Dans le documentaire Moindre Poésie réalisé en 2008 par Guillaume Morel, Pascal Bouaziz – tête chercheuse et bras armé du groupe Mendelson – déclarait qu’il fallait pour dire le réel des « mots moins poésie ». Il souhaite « réinventer une nouvelle manière de dire les choses »… De fait, l’audacieux cinquième et triple album de Mendelson a tellement de mots… Présentation.

 

Mendelson, Pochette du CD n°3

Fondé en 1995, Mendelson s’est fait connaître avec le label, devenu mythique pour les vieux rennais, Lithium. Fondé à Nantes au début des années 1990 par Vincent Chauvier, il révéla, entre autres, Françoiz Breut, Jérôme Minière, Da Capo, le groupe rennais Emma et, bien sûr, l’incontournable Dominique A. Un Dominique dont par ailleurs Pascal Bouaziz souligne (dans le documentaire Moindre Poésie toujours) que le premier succès (Le Twenty-Two bar sur l’album La Mémoire Neuve, 1995) a – paradoxalement – signé la perte corps et âme du très indépendant Lithium.

Et depuis, c’est comme si Mendelson, oppressé par la remise en cause de sa radicalité artistique, n’avait eu de cesse de poursuivre la route en creusant l’écart. En quête d’absolue indépendance, de la singularité d’une musique réaliste et ultime, d’une poésie percutante, abrasive et sans concession. Des chansons toujours plus longues pour ne jamais remettre en question ce qu’elles ont à dire ; jusqu’au bout, jusqu’à la dernière goutte de lave, de salive, la toute dernière écume de sève noire. Entre électro plombée, drone chtonien et rock à la lourdeur suave et volcanique, les sons enserrent les mots, les recouvrent d’une glèbe crépitante et agitée, toujours contenue, comprimée, l’énergie se révulse. Tout dénouement est un effondrement tragique, un affaissement enfin apaisé, quand plus rien ne résiste…

Mendelson, c’est entre un Miossec avec moins de pénible je m’en foutisme, un Biolay moins faussement dandy qui oserait aller au bout des choses musicalement et poétiquement, un Rodolphe Burger moins germano-romantique et plus rentre-dedans, un Nick Cave français moins lumineux et biblique, un Lescop pas hype et bien plus tristement mancusien, un Daniel Darc qui aurait attrapé toute la fièvre épileptique d’un Ian Curtis mais débarrassé de la gangue romantico-pubère pour ne garder que le tranchant noir et blanc saturé. Finalement, du Scott Walker en moins déstructuré…

Mendelson quotidien mal

Les textes, longs, ciselés, sinueux de Bouaziz ne sont jamais menacés de ridicule. Ils incorporent un sens du réel particulier, précis, impudique et sans vulgarité. Comme si Bouaziz avait intimement perçu, mais sans mettre justement de discours dessus, que l’emphase poétique – qu’elle soit dans le sens de l’échappée romantique ou du réalisme démonstratif – était toujours un signe de trahison. Alors il y a, entre les mots une lumière noire mais belle, insigne… Et c’est elle qui fait tenir tout l’édifice dans sa course éperdue.

Story-telling à rebours de la théorie marketing, c’est la précision chirurgicale du texte et de la diction qui – enchevêtrée à l’obsession oppressante des sonorités – défait l’aspect oppressant de la description de notre vie moderne dépressive par une sorte de contournement. Comme l’affirmait Deleuze, c’est la schizophrénisation de l’inconscient qui nous guérira de la cure. Ainsi en est-il de cette incroyable épopée intérieure du lamentable contemporain, Les Heures, chanson de 54 minutes et 25 secondes… qui – du martèlement électronique du début, évoquant un futuriste port de l’angoisse, jusqu’au rock volcanique hoquetant de la fin – est une rigoureuse odyssée crépusculaire dans l’horreur de la fausseté.

[…] et tu la laisses couler en toi cette douceur blanche amère qui te réveille et te nettoie cette douce blancheur vide qui t’éclaire et tu t’y baignes et tu t’y noies dans ce silence merveilleux que tu n’oserais pas troubler même s’il te fait mal, que tu voudrais crier ce silence qui descend se loger tout au fond de ton estomac comme du plomb coulé… et tu l’aimes comme tu t’aimes toi en dépit de tout tu l’aimes quand même même si ce silence t’en veut même si ce silence est après toi comme un vieux mercenaire après son dernier contrat … et tu ressens un fardeau écrasant sur tes épaules toute cette lignée c’est comme si tu avais été fait avec les restes des reliefs d’autres hommes, plus forts, plus intelligents et plus vivants que toi pauvre Frankenstein, pauvre monstre sans maître, personne qui sache comment fonctionne sa tête et dans ta vie mal cousue, dans ta vie mal construite, dans ta vie mal faites le sang ne circule plus…  (Mendelson, Les heures)

Mendelson

Une véritable expérience musicale pour tous ceux qui n’ont pas peur de la réalité collective de notre époque. Un cauchemar sûrement pour tous ceux qui attendent de la musique un secours réjouissant ou une illusion doucereuse… Néanmoins, il serait dommage de limiter la puissance – poétique quoiqu’ils en disent – de Pascal Bouaziz et de ses acolytes à un public de dépressifs chroniques. Et tous ceux qui pensent que l’art, c’est aussi guérir le mal par le mal, ceux-là ne pourront trouver dans cet album aux dimensions provocatrices que d’exquises raisons de s’en persuader un peu plus ! Bouaziz nous a prévenus : ce que cherche Mendelson, c’est la musique que les gens ont aujourd’hui dans la tête… Et, selon lui, cette musique ressemble plus à celle du groupe Suicide d’Alan Vega qu’à toutes celles qu’on entend à la radio…

Si Mendelson ne se classe pas dans le top du buzz, gageons qu’ils tiennent le cap de cette cruelle radicalité sur la durée.

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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