Le 16 décembre, la Maison de l’Europe fêtait ses dix ans à l’Espace Ouest-France de Rennes. À la suite du discours de la fondatrice de cette institution, Jeanne-Françoise Hutin, les invités purent écouter la communication de Catherine Lalumière.

 

La présidente de la fédération française des maisons de l’Europe et ex-ministre a souligné que « les deux valeurs autour desquelles l’Europe s’était construite, la démocratie et la multiculturalité, étaient mises à mal actuellement ». Pour elle, « l’Europe ne marche pas parce qu’il n’y a pas d’Europe des citoyens et parce qu’il n’y a pas de projet européen clair ». En résumé, il faut savoir pourquoi on est ensemble et quel but l’on se donne après.

On remarquera tout de suite que ce constat est dressé par nombre d’intellectuels et de journalistes depuis des lustres, mais sans que leurs réflexions ne rencontrent de caisse de résonance. On pense, côté allemand, à Peter Sloterdijke qui mettait en garde il y a vingt ans les élus sur une construction européenne qui engendrait un “monstre froid” en raison d’une carence du lien affectif et d’un trop-plein  d’économie. Mais voilà, aujourd’hui, c’est tellement la débandade et les cadres supérieurs du destin de l’Europe étant tellement déboussolés que l’échange critique et constructif peut retrouver de la vigueur.

Bien entendu, cette Européenne convaincue qu’est Catherine Lalumière a grandement raison de mettre le doigt là sur les dysfonctionnements. Mais, comme nombre des collègues, a-t-elle peur de désigner franchement les coupables ? Ils sont nombreux. Avant tout, on soulignera le manque d’ambition des vrais Européens et le nombrilisme des eurosceptiques… Les hommes politiques – de tous bords – qui ont omis d’établir un vrai projet européen rassemblant tous les citoyens sous une même bannière de valeurs, de croyances et, surtout, de fonctionnement ? Disons-le sans ambages : la très large majorité de la classe politique, française et européenne, est en grande partie responsable de cette situation. Ayant troqué des idéaux pour des objectifs (liés à des intérêts financiers et électifs), ils n’ont pas su, pu ou voulu mobiliser les citoyens dans la construction européenne.

Aujourd’hui, l’Europe est au plus mal. Ses valeurs premières sont altérées par un repli sur soi, des néo-nationalismes et des bisbilles qu’on n’aurait pas imaginées il y a encore dix ans. Pourquoi ? En raison d’un dépouillement du tissu économique traditionnel, un abandon du pouvoir politique au profit des marchés, un dumping social, une méconnaissance des bénéfices de l’œuvre européenne et, peut-être, un changement de génération – la nouvelle se faisant une conception de la guerre et de la confrontation très distancée. Bref, la mécanique d’intégration est bel et bien rouillée.

Pire, aujourd’hui, ce sont les gouvernements européens eux-mêmes qui s’en prennent aux nouveaux candidats. Quel oubli des fondamentaux et principes d’intégration européenne qui mettait à égalité chaque membre du territoire continental ! Le dernier sommet européen à Bruxelles fournit un triste exemple de ce comportement malheureux de hauts responsables européens : il a été décidé de différer la demande de candidature de la Serbie à février ou mars.

Cette marche-arrière est surprenante. D’autant plus que c’est la première fois que les gouvernements des pays de l’Union ne suivent pas l’avis de la commission de Bruxelles, laquelle s’est clairement prononcée en faveur de cette candidature de façon à récompenser les efforts de ce pays central des Balkans. Au départ, trois conditions avaient été établies par les Européens pour une entrée dans l’Union : transition démocratique, livraison de Slobodan Milosevic, de Ratko Mladic et de Radovan Karadzic.

De son côté, l’Europe, inconsistante et inconstante, n’a pas tenu ses promesses ! Il a suffi que l’Allemagne et l’Autriche fassent blocage (voire notre article), au dernier moment, pour que la belle idée intégratrice européenne disparaisse en un rien de temps. Quelques soldats de la mission Eulex blessés sur des barricades posées par le peuple serbe du Kosovo, ne souhaitant pas vivre dans un pays qu’ils estiment antidémocratique, ont suffi pour faire changer d’avis ces deux puissances qui, il faut bien l’avouer, ont un très lourd « passif » avec les Serbes. À ce propos, le désastre de la Première Guerre mondiale et les massacres de la Seconde Guerre provoquées par les ex-membres des puissances de l’Axe ont constitué une dette en faveur des Yougoslaves, en particulier des Serbes, qui mériterait d’être soldée.

