Le Tibet minéral animal et La panthère des neiges : deux livres hors normes, qui se complètent, partent à la recherche de cet animal rare. Sylvain Tesson au texte. Vincent Munier aux photos. Prix Renaudot 2019.

tibet minéral animal

En feuilletant les premières pages du livre photos de Vincent Munier Tibet, minéral, animal, on a l’impression que de l’encre noire de Chine s’est déversée sur des précieuses feuilles de papier vélin pour y tracer des nervures sinueuses et de sombres taches profondes et noires comme l’eau d’un puits. Comme des signes graphologiques venus de la nuit des temps. En y regardant de plus près, certaines taches prennent forme. Des aérolithes deviennent loups ou yack. Un éclat de noir, couleur corbeau, rappelle même un oiseau peint en son temps par Georges Braque. La nature se met à imiter la peinture. Nuances de gris et noirs profonds pour un livre en couleurs.

Tesson Munier Tibet

 

Et puis la lumière change. On dirait de l’or étalé sur les pages. De l’or d’Orient, celui qui fait miroiter les bracelets des déesses, éclater les rayons de soleil sur mille rochers où s’unissent dans une couleur unique rochers et animaux, terre et ciel. Un voile de mariée qui s’élève du sol révèle une silhouette vivante. La taille de l’image volontairement petite nous oblige à acérer notre regard, à devenir à notre tour explorateur. Nous devenons enfin guetteur d’un spectacle que nous ne savons plus voir. Mais les acteurs nous regardent eux, depuis la nuit des temps. Ils brillent dans une poussière d’or.

C’est l’heure des rochers. Du mimétisme. On reprend pied avec la réalité. Le monde est abrupt, pointu, coupant, acéré. Il se sent félin. Attente et attaque. Dissimulation et révélation. La course devient l’arme des conquêtes. Elle raconte la puissance et la possession. Elle hérisse le jour de menaces. Elle suscite les aguets, les veilles, les longues terreurs. C’est l’heure de la loi du plus fort. Même le yack sauvage se débat devant l’objectif.

Tesson Munier Tibet

 

Vient alors la période du blanc. On ne brade rien. On joue avec les formes. On se pelotonne dans des boules de neige rondes et chaudes comme des pelotes de laine. Le noir s’y introduit parfois. C’est un museau, un oeil. L’immaculé est là, signe d’un âge d’or en blanc. Comme l’écrit Sylvain Tesson dans des textes d’accompagnement poétiques, souvent, et drôles, parfois, l’homme à la loterie de l’évolution n’a pas gagné le gêne de la force et « s’est consolé en inventant la folie ». Tant pis pour lui. Et le blanc a tout emporté sur la page de fin. Sauf la panthère. Minuscule, en bas à droite de l’image, elle signe le tableau de l’infiniment blanc.

Tesson Munier Tibet

« Un des plus grands photographes animaliers du monde » dit-on souvent de Vincent Munier. Un compliment sous forme de tromperie. Munier ne photographie pas les animaux : il photographie le monde, celui du silence, celui d’avant les hommes quand l’univers est régi par les seuls gènes de la survie et que la morale n’a pas encore permis de définir le bien et le mal. Munier n’est pas un photographe animalier, il est un artiste. Et Tesson un formidable écrivain que « les chemins noirs » ont popularisé. C’est donc une sacrée réussite de réunir un géant vosgien taiseux spécialiste de l’affût et un Parisien agité et bavard : un homme capable d’attendre un possible et un homme soucieux de susciter l’événement. Jouant sur cette opposition devenue complémentarité, le livre photos et le récit se répondent parfaitement. Dans son récit personnel La panthère des neiges Tesson joue de tous les registres, alliant philosophie, érudition, histoire de l’art et un humour décapant. Il nous convainc avec lui que l’affût peut féconder aussi l’inspiration et remplir une vie. Patiemment, avec lui à nos côtés, nous attendons au fil des pages la venue de la panthère. Attente récompensée ou non ? Peu importe. L’essentiel est ailleurs, dans les retrouvailles avec le temps des origines.

Tesson Munier Tibet
Sylvain Tesson (gauche) et Vincent Munier lors de leur expédition au Tibet en 2018 (Facebook)

Munier et Tesson. Tesson et Munier comme ils aiment s’appeler, ces deux-là ont mis leur talent immense d’écrivain et de photographe pour produire l’un des plus beaux ouvrages de ces dernières années. Un ouvrage d’art, pas de photographie animalière.

La panthère des neiges de Sylvain Tesson. Éditions Gallimard. 168 pages. 18 €. Parution 10 octobre 2019.
Tibet minéral animal. 260 photos de Vincent Munier. Texte de Sylvain Tesson. Editions Kobalann. . 240 pages. 65 €. Parution novembre 2018.

Page Facebook de Vincent Meunier

VINCENT MUNIER

 

Complète ces deux ouvrages : Tibet Promesse de l’invisible de Vincent Munier. 112 pages. Éditions Kobalann. 35 €. Un livre complémentaire qui fait office de carnet de route des expéditions tibétaines du photographe.

Vincent Munier, éternel émerveillé
Réalisation : Pierre-Antoine Hiroz et Benoît Aymon
Production : RTS
Suisse – 52 minutes – 2019

C’est l’une des rares personnes capables de tisser un lien entre l’homme et la vie sauvage. Le « pape » de la photographie animalière nous transmet, avec une subtilité qui lui est propre, ses émotions les plus intimes. Mais Vincent Munier en est convaincu : montrer la beauté du monde ne suffit plus. C’est un choc, une sorte de révolution culturelle que nous devons désormais opérer si nous voulons préserver – pour ne pas dire sauver – le monde que nous laisserons à nos enfants.

 

 

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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