Si au moyen d’un Valet de Pique Joyce Carol Oates pique l’attention de son lecteur, c’est qu’elle est une femme de lettres exceptionnelle, véritable machine à écrire. Romans, nouvelles, essais, poésie, elle excelle dans l’analyse psychologique de ses personnages et la maîtrise du suspense. Une fois n’st pas coutume, le roman qu’elle livre cette année est relativement bref, mais elle y traite d’un sujet bien personnel : celui d’un écrivain de romans noirs pris au piège de son double.

Cet équilibre bien maîtrisé par Andrew vacille pourtant suite à l’accusation de plagiat de C.W. Haider, une vieille dame qui écrit des romans noirs depuis sa jeunesse sans jamais avoir eu la chance d’être publiée. Parallèlement, Julia, la fille d’Andrew tombe sur un roman du Valet de pique et y trouve lors de sa lecture des scènes de son enfance, des faits personnels de la vie de son père. Comment cet écrivain inconnu peut-il connaître des détails aussi personnels sur son propre géniteur ?
Ce qui démarrait comme un roman serein à l’écriture sobre devient un récit psychologique addictif grâce à l’évocation par petites touches des failles du personnage principal. Des petites phrases en italiques deviennent l’expression d’une voix intérieure : celle du Valet de pique, le côté sombre d’Andrew, son Mister Hide. Cette fracture intérieure qui ne se dévoilait qu’aux premières heures du matin en écrivant rapidement les lignes du Valet de pique apparaît de plus en plus souvent dans la vie de bon père de famille d’Andrew. C’est là que tout le talent de Joyce Carol Oates s’exprime, en déstabilisant son personnage, en laissant insidieusement entrevoir sa complexité, ses blessures, les expressions de sa dualité.
Mais 
Joyce Carol Oates entraîne son lecteur dans son univers sans une seconde de répit. L’écrivain est par essence un être multiple. Accusation, abus d’alcool, jalousie, réminiscence d’un trouble de l’enfance et un être équilibré peut tout à coup apparaître comme une personne complexe qui n’en finit pas, jusqu’au dénouement, de nous questionner.
Cette grande dame de la littérature continue donc de séduire par la quantité, la diversité et la qualité de ses romans. Et, contrairement à ses habituels pavés, dans ce nouveau roman Valet de Pique Joyce Carol Oates s’est imitée à moins de 250 pages ! Belle occasion de découvrir ou de relire un nouveau Oates.
Valet de pique Joyce Carol Oates, mars 2017, Editions Philippe Rey, traduit de l’anglais (États-Unis) par Claude Seban, 224 pages, 17 €