Ce bref rappel du passé n’est pas anodin. On pourrait le prolonger avec le souvenir des deux Allemagnes séparées par le mur de Berlin. À ce titre, il serait logique de se demander pourquoi les Allemands n’ont pas un peu de compréhension et de compassion pour le problème des deux Serbie séparées (ou quatre si l’on compte la Croatie et la Bosnie). Une séparation provoquée par une décision européenne et américaine en 1999 de fonder un pays qui n’existait pas auparavant : le Kosovo. Comment ? En le sortant du giron serbe, sans aucune indemnité pour compenser les pertes matérielles engendrées pour son peuple et sa culture.

Si au moins le Kosovo était un pays démocratique, proche des valeurs européennes, on admettrait moins difficilement la position des Européens les plus tenaces, de forcer les Serbes à enlever leur institution du nord du Kosovo et de reconnaître l’existence de cet État. Mais il n’en est rien. Qui est vraiment au courant de ce qui se passe dans cette ancienne province de la Serbie ? Contrairement à l’envergure médiatique du conflit de 1999, l’omerta règne et les médias occidentaux ne font rien pour la briser. Pourtant les faits sont dramatiques !

Premièrement, la population serbe du Kosovo et la culture chrétienne sont menacées de disparition en raison d’une impossibilité d’exister dans un pays qui ne souhaite pas reconnaître l’autre et sa différence. L’impunité meurtrière y est monnaie courante.

Deuxièmement, toutes les enquêtes sur les crimes perpétrés par les Kosovars se heurtent à des disparitions de témoins ou à des témoins qui se rétractent subitement, voire à une mauvaise volonté de la force de paix d’instruire une enquête, comme dans le cas du trafic d’organes sur des prisonniers serbes. Trafic qui aurait été perpétré à même le territoire albanais.

Troisièmement, pour bien montrer l’état catastrophique de cette caricature de pays, il est utile de rappeler que le Kosovo est considéré comme l’épicentre du trafic de drogue en Europe.

Le directeur russe du service fédéral du contrôle du trafic de narcotiques, Victor Ivanov, vient de déclarer à Ljubljana que « le Kosovo est le principal carrefour du trafic de drogue en Europe (1) » avant d’ajouter qu’en « raison d’événements connus, le Kosovo s’est transformé en plaque tournante du trafic de narcotiques en Europe, en un épicentre qui, d’un côté, est ravitaillé par deux flux : celui de la cocaïne venant d’Afrique, et celui de l’héroïne venant de Turquie, et, d’un autre côté, vise l’approvisionnement ciblé des pays européens. » Selon les informations données par ce responsable des services russes, « à travers le Kosovo passe 50 tonnes d’héroïnes par an, ce qui équivaut à un profit de 3 milliards d’euros, plus de deux fois le budget du Kosovo… »

L’agence de l’État russe a également transmis des indications des services spéciaux de l’Union européenne, qui affirment que les structures criminelles albanaises contrôlent jusqu’à 70 % du commerce d’héroïne en Suisse, Autriche, Allemagne et Hongrie, et 20 % du trafic en Grande-Bretagne et dans les autres pays. Ils sont devenus la principale force criminelle, non seulement de la méditerranée, mais aussi du sud-est européen (40 % de l’héroïne d’Afghanistan  en direction de l’Europe traverserait cette région).

Au vu de ces données, il devient indécent d’exiger uniquement de la Serbie un apaisement de ce conflit frontalier et culturel, qui plus est si on lui demande de reconnaître l’existence de ce pays et de ses frontières. C’est d’autant plus injuste qu’au même moment les Européens ont ratifié l’accord final d’adhésion de la Croatie ! Comment peut-on séparer les cas de la Croatie et de la Serbie ? Et plus encore ceux de la Bosnie-Herzégovine, du Monténégro et de la Macédoine ?

L’Europe inconsciente leur demandait il y a 20 ans de se séparer de la fédération yougoslave sans garantie pour les populations et les frontières et maintenant elle exige d’eux des critères spécifiques séparément !

L’Europe ne peut réclamer de la Serbie la reconnaissance d’une situation épineuse qu’elle a elle-même créée ! Bien au contraire, les responsables gouvernementaux doivent dire la vérité sur le Kosovo. Une solution juste pour tout le monde et un territoire décriminalisé – voilà une situation dont n’ont cure les politiciens chevronnés de l’Europe alors qu’elle correspond à une aspiration de millions d’hommes et de femmes.  Alors, qui tue l’Europe ?

(1) Agence Tanjug, 13/12/2011, Ljubljana (article sur le site B 92)

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