En cette fin d’année, direction la librairie de notre partenaire Le Failler pour dénicher le dernier livre de Thierry Dancourt, Les ombres de Marge Finaly. Il vient de sortir un petit ouvrage de cœur et de style, une œuvre qui confirme son talent.

Encore méconnu, bien que déjà couronné par quelques prix, Thierry Dancourt a trouvé sa petite musique littéraire. De la rue Raynouard aux quais de Seine, en passant par les boutiques souvenirs, il nous entraîne dans une spirale de mots. « Là-bas, écrit-il, Paris se dilue dans un voile gris, sous un ciel instable, friable qui semble se fragmenter en une infinité de petits morceaux. »

« C’est du Mauriac à la sauce moderne, du Giono des villes »

Bien sûr, on raillera ce parisianisme. Bien sûr, on regrettera que nos écrivains d’aujourd’hui trouvent dans Paris le creuset de leur inspiration. Mais quel talent ! Thierry Dancourt a le don de rendre vivants les monuments, les personnages et la littérature. Il n’est pas un écrivain contemporain. Il est un écrivain tout simplement qui n’a que faire de l’emphase et de la bêtise des littérateurs aux phrases beaucoup trop longues. Il est dans le style épuré, dans la chevalerie littéraire qui aime désarçonner son lecteur. C’est du Mauriac à la sauce moderne et du Giono des villes.

Les ombres de Marge Finaly est un ouvrage qui respire la modernité, qui aime les cafés, les cigarettes Week-end et la légèreté de l’être. On est loin de l’intellectualisme, du snobisme. On est dans les petits plaisirs du narrateur qui nous invite à suivre une femme dans la rue. Et finalement, pourquoi pas…

 Thierry Dancourt, Les ombres de Marge Finaly, La Table Ronde (22 août 2012), 224 pages, 17€

Un matin d’hiver, à Paris. Le narrateur rencontre par hasard une femme qu’il a autrefois aimée, prénommée Marge. Qu’est-elle devenue ? Et qu’ont bien pu devenir ces jeunes gens qui à l’époque, alors qu’ils avaient vingt ans, se retrouvaient chez elle, dans une propriété des bords de Seine ? Ils y passaient leur temps à rêver leur avenir ; à danser et flirter ; à se promener en voiture, choisissant dans le « parc automobile » la massive Renault Prairie ou la petite Austin gris souris ; ou encore, au bord de la piscine, à fumer des cigarettes Week-end – car la vie avait l’insouciance, la légèreté d’un week-end sans fin.

Dans ce troisième roman, Thierry Dancourt confirme son penchant pour les femmes énigmatiques, les hommes peu enclins à songer à leur avenir, les failles secrètes. Plaçant sur le même plan sensible le décor et les personnages, il crée une partition d’une extrême subtilité, où chaque note compte.

Thierry Dancourt a publié en 2008 à La Table Ronde Hôtel de Lausanne (10/18, 2010), couronné par le Prix du premier roman et le prix Bertrand de Jouvenel de l’Académie française, ainsi que Jardin d’hiver (2010).

Extrait

Elle sort des Grands Magasins de la Samaritaine, du bâtiment donnant quai du Louvre, exactement, et moi, eh bien je viens de traverser la Seine en empruntant le Pont-Neuf. Il se remet à neiger un peu.
Elle marche vite, comme par le passé, et a toujours cette façon de tenir son sac à main, le bras légèrement levé, replié sur la bandoulière. Dans sa main droite, un paquet-cadeau emballé avec un papier qui, curieusement, est de la même couleur violette que sa cape. Dessous, porte-t-elle l’un de ses sempiternels chandails à cols roulés ? Mais qu’en reste-t-il aujourd’hui, de ces pulls de cachemire usés jusqu’à la trame, immettables, troués, pour certains ?
Elle s’arrête au début de la rue de l’Arbre-Sec, ajuste le ruban fermant son paquet ; ainsi, me dis-je, elle a conservé cette habitude de faire des cadeaux, l’un des moyens qu’elle avait trouvés pour «écouler sa fortune, du moins en partie». Distribution de cadeaux, largesses, dons, «gestes» envers les uns, envers les autres… Cette gentillesse, cette générosité se conjuguaient chez elle avec une certaine raideur de caractère, parfois une vraie agressivité, notamment, j’y reviendrai sans doute, à l’endroit des petits commerçants.
J’ai du mal à réaliser, mais c’est bien elle, ce matin d’hiver, là, devant la façade de la Samaritaine dont les baies en avancée, à pans coupés, évoquent la peau d’un crocodile, carapace qui m’aurait été bien utile à l’époque, d’ailleurs. Je pourrais – devrais, probablement – poursuivre, passer mon chemin, m’engager dans la rue du Pont-Neuf, la laisser filer. A quoi bon, finalement ? Tout cela était à présent recouvert par la poussière du temps, les cendres de toutes ces années, une quinzaine. N’avions-nous pas, les uns et les autres, suivi notre route, «évolué dans la vie», comme disait Wang dont c’était une expression coutumière ?
Je m’approche un peu sur le trottoir, prudemment. Cape à encolure fourrée. Bonnet lui tombant sur les yeux. Escarpins, bas noirs. Gants de cuir, sûrement l’une de ces paires qu’elle trouvait chez Muriel, boutique de la rue des Saussaies qui vendait des gants, des cravates, des foulards, et dans laquelle je l’ai souvent accompagnée pour l’aider à choisir, car devant la dizaine de modèles que la vieille dame – Muriel – avait étalés sur le comptoir de bois, côte à côte, tout se mélangeait dans son esprit, les formes, les couleurs, les finitions, elle «ne savait plus», et moi non plus, au bout d’un moment, si bien que j’allais l’attendre dans le café situé de l’autre côté de la rue, non loin du ministère de l’Intérieur.

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