Le 11 mars 2014 s’ouvre au musée d’Orsay l’exposition « Van Gogh / Antonin Artaud, Le suicidé de la société ». Belle occasion de découvrir la dernière biographie consacrée au génie hollandais. Elle est parue chez Flammarion durant l’hiver dernier. Une somme remarquable qui aspire à devenir un ouvrage de référence. Pari réussi ?

 

La vie de Vincent van Gogh par Steven Naifeh et Gregory White _Smith

D’abord, il y a l’objet : 1200 pages serrées, touffues, un bloc de papier de plusieurs centaines de grammes, une belle couverture sans titre. Un bel ouvrage. Caractéristique technique qui n’est pas anecdotique mais essentielle. De fait, lorsque vous prenez le livre en main, vous savez immédiatement ce qui vous attend : une biographie de Van Gogh (un de ses auto-portraits est en couverture) et une édition qui se veut incontournable, la somme de dizaines d’années de recherches.

van gogh, vie, biographieL’ampleur de la tâche et le nombre d’heures consacrées à la lecture de l’ouvrage sont en soi déjà un élément positif : le lecteur va vivre avec Vincent durant plusieurs jours, le suivre à la trace presque quotidiennement, deviner ses pensées, imaginer ses attitudes, ses angoisses. Et peu d’espace pour l’imaginaire ou les supputations : les auteurs s’appuient essentiellement sur la prodigieuse correspondance entre Vincent et son frère Théo pour établir cet itinéraire psychologique et géographique d’une vie débutée le 30 mars 1853 à Groot Zundert et achevée le 29 juillet 1890 à Auvers sur Oise. Correspondance unique qui, à l’image de celle de Flaubert, éclaire l’homme, l’œuvre et sa gestation souvent violente, toujours dévorante.

van Gogh, Steven Naifeh, Gregory White SmithCe Van Gogh permet de suivre pas à pas cet adolescent qui apparaît aux yeux de tous comme exalté. Un enfant différent qui est né un an, jour pour jour, après le décès de son aîné mort-né déjà appelé Vincent – signe funeste d’une vie débutant sous le signe de la mort. Qui plus est, les auteurs mettent l’accent sur la nostalgie de son Brabant natal que le peintre gardera toujours lors de ses voyages et dans sa vie intime, surtout lors des périodes de Noël.

van Gogh, Steven Naifeh, Gregory White SmithDe fait, à chaque étape d’un itinéraire que nous suivons pas à pas, s’affiche dans l’esprit de Van Gogh une idée fixe, une obsession ou, plus exactement, une exaltation. À Londres, il tente de réussir dans le métier de « vendeur d’art » où il se montera complètement inapte, devenir prédicateur à Ramsgate ou Amsterdam, évangéliste à Bruxelles, catéchiste laïc dans le Borinage où il frôlera la mort à la suite d’un excès de ferveur religieuse. À chaque lieu s’attache ainsi une névrose particulière en lien avec une crise existentielle différente .

van gogh, vie, biographieAu delà de l’événementiel, cette correspondance exceptionnelle, décryptée avec l’aide des chercheurs du musée d’Amsterdam, est à elle seule un véritable musée. Musée d’images, de crayonnés, de croquis et surtout de « tableaux de mots », ces descriptions littéraires de ce que voit Vincent, descriptions parfois aussi belles que ces tableaux. L’homme qui ressort de cette période est un homme que l’on qualifierait aujourd’hui de « marginal », asocial, tyrannique et, à vrai dire, peu sympathique. Il est en quête d’un absolu. Absolu dans la contemplation de la nature, dans la fraternité avec Théo, dans l’imagerie artistique qu’il collectionne et qu’il imagine, sombre par ses thèmes et sa tonalité.

van gogh, vie, biographieChangement de lieu, changement d’obsession : en 1880 à Cuesmes, Vincent abandonne la religion et décide « une nouvelle voie : il sera peintre. Van Gogh se jette avec exaltation dans sa nouvelle quête. Et là commence la frustration du lecteur à la lecture de cette somme. À trop vouloir maîtriser la réalité, à se priver de subjectivité, le passage du piètre dessinateur, besogneux, sans talent, à l’artiste génial, est réduit à des faits, des événements. Ces phases de maturation intense, ces recherches permanentes qui vont enfin, à la demande expresse de Théo, lui permettre d’éclaircir sa palette sont exprimées avec une écriture plate et sans passion. Le tableau des auteurs manque de couleurs et de vie. Dans ses lettre, Van Gogh crie, hurle, vitupère, angoisse ; cette vie, ou cette peur de la vie, que sut traduire David Sweetman dans sa biographie “Une vie de Vincent Van Gogh”, ne transparaît pas ici. Ou bien peu.

