Pour la première fois depuis sa création en 2014, la Biennale internationale d’art urbain Teenage Kicks a pris ses quartiers au musée des beaux arts de Rennes et, prochainement, au Frac Bretagne avec l’exposition Partir un jour, du 20 novembre 2021 au 2 janvier 2022. Mouvement issu de la culture underground, le street-art s’est peu à peu fait une place dans les institutions artistiques, de plus en plus friandes de cette pratique. L’heure est-elle à la reconnaissance du street-art comme art majeur ?

Depuis juillet 2021, Teenage Kicks, la biennale internationale d’art urbain de Rennes, égraine ses propositions artistiques – balades urbaines, rencontres, performances et expositions – à Saint Malo et dans la capitale bretonne, ses lieux culturels associatifs, et, pour la première fois, institutionnels. « Le chemin s’est fait progressivement. Notre souhait est de faire reconnaître les artistes issus de l’art urbain comme des artistes à part entière et que l’on cesse de considérer cet art comme un art mineur », déclare Mathias Orhan, artiste et co-fondateur de la biennale.

« La reconnaissance passe par l’institutionnel. »

En octobre dernier, Teenage Kicks faisait son baptême du feu au musée des beaux-arts de Rennes en invitant les artistes OX et Germain Prevost, alias IPIN, à recouvrir les murs autrefois blancs du patio. « Ox et Ipin ont à l’origine un travail contextuel. Les placer dans un whitecube est particulier, mais ils se sont nourris de la résonnance de leur travail avec celui de Vera Molnar [exposition Vera Molna, pas froid aux yeux, visible jusqu’au 2 janvier 2022, ndlr.] », explique Mathias. « Leur travail résonne aussi à l’extérieur, avec une œuvre dans l’espace public. OX a peint sur une façade du Cinéville et IPIN, rue Saint-Melaine. » Deux panneaux publicitaires habillés par leurs soins, boulevard du Colombier, accompagnent également les propositions.

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OX, Cinéville, Biennale internationale d’art urbain, Rennes, 2021

Le Frac Bretagne, pour beaucoup forteresse infranchissable de l’art contemporain, sera la prochaine étape de l’association Teenage Kicks. Une première entrée qui se fait par la petite porte puisqu’aux trois propositions du Frac Bretagne Nathaniel Mellors, Louise Mutrel et Ces dernières années – s’ajoutera l’exposition Partir un jour. Elle se déploiera dans le canyon et sur le mur du fonds, avec au commissariat deux artistes issus du graffiti, Patrice Poch, co-fondateur de la biennale, et Nicolas Gzeley.

Du 20 novembre 2021 au 2 janvier 2022, la proposition de la biennale d’art urbain illustrera l’histoire du graffiti français au prisme des voyages d’artistes qui partirent au delà des frontières françaises, dans le début des années 90, dans le but d’enrichir leurs travaux de nouvelles expériences en territoire inconnu. « Cette culture vient des États-Unis et a traversé le monde grâce à certaines publications, comme Subway Art d’Henri Chalfant, qui traitait essentiellement du graffiti sur trains. »

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Divers documents et objets, photographies et témoignages vidéo, carnets de voyages et œuvres nées de ces expériences permettront de découvrir l’histoire de cet art underground né dans la rue, en évolution perpétuelle. « Suite à cette parution, des jeunes du monde entier se sont mis à pratiquer le graffiti sur trains comme il était pratiqué dans l’Est des États-Unis. » De cet engouement est né une communauté internationale, désireuse de voyager, de rencontrer d’autres graffeurs et de partager leurs pratiques. « L’objectif, pour certains, était de collectionner les trains du monde entier ou de peindre sur des modèles particuliers », continue-t-il. « Puis, cette pratique s’est étendue à d’autres artistes issus du graffiti, mais qui avaient d’autres envies, notamment de dialoguer avec le public plutôt que de rester dans l’entre soi. Je pense notamment à Seth, artiste invité au Frac qui interviendra samedi 20 novembre, à 17h30. »

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Seth à La Courrouze, Biennale internationale d’art urbain de Rennes, 2019.

