Flic, un journaliste a infiltré la police fait grand bruit. Avec cette nouvelle infiltration, Valentin Gendrot donne un coup de pied dans une fourmilière fort ébranlée depuis quelques mois. Sans ni jeter la pierre ni accabler, le journaliste, Rennais de naissance, raconte la vie qu’il a menée dans la peau d’un flic du 19e arrondissement de Paris. Entre violences policières et mal-être au travail, et s’il était temps de regarder en face les dysfonctionnements de la police française afin de restaurer une relation de confiance entre État, forces de l’ordre et citoyens à l’image de celle qui a cours dans le Nord de l’Europe ?

« Ne parlez pas de répressions et de violences policières, ces mots sont inacceptables dans un État de droit », soulignait le Président Emmanuel Macron durant une réunion du grand débat national à Gréoux-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence) en mars 2019. Mais si nous en parlions justement ? Si les violences policières n’étaient plus un tabou en France ?

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Flic, un journaliste a infiltré la police de Valentin Gendrot. Parution : 3 septembre 2020.

L’une des missions principales de la police consiste à assurer le respect des lois de la République et la protection des habitants en luttant contre toute forme de criminalité et de délinquance, mais aussi de racisme et de discrimination. Les agents de police ont un devoir d’égalité de traitement à l’égard de tous les membres du peuple. Tous, sans exception… Pourtant… D’après une enquête du Défenseur des droits datant de 2017, fondée sur un échantillon de 5000 personnes, 16 % de la population française affirme avoir été contrôlée au moins une fois au cours des cinq dernières années. La même question a été posée aux hommes  » correspondant au profil de jeune homme perçu comme noir ou arabe ” de moins de 25 ans ; « 80 % déclarent avoir été contrôlés dans les cinq dernières années », explique Jacques Toubon, Défenseur des droits. (source)

Le témoignage poignant d’Alex, membre d’une unité de police d’escorte à Rouen, avait marqué les esprits en juin dernier. À son arrivée, il apprend l’existence d’un groupe privé d’échanges audio sur WhatsApp, dont fait partie une dizaine de ses coéquipiers. Intrigué par la présence de son prénom dans les messages, il découvre des propos ouvertement racistes, misogynes et antisémites. Certains se revendiquent même du fascisme et du suprématisme blanc. Sur les conseils de son avocate, il dépose plainte (une enquête interne est toujours en cours). Le résultat ? Alex a depuis été muté dans une autre unité… « On entend les responsables policiers ou syndicaux de la police dire benoitement que les policiers ne sont pas plus racistes que les Français et qu’au fond elle est à l’image de la société française […] C’est là qu’est tout le problème. Si la police est aussi raciste que peut l’être le reste de la population, alors forcément elle est déjà trop », déclare Fabien Jobard, directeur de recherche au CNRS, spécialiste des questions de police et de justice pénale, dans la vidéo Violences policières : ensauvagement politique du youtubeur Data Gueule publiée en septembre 2020.

« Un gardÉ À vue se met à cogner sur la porte de sa geôle, Bullit s’agace. […] Le flic dévErrouille la porte d’une cellule, tire l’homme par les cheveux jusqu’à la salle de fouille. […] Bullit lui envoie une première baffe dans le visage, puis une autre, plus forte encore. […] l’épisode ne fait réagir aucun de mes collègues. Est-ce si anodin de frapper un détenu ? », Flic, un journaliste a infiltré la police, p.105

Avec l’augmentation depuis un an et demi de vidéos d’altercations musclées, parfois de bavures, diffusées sur le Web (provenant au début principalement du mouvement des gilets jaunes), la cocotte-minute sociale – où incompréhension, frustration et colère mijotent ensemble – chauffe à gros bouillons. Flic, un journaliste a infiltré la police de Valentin Gendrot s’inscrit dans cette actualité tendue. À l’instar du film Un pays qui se tient sage de David Dufresne, lequel jette une lumière crue sur les opérations de maintien de l’ordre, notamment les manifestations violentes entre gilets jaunes et forces policières. Idem de l’ouvrage « Ne parlez pas de violences policières », une collaboration de La Revue dessinée et de Médiapart. En cette rentrée scolaire, les parutions engagées se multiplient. Toutes, elles aspirent au même objectif : rendre visibles différentes formes cachées de violence policière, verbale ou physique. Alors, entre le gouvernement, qui jette un voile pudique, et les brûlots journalistiques, dans quelle mesure le racisme, les discriminations et les violences policières existent-ils dans le milieu des forces de l’ordre ?

