En cette période de crise sanitaire, la France aurait plus que jamais besoin d’elle. Pourtant, l’usine Sperian de Plaintel (Côtes-d’Armor) a fermé ses portes en septembre 2018. Capable de produire jusqu’à 220 millions de masques filtrants par an et 4 millions par semaine en période de crise, le préjudice dont a été victime cette entreprise bretonne est fort déplorable… Contre toute attente, le député LR Marc Le Fur a annoncé le 28 avril 2020, l’arrivée d’un industriel prêt à mobiliser 15 millions d’euros pour relancer l’usine.

À l’heure où la pandémie de Coronavirus sévit, l’usine Sperian de Plaintel est fermée alors qu’elle aurait été à même de produire des millions de masques sur le territoire français.

Depuis mi mars, plusieurs anciens salariés, mené par Jean-Jacques Fuan, ancien directeur du site de 1991 à 2003, plaident alors pour que l’usine reprenne du service à travers une Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Le seul mécanisme qui selon l’ancien secrétaire d’État à l’Économie sociale et solidaire du gouvernement Jospin, Guy Hascoët, permettrait à tous les Bretons de prendre des parts sociales au capital de l’usine devenant “leur” projet tout en échappant à la loi de la contrainte du marché (source). Mise au courant de projet de réouverture, la région Bretagne a promis d’y apporter son soutien, à condition que l’État prenne des engagements sur le long terme en matière de commande publique.

Consciente du caractère primordial de l’affaire, le 22 avril 2020, la secrétaire d’État à l’Économie Agnès Pannier-Runacher a annoncé que le gouvernement est lui aussi prêt à soutenir la réouverture de l’usine Plaintel. À ce propos, elle a déclaré : « Nous y travaillons. À ce stade, nous faisons en sorte qu’il puisse aboutir. Nous accompagnons tous les projets de production de masques chirurgicaux et FFP2 qui sont constitués et avancent. Nous faisons en sorte d’aider à trouver la matière première, les machines et accompagner dans les phases d’autorisation ». 

Puis, le 27 avril 2020, nouveau coup de tonnerre pour l’usine de Plaintel ! Après avoir reçu l’appui du gouvernement, un industriel suisse du nom d’Abdallah Chatila a fait savoir qu’il est prêt à investir 15 millions d’euros pour permettre à l’usine de recommencer à produire plus de 250 millions de masques par an. D’après les dernières informations, la production serait relancée, non pas à Plaintel – les locaux étant actuellement utilisés par l’entreprise BioArmor – mais à Ploufragan, dans l’agglomération de Saint-Brieuc. « Abdallah Chatila a signé une lettre d’intention pour l’achat de 25.000 m² situé dans les anciens établissements Chaffoteaux et Maury aux Châtelets à Ploufragan », a confié le député LR Marc Le Fur.

Si tout va bien, la production pourrait commencer dès le début de l’année 2021 avec 120 salariés dans un premier temps. Mais avant de se réjouir, il importe de procéder à une petite rétrospective chronologique en évoquant les causes de la fermeture de l’usine Sperian de Plaintel en 2018.

1964. Monsieur Louis Giffard reprend le petit atelier de fabrication de chapeaux pour dames de son père. Malheureusement, l’activité de celui-ci est en déclin.

1965. Louis Giffard troque les chapeaux contre des masques anti-poussière.

1971. Louis Giffard créé sa société de masques anti-poussière à Saint-Brieuc.

Années 80. Louis Giffard déménage à Plaintel muni de sa petite société de masques sous le bras.

Durant les années 80, la santé individuelle, surtout celle des salariés, devient peu à peu un enjeu de taille. C’est pourquoi les équipements de protection individuelle (EPI) se développent à vitesse grand V. D’où le rachat de la petite société de Louis Giffard par un grand groupe suédois.

1986. Mort de Louis Giffard. Sa société est rachetée par le groupe suédois Bilsom.

1993. L’usine de Plaintel est rachetée par le groupe Dalloz.

2001. Le groupe Dalloz devient le groupe Bacou-Dalloz.

2003. Le groupe Bacou-Dalloz est rebaptisé Sperian. À cette date, l’usine de Plaintel gère 48 sites de production implantés en Europe et en Afrique. Ses masques sont vendus partout dans le monde et leur particularité fait leur renommée. Ils n’agissent pas seulement en qualité de masques de protection, mais ils filtrent l’air venu de l’extérieur, ce qui permet à l’utilisateur de respirer un air pur et assaini.

