La Ménagerie de verre lança le dramaturge et scénariste Tennessee Williams. En un mot, une pièce nommée délire… Daniel Jeanneteau et son équipe ont tout simplement sublimé le texte qui est la seule programmation d’un classique nord-américain cette année au TNB, Théâtre National de Bretagne, mais pas n’importe lequel.. Retour par la mise en scène !

 

La pièce est faite de souvenirs. À ce titre, elle est faiblement éclairée, sentimentale, non réaliste. Dans le souvenir, tout semble se passer en musique. C’est ce qui explique le violon dans les coulisses.
(Scène 1, La Ménagerie de verre.)

Tennessee Williams TNBAu fond, cette histoire est simple. Tennessee Williams possédait une acuité impressionnante en matière de psychologie. La Ménagerie de verre, c’est un peu sa vie, celle de sa sœur Rose, schizophrène, qui subira plus tard une lobotomie ; celle de sa mère Edwina, incapable de se remettre de l’absence de son mari, joueur et voyageur de commerce alcoolique. Dans la pièce, le strict minimum pour un huis clos : « un petit appartement de Saint Louis : la mère, Amanda, abandonnée par son mari, son fils, Tom, poète et employé dans une usine de chaussures, sa fille, Laura, fragile, solitaire et qui collectionne de petits animaux en verre ».

Par sa dramaturgie, « non réaliste », Tennessee Williams réalise une pièce sur la mémoire et le temps. Au metteur en scène de s’emparer de cette liberté. Le choix du décor s’avère pertinent : un rideau transparent sépare le public de la scène. La scène constitue un rectangle, comme une alcôve, isolée du monde par une deuxième couche de tissu. Le narrateur-personnage Tom passe parfois le rideau, la sœur aussi, à un moment crucial de son existence. Le reste du temps, on ne voit des personnages que leur silhouette floue et fantomatique.

Tennessee Williams TNBDaniel Jeanneteau met d’abord en scène la mémoire. Le découpage de la scénographie tend à le montrer : plus on descend dans les souvenirs, plus ils s’estompent. Tom se souvient : ces dernières paroles signent un adieu coupable à la sœur qui disparaît, peu à peu, à la flamme d’une bougie. Tom se souvient de ces mauvais souvenirs aussi, ceux qui ne s’effaceront jamais. La culpabilité de la mère, la responsabilité envers sa famille, la claustration de l’appartement…

C’est aussi une mise en scène du temps. La mère se bat avec un passé qui ne passe pas. Elle se remémore, elle radote. Elle fait revivre obsessionnellement « les bonnes manières du Sud ». Tom, quant à lui, voudrait fuir. Comme son ami Jim, le quatrième personnage, il appartient à cette génération des années 30, résolument tournée vers le futur. La sœur Laura a « son mode à elle », elle vit un pur présent.

Dans le même temps, Daniel Jeanneteau traite bien entendu du rêve et de l’inconscient. La scène, duveteuse, aérienne, emprunte beaucoup aux codes de l’onirisme. Chez Tennessee Williams, la vie n’est pas un songe, mais les personnages s’y projettent. Cette dimension inconsciente de la mémoire donne un dialogue unique : elle souligne ce qui, dans la réalité de l’existence, touche parfois à l’absurde. « Ce n’est pas une tragédie », concède Laura à Jim, celui qu’elle a aimé. Le double-sens de la formule prend alors une perspective plus large : pour la première fois, elle aime et ose parler, mais elle est abandonnée.

Tennessee Williams TNB« Tu vis dans un rêve », dit la mère à son fils. Parce qu’il part chaque soir faire la fête avant d’aller travailler dans une fabrique de chaussures, pour subvenir aux besoins de la famille, le frère Tom préfère répéter qu’il va « au cinéma ».