Dans ce dessein, quel meilleur moyen que de devenir soi-même policier ? « Qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils devenus policiers ? Pourquoi sont-ils ici ? Qu’est ce qui les fait tenir ? Pourquoi ont-ils choisi de faire ce métier dans une société française où cette profession est plutôt clivante voire explosive ? » Après s’être interrogé lors d’une manifestation du 1er mai, alors qu’un groupe de policiers passe la matinée à bloquer une seule et même rue, le Rennais Valentin Gendrot décide de revêtir l’uniforme des forces de l’ordre pour comprendre. « Je ne connais personne qui n’a pas d’a priori, bon ou mauvais, sur la police. Le sujet ne laisse pas insensible. La première partie de la population les déteste, la seconde les soutient et dénonce les conditions de travail. Que l’on soit pro ou anti, il n’y a pas de juste milieu. Ce qui m’intéressait était d’aller au-delà de ça justement, au-delà de mes propres a priori aussi », déclare le journaliste.

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Valentin Gendrot

« Je ne savais pas ce qu’était être policier avant de le vivre moi-même »

L’infiltré a opté pour une écriture simple et efficace, un journal de bord. Il y raconte l’ordinaire d’un policier, de sa formation à Saint-Malo pendant trois mois au 19e arrondissement de Paris, en passant par les neuf mois à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de Paris où il a été chauffeur. Deux ans dans la peau d’un policier lambda pendant lesquels il consigne le quotidien d’un « adjoint de sécurité » (ADS) et retranscrit ses questionnements au fur et à mesure qu’il poursuit son infiltration. Valentin Gendrot aurait-il eu accès à autant de faits réels et authentiques s’il s’était présenté en tant que journaliste ? En devenant l’un d’eux, il pénètre dans le « clan » et les masques tombent. Plus de filtres. Et parfois, aux dépens du journaliste.

« Je n’avais pas prévu d’en arriver à faire un faux témoignage pour protéger un collègue qui était allé trop loin (lors d’une intervention pour tapage sonore, un policier dérape et roue de coups un adolescent de 16 ans. L’équipe présente lors de la bavure falsifie volontairement le procès-verbal d’intervention une fois de retour au commissariat, ndlr). J’ai décidé de faire l’effort de mettre cet épisode sous le tapis en sachant qu’il ressortirait plus tard, après l’infiltration. Mais, je vis toujours avec ce cas de conscience sur les épaules, car je n’ai pas agi. Une enquête policière est en cours donc j’ai bon espoir que cela ressorte, que l’adolescent ne reste pas victime de ces violences gratuites et qu’il reçoive réparation. Et surtout, que le policier coupable soit sanctionné. »

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Agression et passage à tabac d’adolescents, de manifestants, de migrants, violences dans les cellules de garde à vue… ces pratiques coupables auraient été encore une fois aspirées par les murs d’un fourgon ou d’une salle du commissariat sans le livre de Valentin Gendrot. Combien de ces actes sont commis dans ces « zones grises » ?

Aucun moyen de le savoir : aucune trace de ces violences, ni écrites dans les bases de données, ni orales sur les radios de la police, « il y a un côté pas vu, pas pris. » Pour autant, la chaîne politique n’emploie pas, refuse même, le terme de violences policières. « Ils parlent d’usage légitime de la force – commente Valentin – sauf que cet usage est parfois illégitime et disproportionné. Ils savent que les violences policières existent, tous ont déjà été témoins de près ou de loin. Ne pas en parler est un moyen de se protéger en montrant son appartenance à cette corporation ».