2005. Roland Fangeat, propriétaire de l’usine de Plaintel signe un protocole d’accord avec Xavier Bertrand, le ministre de la Santé à cette date. Ce protocole d’accord (à retrouver en entier ici) stipule que l’État s’engage à acheter plusieurs millions de masques à l’entreprise chaque année, qu’il redistribue ensuite aux professionnels de la santé notamment. « L’État s’engage à commander à l’entreprise […] une quantité minimum de masques fixée comme suit : 20 millions de masques pliables en 2006, 10 millions de masques moulés en 2006, etc. », précise l’article 7 de ce protocole.

masque de sécurité avec un très haut niveau de filtration

Entre 2005 et 2006. L’usine de Plaintel produit 20% des 200 millions de masques FFP2 (masques de sécurité avec un très haut niveau de filtration) commandés par l’État pour lutter contre la propagation de la grippe aviaire.

2009. L’usine de Plaintel connaît un « boom » de productions. Entre janvier 2009 et septembre 2010, à cause de l’épidémie de grippe H1N1, l’État lui commande plus de 160 millions de masques. Pendant cette période, l’usine tourne 24h/24.

2010. L’État commence à se désengager, les chutes des commandes sont catastrophiques. Le groupe américain Honeywell rachète le groupe Sperian et devient alors propriétaire l’usine de Plaintel. À cette date, l’usine tourne grâce à 140 salariés. 

2011. Honeywell licencie 43 salariés de l’usine.

« Dès qu’Honeywell a repris l’usine, nous étions comme des cancéreux en soins palliatifs : on savait qu’on allait mourir, mais on ne savait pas quand ça se produirait. » – Un ancien salarié de l’usine de Plaintel (SOURCE).

De 2011 à 2018, Honeywell licence tous les salariés de l’usine de Plaintel les uns après les autres pour des “motifs économiques”. Honeywell clame que l’usine ne reçoit pas assez de commandes et que donc, la rentabilité espérée n’est pas atteinte. Or, un récent rapport révèle que ce motif est en réalité infondé. Celui-ci démontre que pendant toute cette période, Honeywell n’a jamais investi le moindre centime pour que les équipements de l’usine soient renouvelés et continuent à être performants. Difficile donc pour les salariés de produire des masques de qualité avec du matériel vieillissant et obsolète. De plus, le groupe américain surveillait de près les stocks afin d’être certain qu’ils ne soient pas trop pleins. Lorsque l’usine recevait de grosses commandes, elle était alors incapable de les honorer, ce qui forçait les clients à se tourner vers d’autres fournisseurs. Un véritable cercle vicieux : pas de stock, pas de commande, pas de commande, pas de client, pas de client, pas de stock… Enfin, en 8 ans de gérance, Honeywell n’a jamais mis au point un seul nouveau masque alors que le groupe Sperian en sortait un nouveau tous les quatre ans.

Tous ces paramètres, mais pas que, prouvent alors que la chute de l’usine de Plaintel n’était rien d’autre qu’une stratégie économique et financière d’Honeywell. Un groupe préférant investir dans des marchés à croissance exponentielle (comme la course technologique) et à forte profitabilité. En d’autres termes, Honeywell avait prémédité la fermeture de l’usine de Plaintel avec l’idée sous-jacente de délocaliser la production de ses masques dans une zone où celle-ci représenterait un moindre coût. Et ce afin de tout même s’assurer une source de revenus assez conséquente en cas de pandémie.

« Il y a eu un abus de l’employeur dans l’exercice de son droit de cesser son activité ». – Laurent Beziz, avocat défenseur de plusieurs anciens salariés licenciés.

Été 2018. Se sentant abandonnés et impuissants face au groupe américain, les élus du personnel salarié de l’usine interpellent le président Emmanuel Macron. Ils réclament notamment des indemnités de licenciement plus justes et lui demandent d’agir pour leur usine qu’ils reconnaissent d’utilité publique (toute la lettre à retrouver ici). Leur lettre reste sans réponse. Aujourd’hui, le chef de cabinet du ministre de l’économie affirme « ne pas avoir eu les moyens d’empêcher une fermeture d’usine dans un secteur qui n’était alors pas considéré comme stratégique. »

Septembre 2018. Délocalisation de la production de masques à Nabeul en Tunisie (sur un site créé dans les années 90).

Octobre 2018. L’usine de Plaintel et toutes ses machines sont entièrement détruites.

« Après la crise, il faudra mettre au grand jour l’histoire de cette société et pointer les manques et les très mauvais choix qui ont été faits, mais aussi désigner les responsables » Joël Labbé, sénateur écologiste du Morbihan.

Cette enquête a été réalisée par Benoît Collombat de la cellule investigation de Radio France. Elle est à retrouver en intégralité ici.

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Julie Pialot
Julie Pialot a suivi des études de Lettres Modernes. Pendant une année d'ERASMUS à Pondichéry (Inde), elle a rédigé un mémoire sur la littérature de voyage en Orient, avant de compléter sa formation à l'école de journalisme de Marseille. Passionnée de voyages et de nouvelles découvertes, c'est en Bretagne, son choix de coeur, qu'elle a choisi de mettre en valeur les initiatives culturelles locales.

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