextuelle, par exemple, utilise le système de liens hypertextuels pour bousculer la non-linéarité du récit et de sa lecture. S’il est une chose primordiale à comprendre sur la littérature numérique, ce serait qu’elle réalise, ou tente de réaliser, dans le temps et par la technologie des fantasmes anciens ou modernes de la littérature. Parmi ces fantasmes, citons la non-linéarité, la participation active du lecteur ou encore la transdisciplinarité. Voyons ce que Serge Bouchardon nous en dit :

La littérature numérique réactive en effet – sans forcément les « réaliser » – certains fantasmes. Vous citez l’exemple de la non-linéarité. L’écriture de récits non linéaires a souvent fasciné les écrivains. On peut penser à Tristram Shandy (1760) de Laurence Sterne. […] Sur un support numérique, cette non-linéarité peut être programmée et automatisée avec des hyperliens. Un récit hypertextuel sur ordinateur propose ainsi une lecture non linéaire de fragments reliés par des liens. La navigation hypertextuelle permet à chaque lecteur de suivre un parcours unique au sein d’un même récit. Si de nombreux récits ont tenté de rompre avec la linéarité, le numérique propose en soi, intrinsèquement, un système délinéarisé. D’emblée le système est hypertextuel avant d’être textuel ; il s’agit d’une hypertextualité qui peut s’aborder localement comme une textualité. En cela, le support numérique, s’il est toujours à resituer dans la continuité d’une histoire des supports de l’écrit, propose une forme de « passage à la limite ».

Google littérature numériqueSi, toujours selon Serge Bouchardon, « la littérature numérique intègre dans son mode de fonctionnement ce qui avait été souligné par les théoriciens de la littérature et réalise ou plutôt prolonge ce qui avait été tenté par nombre d’auteurs », le confort de lecture s’en trouve parfois compromis. Vous me direz : quand il s’agit d’écriture expérimentale, la lecture n’est jamais simple. Pensons simplement à Finnegans Wake, de Joyce, ou au Festin Nu de Burroughs. Néanmoins, le protocole impliqué dans certains livres numériques peut rendre le résultat, disons, brouillon. Ces œuvres mobilisent parfois plusieurs sens, suscitent une perception visuelle, sonore voire même haptique. Sans aller jusqu’à faire une phénoménologie de la lecture numérique, on constate souvent que l’aspect pluridisciplinaire et transmédial perturbe les habitudes d’une lecture plus traditionnelle. Dans sa présentation, comme nous l’avons vu, Google At Play sous-entend une amélioration au niveau du design, de l’esthétique et de l’ergonomie. Qui plus est, le but reste de faire des livres essentiellement numériques, et donc non transférables en version papier. Il n’est donc pas question de faire des livres numérisées. En somme, Editions At Play entend donner à la littérature ses lettres de noblesse. L’apparition de l’imprimerie, on le sait, a transformé et l’écriture et la lecture. Comme il existe des livres essentiellement numériques, il existe des livres qui furent essentiellement imprimés, à leur époque. C’est le cas, pourrait-on dire, de Don Quichotte, de Cervantès. D’emblée, l’histoire parodique de cet aristocrate dévoré par ses lectures fait rupture par rapport au roman médiéval. Mais, comme le souligne l’historien français Roger Chartier : « chez Cervantès la présence d’une imprimerie dans l’histoire est plus qu’un simple décor. Elle introduit dans le livre lui-même le lieu et les opérations qui rendent possible sa publication ».

Google et sa maison d’édition n’hésitent pas à le dire : ils ne sont pas les premiers à publier des livres numériques. Ils consacrent une page entière à présenter d’autres livres. On retrouve notamment Eli Horowitz, un des grands noms en la matière. Ou encore Tender Claws. En France, la relation au numérique demeure frileuse. Bien que ces chiffres affichent une nette progression chaque année, le marché de l’édition numérique en 2014 représentait 6,4 % du chiffre d’affaires des ventes de livres des éditeurs. En 2013, aux États-Unis, ce chiffre s’élevait à 27 %. D’ailleurs, aucune traduction française ne semble actuellement prévue pour les quatre livres numériques de Google qui sortiront en 2016. François Bon tente, depuis 1996, de donner une image positive de la littérature à l’heure du web. Il a fait paraître un essai à ce sujet, Après le livre. Il a également créé les sites Nerval.fr et Tierslivre.net. Il a surtout fondé la maison d’édition numérique Publie.net.