« Le street-art et le graffiti sont deux mondes différents »

Culture underground de naissance, l’étiquette d’art populaire accolée au street-art freine sa reconnaissance en tant qu’art majeur. En 2019, Anne-Claire Laronde, directrice des musées de Calais, admettait d’ailleurs dans un article de Beaux-Arts Magazine : « Le fait qu’un mouvement artistique qui a plus de 50 ans soit resté aussi méconnu des spécialistes du monde de l’art et quasiment ignoré des musées, c’est une anomalie ».

L’intérêt toujours plus croissant des institutions, françaises et étrangères, pour le street-art continue d’alimenter le débat de l’institutionnalisation d’un art issu d’une culture underground et les incohérences manifestes à ce sujet. « L’ambiguïté est à son comble quand les lois punissent sévèrement le street-art dès lors que l’artiste exécute une œuvre sans autorisation alors que des villes commandent des murs à ces artistes, que des musées exposent des peintures […] ou que des galeries permettent à certains d’accéder au marché de l’art », soulignai l’artiste rennais Tarek ben Yakhlef en 2013.

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Projet Dédale, Vannes © Tarek ben Yakhlef

Comme souvent dans les contre-cultures en passe d’institutionnalisation et d’intégration dans le marché de l’art, des divergences d’opinions se créent. D’un côté, les pratiquants qui s’ouvrent à l’institutionnalisation et y voient une forme de légitimation culturelle. De l’autre, ceux qui y résistent au nom des origines alternatives, telle la dimension illégale, de la culture en question. « Il ne faut pas confondre la pratique du graffiti et le street-art qui réunit des artistes qui pratiquent dans l’espace public. On les associe souvent, mais c’est une erreur », renseigne Mathias.

Les graffeurs, extrêmement visibles, s’adressent essentiellement à leurs pairs tandis que les street-artistes ont développé une volonté de s’adresser à un public plus large et tendent vers une professionnalisation. « Tout artiste, issu du street-art ou pas, se demande à un moment s’il veut vivre de son art. Il y a deux profils : ceux qui pratiquent essentiellement le graffiti et qui ne sont pas intéressés par les expositions, et ceux avec une pratique un peu plus affirmée, qui ont le souhait de montrer leur travail, avec à un moment une envie d’avoir une forme de reconnaissance », ajoute-t-il. Pratiquer dans l’espace public peut également se lire comme une volonté de ne pas vouloir passer par le prisme des galeries privées ou des centres d’art, dont les propositions présentent, généralement, les travaux de diplômé.e.s d’écoles d’art. « Ces artistes non-professionnels veulent pouvoir montrer leur travail et ils passent par la rue ou des galeries associatives. »

Les expositions, les ventes en galeries et les musées dédiés à ces pratiques ne manquent plus, la première foire internationale dédiée à l’art urbain ayant également vu le jour en 2016 à Paris. Mais l’agitation actuelle ne représente au final que le résultat d’une envie de légitimation culturelle, un désir de reconnaissance institutionnelle, qui prend sa source peu de temps après la création du mouvement. En 1972, le sociologue Hugo Martinez, créateur du collectif United Graffiti Artists, organise une première exposition de tags à la Razor Gallery à New York, où figurent notamment Phase 2 et Stay High 149. Le rassemblement Arte di Frontiera au musée d’art moderne de Bologne, en 1984, qui rapproche graffeurs et peintres américains en vue, dont Keith Harring et Jean-Michel Basquiat, fut un autre de ces moments clés (source). « Certains artistes ont un véritable souhait de professionnalisation, mais suivent un autre cheminement que ceux issus des écoles d’art, bien que ce ne soit pas le cas de tous. » Exposé jusqu’au 18 décembre 2021 au centre d’art 40mcube, Guillaume Pellay pratiquait le graffiti tout en étant diplômé d’une école d’art. « Son travail entre tout à fait dans le champs de l’art contemporain, mais ça reste des exceptions », énonce Mathias. « Cette exposition n’entre pas dans le cadre de la biennale, mais nous l’avions exposé en 2015. Généralement, la plupart des artistes présentés dans le cadre de Teenage Kicks sont autodidactes, sans forcément un cursus universitaire en tout cas. Ils se sont fait connaître à travers leur pratique dans la rue. »

