Abrégé hédoniste revisite le Manifeste hédoniste paru en 2011 (aux éditions Autrement). Ce texte présente brièvement et clairement six propositions axiomatiques de la philosophie hédoniste telle que Michel Onfray l’entend et entend la pratiquer : psychologique, éthique, érotique, esthétique, bioéthique et politique. Courte, mais dense, voilà une excellente introduction au travail de Michel Onfray par l’intermédiaire de sa pierre angulaire.

Le lecteur ne s’étonnera donc pas de trouver dès les premières pages toutes les qualités et tous les défauts du philosophe. Un style rigoureux et vigoureux, souple sans être sinueux. La phrase, souvent cinglante, va droit au but. Toutefois, et malgré la volonté d’Onfray de se démarquer de la philosophie parisiano-universitaire, ce même style peut vite paraître moins imprécatoire et urgent que sommaire et professoral. Pour enseigner ou simplement faire partager sa pensée, faut-il nécessairement sommer le lecteur d’être d’accord ?

En outre, arrivé au terme de l’exposé, le lecteur attentif est susceptible de se demander quel visage prend réellement cet hédonisme. Un hédonisme sévère, strict. Un hédonisme qui se démarque des autres principalement par une critique déconstructive fort peu contrebalancée par des considérations positives.
De plus, la terminologie utilisée peut inquiéter. Les lecteurs familiers de l’œuvre de Michel Onfray se souviennent du terme de « mineurs mentaux » appliqué aux croyants (doux euphémisme pour « débiles profonds »). Ici, c’est une part sans doute plus large des humains qui se trouvent relégués sous l’inquiétante expression de « délinquant relationnel »…
L’athéisme rageur de Michel Onfray trouve finalement son vrai visage dans un « altruisme » singulier qui le conduit à asséner des jugements définitifs (et bien peu philosophiques) sur ce qui est ou n’est pas humain – une éviction devenue nécessaire. C’est là le nœud du problème.
L’athéisme rageur et destructeur de Michel Onfray n’est pas tant tourné vers Dieu « fiction, personnage de roman, créature utile au déni séculaire de la mort » que vers une part particulière des humains qui – et, en cela, son analyse est tout à fait recevable – continuent hypocritement à vénérer des « concepts » liés à la religion. Voilà la ‘raison’ de préférer un « athéisme athée » à la pratique mortifère d’un tortueux « athéisme chrétien ».
Pour autant, les conséquences ultimes de cette pensée, une fois mise en pratique, mériteraient d’être mieux débattues et gagneraient en profondeur en évitant d’absolutiser une lecture partiale. Tout comme Nietzsche, qu’il admire avec raison, Onfray réduit tout le christianisme à sa seule « version paulino-augustino-scolastique ». Sous des cieux français, cela pourrait passer pour légitime, mais afflige tout de même, la réflexion de l’auteur d’une fermeture des plus sclérosantes.
Ainsi, affirmer péremptoirement que la « morale » chrétienne de la « joue tendue » serait impraticable en donnant, notamment, l’exemple répété des victimes de Dachau qui ne pourraient pardonner leurs bourreaux, c’est oublier que, précisément, nombre de laïcs ou de clercs (on pense, entre autres, à Mère Marie Skobstov et Père Dimitri Klépinine, reconnus par Israël ‘justes parmi les nations’ ) ont très réellement agi de cette manière. Et combien d’autres anonymes en Russie soviétique (dont Michel Onfray n’hésite pourtant pas à dénoncer le « mythe » avec lucidité) ont, bel et bien, prié et pardonné les bourreaux !

Dès lors que l’écrivain écrit et affirme que la vie est essentiellement « sculpture de soi », il est vraiment dommage de se fermer à l’exigence de « mise en forme » que représente la spiritualité religieuse d’une bonne partie de l’humanité. Se renfermement, ce refus, est-il seulement compatible avec l’honnêteté intellectuelle d’un philosophe philosophant ?
C’est d’autant plus malheureux que la critique de l’art contemporain proposée dans Abrégé hédoniste, est tout à fait intéressante et évite les lamentations des classicistes aussi bien que les plates admirations des thuriféraires du marché de l’art. La critique de la psychanalyse freudienne est également instructive, à l’avenant de celle du libéralisme. En fait, Onfray sait habilement déceler les pièges de la postmodernité en toc tout en évitant avec brio les facilités néo-conservatrices ou réactionnaires. Mais il manque à cet hédonisme un humour léger, quelque chose de la gaité de Nietzsche ou de cette légèreté souriante qui « crève les boursouflures du néant » (Olivier Clément).

Le style reflète la pensée, et les deux sont trop constamment cyniques et cassants. On le regrette en refermant le livre. On a pas envie d’en parler. Pas envie de rentrer en dialogue avec ces idées dont certaines ont déjà, pourtant, le mérite de bousculer le consensus philosophique mou de notre époque. Alors, on se dit que, peut-être, il faut aussi se laisser bousculer.
Finalement, Abrégé Hédoniste est vraiment une bonne introduction au travail d’Onfray. Une introduction de combat… Et d’un combat qui pourrait, finalement prendre la tournure de celui de Job ou de Jacob…

 

Michel Onfray, Abrégé d’hédonisme, Librio, octobre 2012, 96 p., 3€

 

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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