Sous couvert du maintien de l’ordre, ne pas reconnaître ces actes coupables les rend justement possibles, voire les encourage. « La majorité des policiers n’est ni raciste, ni violente, ni sexiste ; et ces derniers souffrent des injustices causées par une minorité. Et en même temps, la majorité a une part de responsabilité, car elle ne dénonce pas la minorité. C’est une pratique traditionnelle de la police : quoiqu’il arrive, on couvre le collègue », explique Valentin Gendrot.

« La police est un clan. »

Tout le problème est là. Ne pas agir afin de ne pas se mettre en marge, ne plus monter en grade, ne pas être exclu. Mais ne pas agir signifie endosser une responsabilité et se rendre indirectement complice… Or, la perception de la police par les Français est largement desservie par cette minorité. Une minorité qui fragilise un ensemble d’agents réglos qui souffrent du manque de moyens et de formations inadaptées ou trop rapides. Des policiers désillusionnés par des procédures souvent incohérentes. Des hommes et des femmes minés par l’extrême dureté du métier. Des agents qui ne comprennent pas pourquoi tant de Français les dénigrent alors qu’ils ont le sentiment non seulement de les protéger au jour le jour, mais d’être le dernier rempart contre les puissances du désordre et de l’ensauvagement d’une partie de la société. Bref, la police en France souffre. En 2017, cinquante et un policiers. En 2018, trente-cinq. Et en 2019, cinquante-neuf. Policier est le deuxième métier, après celui d’agriculteur, où l’on dénombre le plus de suicides. « En juin 2018, un rapport du Sénat pointait un taux de suicide dans la police supérieur de 36 % à celui de la population générale », souligne Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la police.

Kennedy - intervention controle

Flic, un journaliste a infiltré la police confirme cet état des lieux inquiétant de la police. Une police en crise. « Les parutions officielles suite à la sortie du bouquin me donnent raison sur le mal-être du policier. […] Vous savez, les policiers contractuels existent depuis 1997 ; donc, l’histoire de policiers mal formés n’est pas nouvelle. C’est juste qu’aujourd’hui avec le recrutement massif, la proportion de contractuels augmente, même si elle reste en-dessous de celle des gardiens de la paix. Seulement trois mois de formation, les salaires sont faibles, vous pouvez leur donner les tâches subalternes sans qu’ils disent quoique ce soit, ils sont déjà contents d’être là. La réalité du poste tranche avec la formation que l’on reçoit qui est essentiellement axée sur la répression : interpeller, contrôler et menotter. » Incohérent !

Hélas, le projet de loi « Sécurité globale » adopté par la commission des Lois jeudi 5 novembre 2020 ne semble pas œuvrer à une amélioration de cet état des lieux au profit d’une restauration de la confiance avec les administrés. S’il simplifie utilement certaines dispositions et procédures en réponse à la détestable accélération de la banalisation de la violence en France, l’agression d’élus, les attaques de pompiers ou de commissariats (Champigny-sur-Marne) ou, encore, les actes barbares, comme celui qui a coûté récemment la vie à Samuel Paty, ce projet de loi conforte dans le même temps les possibilités factuelles d’impunité policière. Dans un rapport publié jeudi 5 novembre 2020, la Défenseure des droits, Claire Hédon se montre d’ailleurs préoccupée par « les risques considérables d’atteinte à plusieurs droits fondamentaux, notamment au droit à la vie privée et à la liberté d’information. » La proposition « Sécurité globale » compte notamment interdire la diffusion d’images ou de vidéos de policiers et gendarmes, empêchant leur identification, sous peine d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Finies les vidéos de citoyens qui ont permis de mettre en lumière des dérapages policiers ! Si cette loi est adoptée, la violence d’État illégitime comme exprimée dans l’affaire Benalla pourra se reproduire sans que personne ne puisse la dénoncer.

Flic, un journaliste a infiltré la police, Valentin Gendrot, Éditions Goutte d’or, 293 pages, septembre 2020, 18€.

Pour aller plus loin :

AVIS 20-05 DU 3 NOVEMBRE 2020 RELATIF À LA PROPOSITION DE LOI RELATIVE À LA SÉCURITÉ GLOBALE

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