Tonino Benacquista nous raconte sa vie de fils d’immigrés italiens. Une enfance difficile sauvée par l’écriture. Tendrement émouvant.

porca miseria benacquista

On ne s’attend pas à cela. Tonino Benacquista, auteur notamment de nombreux romans policiers, décide ici de raconter son enfance, ses origines, son goût pour la langue française. Lorsqu’un écrivain dit sa jeunesse, il fait part habituellement de la découverte des livres, de son amour de la sonorité des mots, de l’irruption de l’imaginaire.

Rien de tout cela pour Tonino Benacquista. Pour ce fils d’immigré italien, les livres, ces masses de pages, sont effrayantes, suscitent l’ennui ou plus sûrement la peur.

« Lire c’est entrer dans une cathédrale. Écrire c’est y mettre le feu. Lire, c’est un patriarche qui vous veut du bien. Écrire c’est une petite traînée qui n’en fait qu’à sa tête. Lire c’est l’excellence des autres. Écrire c’est l’insuffisance de soi ».

Quand on est fils d’un père qui se saoule chaque soir après le travail, d’une mère dépressive qui regrette son départ d’Italie, quand on est né avec trois soeurs et un frère si différents et beaucoup plus âgés, dans une famille sans culture, le livre est un monument inatteignable. Mais l’écriture peut le remplacer.

Bien entendu il y a pour le jeune Tonino des oeuvres fondatrices que sont le Cyrano de Bergerac à la grandiloquence flamboyante et les Chroniques martiennes de Bradbury. Ce ne sont pas les histoires qui séduisent, mais le style, la juxtaposition des mots. Et de ces découvertes le petit Tino va vouloir les glisser sous les tic tac des frappes d’une machine à écrire. C’est l’éloge de l’écriture qui nous est contée. Il faudra un âge avancé, en se forçant totalement, pour accéder au plaisir du lecteur. Les pages consacrées à la lecture imposée de Une vie de Guy de « mot passant » sont parmi les plus belles du texte. Les mots perçus d’abord comme du verbiage deviennent un grincement métallique , celui d’un « pont-levis » qu’on descend et qui finalement permet d’accéder à une « citadelle perdue dans le brouillard », à un donjon longtemps perçu comme inaccessible. Au point de déclarer ensuite « Comment ai-je pu m’en passer jusqu’à aujourd’hui ? ».

En attendant d’atteindre ce Graal, il faudra se faire sa propre culture, celle des films populaires enchaînés des journées entières, de la Bande dessinée. Tonino ne se sent pourtant pas un déraciné, comme sa mère en pleurs, des oliviers de son pays d’origine. Il est français, heureux de l’être, attaché à cette culture qu’il n’approche qu’à petits pas. Trop haute, trop lointaine comme cette lecture qui l’effraie tant. À ce stade on pense bien entendu aux Ritals de Cavanna, mais bien vite on s’aperçoit que la gouaille rieuse du co-fondateur d’Hara Kiri laisse la place ici à une forme de souffrance qui ne dit pas son nom. Ou très peu. Chez le Rital, l’oncle d’Amérique serait un rêve, une source de fantasmes, de moqueries, de plaisanteries.

Chez Cesare Benacquista c’est le frère qui a osé, qui a réussi comme le miroir d’un reproche. On vit à Vitry sur Seine, mais on est de nulle part. Les États-Unis, la ferme italienne, cela aurait sûrement été mieux… La famille est le domaine de la mélancolie, tous si différents, mais tous atteints du mal du père dont Benacquista cherche à la fin du récit les possibles causes. Elle doit le toucher lui aussi cette mélancolie qui l’amène à la solitude dans un coin de cour de récréation, transformée une fois adulte en agoraphobie qui l’empêchera de se rendre de son domicile à la piscine de son quartier. Elle est exprimée clairement alors pour la première fois, une souffrance d’adulte, pas d’enfant ou d’adolescent. Et pourtant.

Finalement cette enfance si peu empreinte de joies et de bonheurs, a priori déracinée, se révèle être une véritable invitation à la culture, à l’écriture, à l’imagination. On peut avec les mots que l’on lit, mais aussi ceux que l’on écrits, s’affranchir des frontières géographiques ou familiales. On peut vivre une autre vie, peut être plus réelle que la véritable. Car elle appartient à ceux qui n’osent pas dire, ou être. Elle appartient aux écrivains et aux lecteurs.

Porca Miseria de Tonino Benacquista. Éditions Gallimard. 200 pages. 17€. Parution 6 janvier 2022.

Romancier et scénariste, Tonino Benacquista est notamment l’auteur de Saga (Grand prix des lectrices de Elle), Quelqu’un d’autre (Grand prix RTL-Lire), Malavita, Malavita encore et Toutes les histoires d’amour ont été racontées, sauf une.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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