Suzanne Valadon Centre Pompidou Metz
La Chambre bleue, Suzanne Valadon (1923)

L’exposition Un monde à soi, au Centre Pompidou de Metz jusqu’au 11 septembre 2023 et un catalogue remettent au premier plan Suzanne Valadon, une femme peintre de talent dans un monde d’hommes.

Suzanne Valadon, jeune fille arrivée avec sa mère du Limousin à la Butte Montmartre, fut dès l’âge de 15 ans un modèle inspirant pour Renoir, Puvis de Chavannes ou Toulouse-Lautrec. Quelques années plus tard, elle devint la maman d’un peintre bientôt plus célèbre qu’elle, Maurice Utrillo. C’est souvent ainsi que l’on définit Suzanne Valadon. Modèle puis mère. Comme souvent l’histoire de l’art, masculinisée à outrance, a oublié l’artiste peintre importante de cette époque charnière de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle. C’est Degas, artiste misogyne s’il en est, qui l’intronisa un jour en voyant ses dessins : « Désormais, vous êtes des nôtres », aurait-il déclaré un jour à celle qu’il appelait « Terrible Maria », Suzanne étant le prénom fictif, choisi par Toulouse-Lautrec. C’est bien d’abord le trait, noir et épais, qui définit en effet la peintre à ses débuts, un trait sûr qui délimitera plus tard les corps avec précision quand les couleurs seront posées sur des toiles. Le papier et le crayon d’abord pour s’exercer, apprendre, elle qui n’a jamais fréquenté aucune école d’art mais qui posant des heures entières va observer ces hommes installés derrière leurs chevalets et saisir leurs gestes. 

Elle qui rêva, jeune d’être artiste de cirque, écuyère, va faire du corps sa principale source d’inspiration et ce sont ces nues qui éblouissent, des nues débarrassés de regards masculins portés vers le désir, l’esthétisme de corps divinisés. Les nues de Suzanne Valadon sont réalistes, sans apprêts ni poses langoureuses. Les seins sont lourds, les hanches larges et ne cherchent pas l’exhibition ou la dissimulation. Les corps sont présents, c’est tout. Cette volonté de traduire la réalité brute on la retrouve dans ses magnifiques autoportraits, dont celui de la couverture du catalogue, reproduit comme un manifeste pictural : j’ai mon âge (65 ans), et je suis telle quelle, comme vous me voyez. À la manière de Rembrandt, Valadon veut saisir le passage du temps. Ce précepte, elle l’applique à elle-même comme à ses modèles qui ne sont ni enlaidies, ni magnifiées mais aussi à ces portraits de commande sans complaisance et dont on se demande comment ils ont été reçus par leurs commanditaires. Elle peint aussi quelques nus masculins, là aussi sans « proscriptions culturelles », puisque c’est avec ces corps non dissimulés qu’elle vit depuis son arrivée à Paris. 

D’une grande qualité iconographique et soigné au niveau de sa mise en page, on aurait aimé que ce catalogue distingue, par des textes, ce qui fait la beauté originale de l’œuvre de Valadon. On aurait apprécié des commentaires spécifiques et détaillés sur quelques œuvres majeures comme ce magnifique tableau La Chambre bleue inspiré de l’Olympia de Manet, si proche et si différent à la fois. À contempler ces tableaux réunis on a le sentiment que Valadon, totalement autodidacte, fut une éponge à sa façon d’absorber les thèmes partagés par les artistes de sa génération mais aussi dans sa manière de poser les touches sur la toile. On retrouve Matisse et ses tissus et draperies, les aplats des nabis, les poses marmoréennes et les touches de Cézanne, l’absence de perspective, les roses et les traits noirs de Gauguin. Dire et écrire cela ne réduit pas le talent de Valadon qui n’agit pas comme une vulgaire copiste. Elle, qui participe à tous les salons, qui voit au quotidien les artistes, les côtoie, s’enrichit après d’eux comme elle le fit auprès de Toulouse-Lautrec et de ses lectures. Elle regarde, absorbe et traduit ses sentiments à l’aune de sa vie, de ses rencontres, de ses amours. Picasso lui-même cherchait, sans s’en cacher, à prendre chez les autres peintres qui s’en défiaient, leurs sources d’inspiration et leurs manières de faire. On peut aussi s’agacer de la désormais traditionnelle et obligatoire interprétation féminine de l’artiste et voir dans toutes les œuvres un symbole d’ « une puissance féminine (symbolisée ici par une montagne aux couleurs rose et chair, en forme de sein, qui domine le paysage ?) », ou de la répétition des éléments biographiques d’une contribution à l’autre.

Suzanne Valadon Centre Pompidou Metz
Suzanne Valadon, Nu allongé, 1928 Huile sur toile, 60 × 80,6 cm © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / image of the MMA

Il reste que l’on est ébloui par la modernité des tableaux qui nous émeuvent, par leur beauté tout simplement. On se dit qu’une nouvelle exposition reste à faire comme elle fut le cas avec celle consacrée à Picasso et aux Grands Maîtres, ou celle de Joan Mitchell et Monet, une exposition mettant en parallèle les œuvres de Suzanne Valadon avec celles de ces contemporains.

« Mon œuvre? Elle est finie […]. Vous la verrez peut-être un jour, si quelqu’un se soucie jamais de me rendre justice », avait-elle déclaré à la fin de sa vie. Cette exposition et ce catalogue lui rendent cette justice qu’elle espérait. Et qu’elle mérite.

Suzanne Valadon Centre Pompidou Metz

Exposition au Centre Pompidou Metz jusqu’au 11 septembre. Catalogue « Suzanne Valadon : un monde à soi ». Éditions Centre Pompidou Metz, avril 2023. 260 pages. 42€. 

L’exposition Un monde à soi sera par la suite présentée au musée d’Art de Nantes, dans la Patio, du 27 octobre 2023 au 11 février 2024.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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