L’œuvre de Tennessee Williams a été adapté sur grand écran de nombreuses fois. La Ménagerie de verre donnera un film, en 1950, réalisé par Irving Rapper et dans lequel jouera notamment Kirk Douglas. La relation au cinéma, dans cette pièce comme dans les autres, demeure primordiale. Daniel Jeanneteau investit pleinement, et avec talent, cette dimension. Les toiles qui figurent tout à la fois les frontières entre passé et présent, réalité et mémoire, sont toiles de cinéma. La figure du père, l’absent, le fantôme de cette histoire, y est projetée. Tom le poète le confesse : il n’aime pas le cinéma, parce qu’il préfère l’aventure aux films d’aventure. On sait que Tennessee Williams fut rewriter à la Metro Goldwyn Mayer : il éprouve un sentiment d’amour-haine envers le septième art. Lorsque Tom répète qu’il va au cinéma, il pointe le dehors de la scène, le hors-champ du théâtre. Est-ce le futur, comme Jim le pense de la télévision ? Le théâtre est-il mort ? La scénographie réussit à jouer sur l’apparence et la profondeur : la scène se passe derrière la toile blanche, comme si elle montrait l’envers du cinéma.

Tennessee Williams TNB
Tennessee Williams

Enfin, Daniel Jeanneteau fait de la scène une sorte d’alcôve. Le sol ressemble parfois à un gigantesque matelas sur lequel les trois personnages paraissent alors minuscules. La disparition du père et de fait, l’échec du mariage, pèsent sur eux. Laura ne s’en remet pas, passe son temps à écouter des disques et à jouer avec sa ménagerie de verre. La mère se souvient des « festivités du Delta ». Tom reste déchiré entre son désir d’émancipation et la peur de fuir, comme l’a fait son père. Tout est toujours prêt à basculer. Les toiles légères et ductiles qui les entourent sont comme du verre ou de l’eau.

Tennessee Williams a écrit en 1944 un chef-d’œuvre. Parce que la pièce parvient à saisir à la fois l’universel du désir et de la culpabilité, et le bruissement des transformations de son époque. On a tous quelque chose en nous de Tennessee ? Cette chanson de l’inénarrable Johnny Hallyday, écrite par Michel Berger, rend hommage au dramaturge. Nathalie Baye y susurre, en exergue, les derniers mots de Margaret à Brick dans La Chatte sur un toit brûlant : « Ah, vous autres, hommes faibles et merveilleux qui mettez tant de grâce à vous retirer du jeu ! Il faut qu’une main, posée sur votre épaule, vous pousse vers la vie… Cette main tendre et légère… ». Sombre, l’œuvre de Tennessee Williams écrit les êtres cassés, en marge. Fragiles, donc, comme une ménagerie de verre.

La Ménagerie de verre de Tenessee Williams, du 8 au 12 mars au TNB

Assistant mise en scène et scénographie Olivier Brichet
lumières Pauline Guyonnet
costumes Olga Karpinsky, assistée par Cindy Lombardi, réalisation costumes Studio FBG2211
son Isabelle Surel
vidéo Mammar Benranou
collaboratrice à la scénographie Reiko Hikosaka
régie générale Jean-Marc Hennaut
régie lumière Juliette Besançon / Pauline Guyonnet (en alternance)
régie son Isabelle Surel / Benoît Moritz (en alternance)
Remerciements Marie-Christine Soma
avec
Solène Arbel
Pierric Plathier
Dominique Reymond
Olivier Werner
Sur la vidéo : Jonathan Genet
Production Maison de la Culture d’Amiens-centre européen de création et de production, Studio-Théâtre de Vitry, coproduction La Colline – théâtre national, Espace des Arts Scène nationale de Chalon/Saône, Centre Dramatique National Besançon Franche Comté, MCB° Maison de la Culture de Bourges/Scène Nationale, Shizuoka Performing Arts Center (Japon), Institut Français. Décor construit dans les Ateliers de la MCB° Maison de la Culture de Bourges/Scène Nationale.
L’Auteur est représenté dans les pays de langue française par l’Agence MCR, Marie Cécile Renauld, Paris, www.paris-mcr.fr en accord avec Casarotto Ramsay Ltd, London. La traductrice est représentée dans le monde par l’Agence MCR. « La Ménagerie de Verre » est présentée en vertu d’un accord exceptionnel avec « The University of the South, Sewanee, Tennessee ».

La « ménagerie » des objets en verre a été réalisée par Olivier Brichet et Solène Arbel. Avec la collaboration des élèves de première année de CAP et Bac Pro de la section verrerie scientifique du lycée Dorian à Paris et son professeur Ludovic Petit. Remerciements à l’entreprise V.S.N (Verrerie Soufflée et Normalisée – Paris).

 

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