Google littérature numérique

Le numérique ferait-il peur ? En tout cas, il suscite quelques critiques. La nostalgie des ouvrages encore non massicotés n’explique pas tout. Le traditionnel argument de « l’odeur de l’encre et du papier » non plus. Sur le web, un auteur curieusement nommé Eusèbe Ripolin a tourné en dérision certains aspects de la littérature numérique. Son livre, La Crampe à Gaz, disponible sur Apple Store, se construit sur un générateur aléatoire. Il le présente en ces termes : « roman rousselien, borgésien et oulipien totalement dépourvu de sens, généré par un automate et fondé sur l’idée que toute forme d’écriture actuelle devrait avoir comme premier but d’évacuer le sens ». Cela nous apprend quelque chose sur les critiques adressées au livre numérique : la réalisation dans le temps et par la technologie de certains fantasmes littéraires prend peut-être le risque de l’abstraction. Ce n’est du reste pas une coïncidence si Entrances and Exits, l’un des livres numériques publiés par Editions At Play, se présente comme « une histoire d’amour borgésienne à travers Google Street View ». Borges demeure clairement l’auteur de référence concernant le livre numérique. L’écrivain argentin, plus que quiconque, a rêvé d’une écriture labyrinthique, d’un dédale hypertextuel. Il a écrit le fantasme babélien d’une bibliothèque universelle. Fait intéressant : un auteur new-yorkais, Jonathan Basile, a monté en 2015 le site Library of Babel qui réalise par un algorithme le rêve littéraire de la nouvelle de Borges. La dénonciation d’Eusèbe Ripolin va cependant plus loin, comme il l’explique lors d’une entrevue donnée aux Fictions Augmentées :

Ce qui est scandaleux et que je dénonce est l’institution Apple pour son système de publication d’e-books soi-disant « modéré » qui permet à tout un chacun de publier urbi et orbi à peu près n’importe quoi, donc de contribuer à la dégradation du sens. Ils prétendent que tous les projets sont examinés avant d’être publiés, ce qui est vraisemblablement et partiellement faux. Je présume que la même expérience et la même dénonciation pourraient être effectuées sur d’autres plateformes de publication électronique. Je vous signale à toutes fins utiles que je suis allé encore plus loin en publiant sous le même pseudonyme et dans la même collection un second ouvrage intitulé Le Livre blanc comportant 128 pages absolument vierges et qu’il est toujours en ligne.

GOOGLE EST-IL VISIONNAIRE ?

Google littérature numériqueIl n’y a rien d’étonnant à ce que Google s’attelle à l’édition et la littérature. Il y a dans l’entreprise américaine Alphabet (nouveau nom donné en 2015 à la société Google) une ambition totalisante. Google n’est pas seulement un moteur de recherche, mais dispose d’une multitude de services. On se repère sur Google Maps, on lit les actualités sur Google News, on lit des livres sur Google Books, on réserve ses vols sur Google Flights. Google, Google, et encore Google. On utilise Gmail, on achète des applications, on accepte d’être géolocalisé. Les publicités contextuelles pourraient nous effrayer, nous continuons. Google aime à s’inscrire dans l’idée originelle d’un internet libertaire. Dans un dossier de la revue Multitudes consacrée au géant de Mountain View, Michaël Vicente a raison de se demander si Google est un libertarien de gauche. Google At Play affiche cette bienveillance : ils aiment le livre ordinaire et ils adorent les autres livres numériques publiés avant eux. Le slogan de Google n’est-il pas Don’t be evil, c’est-à-dire, littéralement : ne soyez pas malveillants ? Si les Google Glass n’ont pas eu le succès escompté, et donc que la réalité augmentée reste encore loin, l’entreprise s’est rapatriée sur la réalité virtuelle, notamment avec Google Cardboard. Grâce à ce masque, l’entreprise révolutionne l’idée même du tourisme en proposant un voyage immersif. Résultat : vous pourrez observer la Joconde sous tous les angles, les touristes japonais en moins, visiter la Californie ou écouter un concert de Paul McCartney.