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Guillaume Pellay, Exposition Blé, 40mcube, Rennes, 2021 © 40mcube

« Un artiste exposé le fait à travers sa propre contrainte. »

Si les questions de la liberté d’expression artistique et de la contrainte se posent dans les lieux institutionnels, elles ne sont pourtant pas spécifiques au street-art, mais au contraire s’étendent à toutes les pratiques artistiques « La problématique de la contrainte a toujours existé dans l’histoire de l’art. Les artistes essaient, à travers elle, d’exprimer quelque chose qui peut parfois être critique », précise le co-fondateur de la biennale. Mais, la plupart des artistes étant autodidactes, du moins sans cursus universitaire dans l’art, le mouvement se réfère moins à l’histoire de l’art qu’aux évolutions sociétales, contrairement, peut-être, à l’art contemporain. Ainsi, une compréhension plus directe du message ne constitue-t-elle pas un frein à la reconnaissance du street-art en tant qu’art majeur, face à un art contemporain toujours plus conceptuel ?

En 2010, le Museum of Contempory Art de Los Angeles commande une œuvre à l’artiste Blu. Il représente plusieurs dizaines de rangées de cercueils drapés de billets de dollars, mais l’œuvre est rapidement retirée pour ne pas salir l’image de la société américaine… « L’exemple de Blu est particulier, il s’agit d’une commande et les musées et centres d’art, notamment aux États-Unis, fonctionnent uniquement grâce à de gros mécènes. Certains acceptent la critique à travers l’art, d’autres moins. »

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Blu, fresque musée d’art contemporain, Los Angeles © DR

Ironiquement, des milliardaires s’arrachent les créations de Bansky, personnification de la critique totale du marché de l’art. En 2018, l’artiste pense un savant subterfuge qui autodétruit son œuvre La Fille et le ballon, une fois celle-ci vendue aux enchères. Ce pied de nez fait au monde du marché de l’art, entraînera, d’une manière étonnamment logique, une hausse soudaine de la valeur de ladite œuvre, récemment vendue pour la modique somme de 18,5 millions de livres, soit 21,8 millions d’euros, un record pour l’artiste. Une mise en scène qui révèle malheureusement le fonctionnement du marché des galeries : « Leur relation à l’art est particulière. Certains achètent de l’art comme ils achèteraient des actions, avec l’espoir qu’elle prenne de la valeur. Ils recherchent la valeur marchande plus que la qualité artistique », souligne Mathias. Certaines œuvres se prêtent ainsi à la spéculation financière. « Faut espérer qu’il y ait d’autres voies pour les artistes de vivre de leur art. Ça passe parfois par le milieu institutionnel qui peut permettre une critique de la société ouverte ou détournée », conclut-il.

Du 20 novembre 2021 au 02 janvier 2022 20, exposition Partir du jour, Frac Bretagne, Rennes.

Vernissage samedi 20 novembre à 18h30

Weekend d’inauguration, samedi 20 novembre, de 13 h à 19 h 30, et dimanche 21 novembre, de 13 h à 18 h. (Plus d’informations sur le programme)

POUR Y ALLER : Ligne C4, arrêt Frac.

Et aussi :

Jusqu’au 18.12.2021, exposition Blé de Guillaume Pellay, 40mcube,
48 avenue Sergent Maginot, Rennes.

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