Le conflit ouvert en Ukraine est assez typique de notre vision occidentale de la géopolitique : une vision caricaturale de la Russie face à notre modèle de société pourtant remis en cause par la crise mondiale. Et du côté russe, la vision est tout aussi tranchée, aboutissant à un strabisme divergent.

 

Empruntons un instant quelques arguments au sociologue et sinologue Jean-Louis Rocca à propos de notre vision de la Chine. Comme pour chaque grande puissance, la France médiatique, voire même intellectuelle, a tendance à avoir une vision binaire. D’un côté une admiration idolâtre de la personnalité de Poutine, despote éclairé, dictateur habile ayant restauré l’influence russe dans le monde. De l’autre côté, un rejet en bloc de la méthode russe, personnifiée par Poutine, sans même se soucier des caractéristiques de la population du pays et de sa géographie complexe. Si Jean-Louis Rocca empruntait des arguments à Emilie Frenkiel, dans l’ouvrage La Chine en mouvement, PUF, il aurait été possible d’écrire : « Pourquoi nous ne comprenons pas la Russie » et « Pourquoi nous ne comprenons pas les Etats-Unis ». Les errements de notre diplomatie actuelle en sont, hélas,  les témoins.

Côté Russe, la critique est facile sur la gestion de la crise ukrainienne. Outre la question du Gaz qui mine les relations entre UE, Russie et Ukraine, se pose la question de l’interventionnisme de l’OTAN en Europe de l’Est. L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord a fait fi de l’histoire et des relations historiques de la région pour tenter d’installer des zones d’influences dans des buts clairement énergétiques et économiques. Alors que la mouvance « réaliste » de la diplomatie américaine (cf. Stephen Walt, par exemple), appelle à plus de coopération et de compréhension mutuelle avec la Russie, ce sont des résidus des « faucons » de l’ère Bush qui semblent reprendre les commandes (lire le discours du Président Obama du 28 mai 2014). Ainsi a-t-on vu des mercenaires de la société Blackwater en Ukraine, comme auparavant en Irak. La diplomatie russe a donc le beau rôle pour dénoncer les attaques de l’armée face à une population qui réclame le droit à l’indépendance.

photo par Sasha Maksymenko (https://www.flickr.com/people/112078056@N07/)
photo par Sasha Maksymenko

Un non-choix

Vous l’aurez compris, entre ces deux visions, la réalité suit des chemins plus tortueux. L’élection présidentielle du 25 mai n’est pas plus pertinente que le référendum dans l’est de l’Ukraine. D’ailleurs, il n’y a pas eu de déploiement d’observateurs indépendants de manière suffisante pour en assurer le bon déroulement. La victoire d’un richissime homme d’affaires, lié au milieu des affaires avec l’Occident et accusé de corruption comme bon nombre des candidats, est symptomatique. Entre la corruption et l’extrême droite nationaliste ou bien les séparatistes, que pouvaient choisir les Ukrainiens ?

Le précédent Yougoslave

Un ressortissant serbo-ukrainien parlait avec dépit de la situation de son pays actuel qui lui rappelait le drame vécu en Yougoslavie 20 ans auparavant. La leçon n’a pas servi ni à l’UE ni à l’OTAN. La question du Kosovo est passée sous silence malgré des exactions continuelles aujourd’hui et un ressentiment latent de la population serbe. Ici aussi, les voisins de la veille sont devenus irréconciliables, car devenus des pions ou des jouets pour les grandes puissances. La diplomatie de l’UE étant inexistante, c’est à un début de nouvelle guerre froide que l’on assiste, avec un déséquilibre de compétence flagrant entre des diplomates de métiers d’un côté et des représentants de commerce de l’autre (cf les liens de John Kerry avec l’industrie pétrolière). Mais l’escalade n’a heureusement rien à voir avec la période 50-80.

1569 : Un pays divisé en 3 influences.
1569 : Un pays divisé en 3 influences.

Ukraine, la Syrie version européenne ?

Une vision simpliste (bases russes en Crimée et en Syrie) pourrait nous faire croire que l’Ukraine va devenir un bourbier comme la Syrie, faute de coopération diplomatique entre les soutiens des belligérants. La situation est pourtant bien différente en Syrie : que cela soit dans le coté état policier du pays baasiste, l’influence de la question énergétique et le rôle des pays voisins (Turquie et Liban étant très gênés dans la question syrienne, ce dernier pays étant au bord de l’implosion politique) et la question religieuse. Le seul parallèle à noter est bien la nécessité d’un consensus entre les alliés de chaque camp afin de réunir autour de la table les partis en présence. Comme toujours, il faut aussi trouver la personnalité neutre et forte qui saura recréer les conditions d’une réunion. Pétro Poroshenko n’a pas donné les gages pour cela malgré son positionnement politique (de circonstance ?) de centre gauche.

Le strabisme qui a cours en Ukraine profite également aux puissances dites non alignées. D’ailleurs la Chine vient de signer un accord de fourniture de gaz avec la Russie. Depuis 25 ans, l’Europe ne connaît plus de diplomatie forte, ni ensemble ni séparé. Les pays scandinaves par leur tradition diplomatique et leur neutralité ont matière à influer dans ce secteur mais, ne pesant pas lourds dans les institutions de l’UE, ils se retrouvent isolés. La question Ukrainienne est un exemple de plus du basculement qui s’opère dans notre monde, un monde qui n’est pas compris non plus aux USA, pas plus dans les staffs républicains que démocrates. Qui saura donc ouvrir les yeux pour que la diplomatie mondiale regarde dans le bon sens, celui de l’intérêt des peuples ?

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Didier Acker
didier.ackermann {@] unidivers .fr

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