Google se voudrait visionnaire. Les services proposés, notamment par le Google Creative Lab, dénote la relation structurelle qu’entretient le capitalisme cognitif, dont l’entreprise est un modèle parfait, et la notion d’avant-garde. Rien que sur le management, Google cherche à tout prix l’innovation : ses ingénieurs sont invités à consacrer 20 % de leurs temps de travail à des projets personnels. Comme l’explique Bernard Girard lors d’une entrevue accordée à Multitudes, « elle permet ensuite, et surtout, de mobiliser l’imagination de ses ingénieurs ». La question concernant cette initiative éditoriale serait alors la suivante : Google est-il visionnaire en investissant dans la littérature numérique ?

Google littérature numériqueOui et non, bien entendu. Non, parce qu’il existe déjà des maisons d’édition numérique. Mais le projet Editions At Play pourrait donner à la littérature numérique un essor conséquent, et qui sait ? Lui accorder le lectorat grand public qui lui manque et les classiques qu’elle ne possède pas encore. La puissance médiatique et financière de Google est considérable. La recherche sémantique, le SEO (optimisation pour les moteurs de recherche) seront vraisemblablement du côté des Editions At Play. Pour autant, il faut bien se garder de considérer Google comme un éclaireur en la matière. Comme nous le dit Serge Bouchardon, si « la littérature numérique s’inscrit dans la continuité de la modernité littéraire », il s’agit « de littérature expérimentale plutôt que d’avant-garde ».

La création des Editions At Play constitue probablement un symptôme de l’expansion de la littérature numérique. En somme, la question revient à savoir si cette littérature possède oui ou non l’avenir que certains lui refusent, mais que d’autres lui promettent. Pour aller plus loin, on pourrait même se demander : la littérature numérique est-elle une littérature ? Sur ce point, à chacun son propre jugement. Nous prendrons, pour aborder le sujet, trois exemples : un récit sur Google Street View d’Olivier Hodasava, le cas de Proust et du modernisme et enfin l’iconophobie de Gustave Flaubert.

Google littérature numériqueLes Editions At Play participe à l’élaboration et la diffusion d’une littérature que l’on pourrait qualifier d’augmentée. Entrances and Exits, nous l’avons vu, se présente comme « une histoire d’amour borgésienne à travers Google Street View ». Ce service de Google augmente effectivement le texte. Pour autant, nulle ubiquité là-dedans : la lecture ne peut se pratiquer simultanément à la perception de l’image. Le livre numérique possède-t-il pour autant l’intensité de la réflexion menée par Olivier Hodasava dans Éclats d’Amérique ? Dans ce livre publié aux éditions Inculte, l’auteur du blog Dreamlands Virtual Tours enrichit seulement son texte par quelques captures d’écran. La narration questionne ce mode d’être au monde et renouvelle le récit de voyage. Le lecteur, pour autant qu’il connaissance Google Street View, non seulement n’échappe pas à l’immersion, mais en plus rentre sur le long terme dans une narration. Le livre numérique de Reif Larsen se lit, selon la présentation, en une heure. L’assertion selon laquelle, lire, ça prend du temps, trouve là une facile résolution. Le roman ne se savoure-t-il pas sur un temps de lecture conséquent ? Pascal Quignard écrit : « Il y a dans lire une attente qui ne cherche pas à aboutir. Lire c’est errer. La lecture est l’errance ». Bien entendu, on pourrait arguer que la littérature hypertextuelle réalise cette errance. Mais la complexité technologique de ces objets perturbe souvent cette lenteur essentielle de la lecture. Du reste, les temps de lecture restent brefs. Google propose là, non de la littérature de gare, mais de la littérature pour arrêt de bus.

