Tocqueville à la plage de Xavier Gardette, c’est l’histoire d’un couple, d’un vieux couple aimant, Sylvie et Olivier. Un couple, qui passe des vacances protégées dans un ghetto de villas blanches, non loin de l’océan, sur la côte vendéenne. Sylvie en a décidé ainsi, elle décide à peu près tout et Olivier se laisse guider…

tocqueville-a-la-plage-roman-xavier-gardetteLa vie est là, simple et tranquille. La rumeur des vagues apporte pourtant avec elle un passé insaisissable, deux ou trois peut-être attachés à cette plage qu’arpentait autrefois Olivier enfant, ou peut-être était-ce une autre plage, Olivier ne sait plus. Ce nouvel état dont il prend conscience sur ladite plage, sans Sylvie, le met face à ses fantômes. Des hallucinations ? Un mirage ? Apparaît « Elle », une femme, puis un enfant, puis un mystérieux point noir. Cet état plus ou moins névrotique empêche Olivier de travailler à la biographie de Marie Motley, l’épouse d’Alexis de Tocqueville, l’un et l’autre faisant office de couple miroir. À cette panne d’écriture s’ajoutent les prismes et les effets secondaires naissants de cette fameuse rencontre féminine, silhouette imprévue, intouchable, alors que Sylvie préfère la piscine de la villa. Peu à peu, Olivier se détache du monde réel et rationnel. Il erre et s’embrume, alors que Sylvie, de son côté, fait face à un deuil inopiné et à un accident imprévisible. Il faudra écourter les vacances. Rentrer chez soi, où enfin, Olivier trouvera avec stupeur la clef du souvenir et de la paix revenue.

Je me souvenais d’avoir lu autrefois quelque texte obscur sur la philosophie de Leibnitz, personnage fort sévère à l’endroit des esprits faibles, ces âmes qui voyaient des signes partout. L’agacement qui me monta au nez à cette lecture m’avait conforté dans l’idée que toutes les philosophies ne servent de rien quand il s’agit de rendre la vie intelligible et supportable. Je me détournai vite de ces spéculations assises sur le dédain de l’évidence, sur le mépris des faits – c’est ainsi que Leibnitz renforça ma vocation de journaliste.

xavier gardetteIl y a dans ce livre un attachement quasi fétichiste aux objets — boîte, baromètre, diapositives, photos, bol —. De leurs présences, jaillissent réminiscences du lieu, des lieux conquis puis retrouvés, des souvenirs et une certaine nostalgie. Peu à peu, des éléments nouveaux apparaissent dans ce récit. On va de précision en précision, surabondent les détails, quelquefois d’impression métaphysique, il y a des signes surréalistes, fantastiques, comme cette femme – Elle – apparue sur la plage… En sous-texte d’abord, puis d’évidence ensuite, des plis et des voiles levés sur les mystères de l’enfance, d’où émergent des sensations nouvelles. Le livre s’étoffe au fil des pages. Et le narrateur du coup se sent perdu comme un petit Poucet, il se voit comme le double d’Alice, en opposition totale avec la présence du couple voisin, qui n’est qu’un prétexte obsolète destiné à le faire se retrancher. Alors, il se perd dans le reflet des photographies en même temps que dans le nœud de son histoire qui ne manque pas de sel. Enfance périlleuse, décrite en alternance avec des résidus de bourgeoisie versaillaise éclairée et des journées de Vendée où se succèdent instants éphémères, et vécus familiaux. Olivier se croit dans Blow Up, et les effets d’optique révèlent qu’il écrit ni plus ni moins que sa propre biographie. C’est un tout un pan de son histoire personnelle et de celle de Sylvie, qui s’aligne véritablement, bercée par les relents de Clémenceau, de Virgile, de Carver, de Jules Renard, de Valéry et d’Eluard. C’est un texte ponctué de références littéraires, en marge des héroïnes de l’enfance, des plages où l’on s’est perdu, et de ces détails parasites de l’existence, qui remontent le courant de sa vie, depuis son plus mince ruisseau.

L’effort de mémoire va se muer en quête obsessionnelle, et Olivier semble pris dans un vertige dont il ne parvient à se défaire.

Cette perturbation de mon univers mental, cette prétendue réminiscence liée à la Grande Plage, tout cela n’est qu’un conte que je me raconte à moi-même, une bouffée d’autosuggestion destinée à contrer l’ennui qui menace, qui suinte déjà des murs alors qu’il faut vivre quatre semaines dans ce ghetto aseptisé cloné sécurisé, trappe à riches, à familles propres, à couples sénescents dorés sur tranche.

Dans une langue limpide et précise, Xavier Gardette nous invite dans une certaine intimité da ns laquelle s’embarque le lecteur. Intimité dont la quiétude apparente et jolie comme de la passementerie recèle des surprises : infimes blessures, complicités anciennes, amnésies entêtantes. Et courant tenace. Que laisse-t-on derrière soi lorsqu’on aime ? Comment sortir la tête de l’eau et faire résilience d’un passé trop lourd à porter ? Ce sont les questions, in fine, que Xavier Gardette nous pose, dans un texte délicat et fort.

Xavier Gardette Tocqueville à la plage, Arléa, 2016, 168 p., 18 €

 

Xavier Gardette est né en 1947, année d’apparition des OVNIs et meilleur millésime du siècle pour Bordeaux et Bourgogne. Il passe son enfance et son adolescence à Versailles et fréquente quotidiennement les jardins du Roi Soleil. Attiré par l’exotisme, il séjourne dès l’âge de 11 ans de l’autre côté de la Manche, travaille plus tard comme aide-soignant à l’hôpital de Tübingen en Allemagne, et pousse même jusqu’au cercle polaire. Appelé sous les drapeaux, il se planque à l’École Militaire. Libéré pour bonne conduite, il repart pour Glasgow, s’installe ensuite dans le sud de l’Angleterre où pendant plus de cinq ans il enseigne à l’université de Portsmouth. La nostalgie le ramène vers la douce France. Après un détour sur le front de l’Est, il se fixe dans cette verte Auvergne dont il fait sienne la stratégie : « pour vivre heureux vivons cachés ». Pendant vingt-cinq ans, il mène à Clermont-Ferrand diverses missions au service de la formation des adultes et parcourt avec bonheur les paysages de la région. Retiré aujourd’hui des affaires, et fidèle à la pensée de Mao-Tsé-toung : « Il faut toujours marcher sur deux jambes », Xavier Gardette pratique le golf et l’écriture, et va et vient entre le Parc des Volcans et une antique chaumine nivernaise. Il est l’auteur de nouvelles et de cinq romans.

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Laurence Biava
Écrivain et chroniqueuse littéraire, Laurence Biava contribue à plusieurs revues culturelles. Elle a créé, en 2011, l’association Rive gauche à Paris afin de créer et de soutenir des événements culturels liés au milieu littéraire ainsi que deux Prix littéraires. Le premier, le Prix Rive gauche à Paris, rend hommage à l’esprit rive gauche parisienne depuis le 19e siècle, et récompense une œuvre littéraire en langue française, qui privilégie la fiction. Le second, le Prix littéraire du Savoir et de la Recherche, est tourné vers tous les savoirs et les sciences.

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