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Reste que le déroulement chronologique parfait permet de prendre conscience de la brièveté de l’expression du génie du peintre hollandais. Quatre années durant lesquelles Vincent peint une à deux toiles par jour dans un traitement pictural violent, par le dépôt sur la toile elle-même de la peinture, par touche frénétique. Comme si dix années de maturation médiocre avaient permis, lorsque la voie était enfin trouvée, de poser en des temps très brefs sur la toile des images emmagasinées par son imaginaire depuis les débuts chez Goupil. Le semeur gris et besogneux dessiné selon les tonalités de l’École de Barbizon devient cette silhouette incandescente brûlée par le soleil couchant de Provence. Les arracheuses de pommes de terre de Nuenen appliquées sur leur labeur font place aux taches à peine esquissées mais flamboyantes du Pont de Langlois en Arles. La sieste au style académique de Millet est transformée en ode à la lumière et à la chaleur. Contrairement à Gauguin, Van Gogh ne cherche pas à aller au delà de la nature (il a besoin d’être toujours “sur le motif”), il veut en tirer la substance en recréant par la touche et la couleur, l’émotion ressentie en direct.

van gogh, vie, biographieUne vie pour cette transformation. Une vie de souffrance pour passer de la mine de plomb à la palette de couleurs primaires ou secondaires non mélangées, du dessin minutieux à la touche violente et épaisse, de l’apprentissage besogneux à l’expression du génie, rare exemple d’une maturation indispensable à l’explosion d’une œuvre unique, si loin du talent inné et précoce d’un Picasso à venir.

Toute la vie de Van Gogh est traitée ici avec la même van gogh, vie, biographieimportance : sa jeunesse comme les quatre dernières années de sa vie prolifique. Le lecteur n’apprendra rien dans cet ouvrage sur la création de ces peintures uniques (la découverte de la lumière et de la couleur par la visite du Rijksmuseum lors de son inauguration en octobre 1885 paraît ainsi assez simpliste). Mais il saura presque tout sur le destin d’un homme hanté par une tâche à accomplir. Un peintre loin de l’image de l’artiste maudit qui n’a vendu aucun tableau de son vivant (en fait un tableau fut vendu en Janvier 1890 par Théo). Image d’Épinal de l’homme à l’oreille coupée, un homme si proche de son incarnation par Dutronc dans le film de Pialat et si loin du Kirk Douglas de Cukor et Minelli.

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Lors de sa parution en France à la fin de l’année 2013, il n’a été question que des dernières pages de l’ouvrage. Un “épilogue” dans lequel les auteurs affirment que Van Gogh ne s’est pas suicidé. Les “preuves” fournies apparaissent probantes. Ce sont les seules pages qui quittent une écriture maîtrisée et millimétrée, pour s’engager, prendre parti en toute subjectivité. Mais l’essentiel de l’ouvrage n’est pas là. Les questions qui demeurent sont celles de l’explosion du génie du peintre, génie pourtant tardif et précédé d’années de créations médiocres. Qu’en est-il de l’origine de cette “maladie nerveuse” qui dérégla toute la vie du peintre ou encore de l’incommensurable amour entre Théo et Vincent, amour tyrannique et implacable de la part de Vincent, amour fraternel cependant qui les mena vers la mort à quelques semaines de distance ?

À ces questions les auteurs ne répondent pas. Certes, les réponses existent elles ? Pourtant quand on observe la plupart des tableaux du peintre, on semble posséder certaines clés nouvelles de jugement et de compréhension, tant il est vrai que la vie d’un artiste est indissociablement liée à son œuvre. Preuve de l’intérêt de lire cet ouvrage. Même s’il est imposant et malgré des réserves.

Eric Rubert

van gogh, vie, biographieConseil : Pour vous initier à la peinture et aux œuvres de Van Gogh, préférez van gogh, vie, biographiel’acquisition de l’ouvrage “Van Gogh à l’œuvre” chez Actes Sud (55 euros) et, pour un moindre prix, le remarquable Dossier de l’Art n° 214 intitulé “Van Gogh les dernières découvertes” en introduction à l’exposition “Van Gogh / Antonin Artaud. Le suicidé de la société” qui ouvrira ses portes du 11 mars au 15 juin au Musée d’Orsay. Enfin, si le prix ne vous effraie pas, procurez-vous “Vincent Van Gogh. Les lettres” chez Actes Sud, édition tout simplement exceptionnelle en 6 volumes (380€) avec la reproduction traduite de près de neuf cents lettres. Prodigieux.

Van Gogh, Steven Naifeh (Auteur), Gregory White Smith (Auteur), Isabelle Taudière (Traduction) – Biographie (broché). Paru en 10/2013, Flammarion, 39€

     

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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