La littérature doit-elle vraiment être augmentée ? On cite souvent les écrivains modernistes, de Proust à Joyce en passant par Musil, lorsqu’il s’agit de noter des innovations littéraires incroyables. Le nivellement du temps et la foliation des sentiments à l’œuvre dans la phrase de Proust stratifie son écriture, mais sur un mode continuel, sur le seul régime de l’écriture. La transdisciplinarité, souvent à l’œuvre dans la littérature numérique, s’offre sur un mode discontinu. L’œil s’y éparpille. Le risque demeure l’éclatement. Quant à la collaboration, par exemple dans le cas de The Truth about cats and dogs, elle évacue le travail solitaire de l’écrivain. Mais sur ce point, après tout, la littérature numérique n’a pas inventé le collectif ou l’écriture à quatre mains. « La pensée mise en commun est une pensée commune », disait Léo Ferré dans Préface. La question reste posée.

La littérature, appelons-la traditionnelle, paradoxalement, demeure plus virtuelle que la littérature dite numérique. Virtuel au sens d’être en puissance. Flaubert ne voulait pas que l’on représente son héroïne Emma Bovary. Il écrit le 12 juin 1862 :

Jamais, moi vivant, on ne m’illustrera, parce que la plus belle description littéraire est dévorée par le plus piètre dessin. Du moment qu’un type est fixé par le crayon, il perd ce caractère de généralité, cette concordance avec mille objets connus qui font dire au lecteur : « J’ai vu cela » ou « Cela doit être ». Une femme dessinée ressemble à une femme, voilà tout. L’idée est dès lors fermée, complète, et toutes les phrases sont inutiles. Tandis qu’une femme écrite fait rêver à mille femmes.

Google littérature numériqueL’universitaire allemand Joachim Paech a raison de dire que « l’intermédialité est en vogue ». Ce terme définit la relation entre un médium et un autre, par exemple le texte et l’image. La littérature numérique en fait grand cas. Les deux œuvres publiés par Google et Visual Editions le prouvent. Comme on l’a dit plus haut, on aime ou on n’aime pas. Les goûts et les couleurs, hein ? Mais la littérature a-t-elle besoin d’être augmentée ? Il y a dans cette volonté de faire de la littérature un art total l’aveu d’un échec : l’écrivain numérique se débarrasse des limites inhérentes à l’écriture et, par là même, en évacue précisément son essence. La littérature numérique n’est plus la littérature : peut-être nécessite-t-elle un autre nom. Considère-t-on, parce qu’il en porte en partie le nom, que le light painting fait partie de la peinture ? Je ne pense pas. Elle appartient à la photographie, tout comme cette littérature numérique appartient, par exemple, à l’art en ligne, et tout autant finalement à la vidéo qu’à la littérature. Google ne se lancerait donc pas dans la littérature : elle investit plutôt les excroissances qui, demain peut-être, feront germer un nouvel art.

Par ordre d’apparition dans le texte, les ouvrages, articles ou sites web cités.

Le site Google Editions At Play

Jean-Noël Anderruthy est notamment l’auteur de Google est à vous : Tout sur la recherche avancée et les services en ligne, aux éditions ENI. Ce livre dispose notamment d’un important lexique Google.

Les citations qui suivent ont fait l’objet d’une traduction de la part du journaliste. La version originale est consultable à cette adresse.

Pour voir le travail universitaire et littéraire de Serge Bouchardon et l’entrevue accordée aux Fictions Augmentées

La valeur heuristique de la littérature numérique, Serge Bouchardon, Editions Hermann, janvier 2014, 344 pages, 32 € .

La conférence de Roger Chartier sur Don Quichotte et l’imprimerie.

La Crampe à gaz, d’Eusèbe Ripolin et l’entrevue donnée aux Fictions Augmentées

Library of Babel

Revue Multitude n° 36

L’interview de Bernard Girard

Éclats d’Amérique (Chronique d’un voyage virtuel), Olivier Hodasava, Éditions Incultes, 2014, 16 €.

Dreamlands Virtual Tour

L’intermédialité chez Flaubert

Article précédentZOO nouvel album de Françoiz Breut, un mélodieux bestiaire (entretien)
Article suivantRégion Hauts-de-France, la France s’habille de haut en bas

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici