Il suffit de lever la tête et d’observer la ville pour s’apercevoir de la richesse de Rennes en matière de graffitis. Lettres, phrases, dessins s’accumulent sur les murs – à la bombe, à la craie, au marqueur ou, encore, par collage. Acteur ou spectateur, admirateur ou détracteur, le graffiti fait partie de notre quotidien. Flop, tag, graff, graffiti ? Street art ou street artistes ? Zoom sur les murs de Rennes.

 

Cette énergie graphique est désormais d’autant mieux partagée que nombre de photos circulent sur Internet. Comme l’explique l’artiste rennais Mardi noir, qui relève une contradiction, « de nos jours, avec Internet, les photos de graffitis, parfois promus au rang de Street art, font un buzz énorme. Les gens vont se pavaner devant l’image d’une œuvre dont ils ignorent l’auteur, le lieu, le contexte de réalisation, et dénigrent le tag qui a été posé hier soir en bas de chez eux… » Et c’est toute la complexité d’un sujet qui renvoie aux goûts et aux censures. Car un graffiti chatoyant aux accents artistiques pourra être perçu comme beau et, donc, respecté, alors qu’un autre graffiti moins élaboré sera perçu comme une dégradation, voire du vandalisme – un vilain tag.

Voilà une première interrogation, d’ordre culturel et générationnel : qu’est-ce qui pousse les street artistes à s’exprimer, au risque d’une amende ou d’un emprisonnement, dans l’espace urbain alors que tant de lieux institutionnels ou de marché existent ? Une première réponse qui ressort de l’entretien exclusif que nous a accordé le célèbre crew (équipe) VH, c’est que le graff est une manière de vivre. Une manière de vivre tout à la fois personnelle, urbaine, collective, en spectateur et en producteur. À l’échelon hyperlocal.

 En 2002, la municipalité de Rennes, Le CRIJ Bretagne et la Mission jeunes ont encouragé le tag-graff-street art. Ils ont accordé aux graffeurs une trentaine de murs répartis dans la ville et un espace dédié rue de l’Alma. Ce dernier lieu, construit sur un terrain vague, visait à endiguer les squats sauvages en tentant de « canaliser » les tagueurs qui investissent les rues. Mais c’est souvent le recoin qui s’inscrit dans le réel, qui investit librement l’espace urbain, que les graffeurs préfèrent. Au risque de déranger, comme les tags faits à l’extincteur sur les murs de la prison des femmes.

Il faut le rappeler : l’origine de cette pratique tient autant de la revendication que de la transgression, comme l’explique les membres de VH. Le tag peut être ainsi lu de deux façons, par les bais artistique et/ou législatif. En voulant canaliser ces « énergies », la municipalité de Rennes a pourtant commis une regrettable erreur d’appréciation en confiant le projet graffiti à la Mission jeune et non aux Affaires culturelles. Comme le confie Mardi noir, âgé d’une trentaine d’années, « à moins d’être un ado, il est difficile de se sentir concerné par ce dispositif. Certains y trouvent leur compte : ils peuvent réaliser des fresques tranquillement et c’est très bien. Mais au-delà d’un enjeu esthétique, où sont passées les valeurs originelles du graffiti dans de tels dispositifs ? »

On l’aura compris, le tag est un problème politique dans la mesure où les élus régnants désirent maitriser la gestion de l’urbanisme en lui donnant les contours et l’atmosphère qui correspond le mieux à son message électoral et à sa vision de la chose publique.

Un autre projet du nom de « Palimpseste » invite les artistes à afficher tour à tour une œuvre éphémère. Le plasticien Zilda est l’auteur de cette exposition à ciel ouvert située sur le mail François Mitterrand. On s’éloigne pourtant de l’idée de créer une œuvre spontanée au détour d’une rue inscrite dans une cartographie localisée et intime – dans sa ville. Encore plus avec l’œuvre du plasticien et graffeur italien Blu, invité par le festival Mettre en Scène pour réaliser une fresque derrière le mur du Théâtre National de Bretagne. Ici sont impliqués des avantages financiers et techniques et des résonances politiques. Le street art se fait alors commande publique. Et consacre une forme de gentrification du tag.

Fichier:Blu sur le TNB.jpgHormis ces artistes « validés » par la municipalité, il est difficile de passer à côté d’une multitude de noms ou d’équipes qui nous entourent au quotidien. Beaucoup se sont installés durablement tels que War, reconnaissable par ses animaux géants, poissons, corbeaux ou libellules, mais aussi des fleurs et des slogans. Citons encore les noms du très respecté Azote et des crews VH, 3G, MAB, XK, 22M, DBZ, ECF, Kicey, 740, Arrival ou, encore, RAB qui parviennent à devenir familiers.

Certains d’entre eux accèdent aux galeries. Cependant, le passage entre la rue et la galerie d’art reste parfois un obstacle pour l’artiste. On touche là un nouveau problème : les productions-créations des street artistes ont-t-il vraiment un sens dès lors qu’ils sont enfermés, sans jeu avec l’espace référentiel ? C’est pourtant une façon de valoriser le graffeur en faisant de lui un artiste, de le reconnaître dès lors en tant que tel, sachant que ce n’est pas forcément ce qu’il recherchait au préalable. Les galeries ont aussi leurs propres enjeux et stratégies. D’où un croisement de démarches qui relèvent du marché de l’art contemporain, de la volonté des artistes et des différentes opportunités qu’on leur offre. Poch, Mardi noir ou les Frères Ripoulain arrivent à jongler avec les deux, continuant à investir les murs de la ville en plus des murs des galeries. Dans tous les cas, que le graffeur soit un artiste ou non, qu’il inscrive sa production dans une résonance hyperlocale ou, au contraire, dégagée et désengagée de son environnement urbain, il crée quelque chose d’éphémère alors qu’il espère voir son œuvre durer le plus longtemps possible.

(visuels : VH, Mardi Noir & Les frères Ripoulain)

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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