Il co-dirigea Charlie Hebdo avant le 7 janvier 2015. Quatre ans plus tard, Riss revient sur cet événement fidèle à ses convictions de droiture, de loyauté dans un récit bouleversant et instructif.

RISS CHARLIE

Catherine Meurisse se réfugia dans l’Art et le Beau. Luz dessina ses angoisses pour se reconstruire. Philippe Lançon décrivit avec une précision chirurgicale sa réadaptation à la vie.
Riss attendit près de quatre ans pour écrire le 7 janvier 2015. « Une minute quarante-neuf secondes » c’est le temps de survie entre l’entrée et la sortie de deux hommes en noir armés dans les locaux de Charlie Hebdo. Le temps qui sépare le monde d’avant de celui d’après. Il est bien entendu question de ce jour dans le récit du dessinateur, de ce temps suspendu où l’on se demande si la vie va s’achever, de ces corps qui tombent dans un bruit sourd à côté de soi et dont on ne veut pas regarder la silhouette décomposée. De ces amis sans vie qu’il faut enjamber pour retrouver le bruit et la lumière. Mais pas que.

https://youtu.be/SpxJyMfqEXM

Contrairement à beaucoup, Riss est en effet resté au journal dont il partagea la direction de rédaction avec Charb pour en devenir désormais le directeur unique. Riss n’écrit donc pas essentiellement pour échapper à l’attentat par une forme de catharsis. Il ne manifeste pas, par des cauchemars notamment, des symptômes post-traumatiques. L’ami de Cabu explique, en faisant référence à ses premiers contacts avec la mort, adolescent ou jeune homme, comment il est mort déjà d’une certaine manière ce 7 janvier 2015, comment est morte plus exactement cette « vie d’avant », mais qu’il peut continuer à respirer en s’appuyant sur des valeurs qui sont le fondement de sa vie. Aussi on retrouve au long de ses lignes, à travers des mots durs parfois, le combat attaché à la liberté de penser, d’écrire et de dessiner, au rejet de l’argent comme seule valeur. Un hymne à la réflexion, à l’intelligence contre le conformisme, l’obscurantisme, les croyances intolérantes.

LE LAMBEAU

Riss reste dans le combat, celui qu’il poursuit avec une nouvelle équipe, celui qu’il faillit abandonner quand le journal, brusquement riche des dons devint la proie de collaborateurs récents, voulant soudainement devenir actionnaires actifs. « As-tu encaissé des chèques de donateurs sur ton compte bancaire personnel? » demande à Riss l’un d’eux. Phrase symbole de souffrances nouvelles sur lesquelles s’attarde le nouveau directeur, souffrances qui témoignent du combat mené après l’attentat, combat pour garder au journal ses valeurs fondatrices :

Comment être à la hauteur de ce qui nous est arrivé ?

Cette lutte de pouvoir contre les collaborateurs récents, ceux qui quittent le navire, les confrères qui donnent des leçons derrière d’hypocrites messages de compassion, Riss va le mener après une période d’épuisement moral et physique dont il décrit les étapes et le souvenir. Il s’attaque de nouveau aux « mêmes esthètes, les mêmes pédants, les mêmes esprits supérieurs qui, du haut de leur donjon, nous voyaient nous débattre avec nos convictions, trop médiocres pour être les leurs ». Le ton est dur. Les mots sonnent juste. La démonstration est impitoyable. Ce récit est un manifeste, le bilan provisoire d’une vie, la justification de la nécessité de l’existence de l’hebdomadaire satirique.

Comment poursuivre cette oeuvre alors que ses principaux fondateurs ont péri ? Le journaliste les évoque en leur consacrant à chacun quelques lignes, sincères, modestes. Pas de panégyriques ou de trémolos dans l’écriture, ce n’est pas le style de la maison, mais des êtres qui reviennent en filigranes tout au long du livre comme pour montrer que c’est leur disparition qui est la plus difficile à vivre . « Les jours qui s’écoulent m’éloignent des adieux que je leur fis, et me rapprochent de l’accueil qu’ils me feront demain. Un jour, c’est sûr, on se retrouvera tous ».

« Le temps des larmes est terminé » lui dit de manière indigne un collègue. Le temps de l’ignominie et de la bêtise visiblement pas. Tant que des femmes et des hommes comme Riss le poursuivront et le dénonceront on peut encore espérer en l’humanité.

Une minute quarante-neuf — récit de Riss. Actes Sud. 312 pages. Octobre 2019. 21€.

 

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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