Mister Eleganz et son fringuant combo Success fait son retour avec un album cinglant et musclé. Love and hate est un condensé de sentiments puissants et contrastés, d’ambiances sombres et électrisantes,  de riffs vitaminés et dansants ! Un exutoire d’amour et de haine…

 

Plus rock et plus rauque, toujours aussi ironique et critique la musique mise en scène par Success sur Love and Hate est plus sombre que jamais, mais toujours aussi remuante. Enregistré au studio Cocoon près de Rennes, avec Mick Prima de Bikini Machine, l’album est taillé pour la scène. You, avec son riff d’intro à la Grinderman, ouvre l’album et annonce la couleur. Un Mr. Eleganz frénétique s’adresse à son auditoire, mais les guitares sont plus acides et grinçantes, plus grimaçantes, à l’image de ce personnage arrogant dont la superbe semble toutefois prendre une teinte plus désenchantée. Le miroir des amours sacrifiées ouvre parfois de sacrées blessures. Mr. Eleganz le déclare du haut de son légendaire aplomb : Some kind of Frankenstein, exactly  who I am ! Le personnage réalise qu’il est un personnage qui lui aussi se fait une image de ce qu’il veut être, pleine face, environné par le martèlement des sequencers et de la batterie, par les vagues rageuses des guitares il perçoit que lui aussi à besoin d’attention, du regard des autres. Mr. Eleganz évolue avec l’histoire du groupe, comme dans une série le personnage vit, encaisse et restitue ce qui ressort de ses expériences. Il revient la mine un peu défaite, mais plein de rage, la cravate dénouée sur les épaules comme après un long, long rappel pour remettre ça et déverser l’énergie de celui que les événements négatifs ne tuent pas…

Les neuf titres suivant démontrent à l’envi que Success n’est pas qu’une machine à danser, ironique et efficace. Sans rien perdre de sa fougue diablement entraînante le groupe développe son penchant pour un rock carré et massif tout en approfondissant encore les introspections existentielles au cœur des assourdissantes sonorités électro. Le contraste est admirablement réussi, en particulier sur le constat de la distance amoureuse de l’hypnotique 24 years,  sur l’ambivalence et les pièges diaboliques des sentiments de The Devil ou encore de la vacuité de certaines attitudes de l’effréné Money.

Le fin mot de l’histoire, et le dernier, bien sûr, c’est toujours Mister Eleganz qui le tient :

Unidivers : Mister Eleganz, commençons par l’actualité toute récente : Success a organisé en urgence un concert en soutien au Népal, à Rennes au Oan’s Pub. Comment ça s’est passé ? Satisfait du « résultat » ?

Mister Eleganz : Oui très satisfaits. Nous nous étions fixé un objectif d’environ mille euros et, à quelques euros près, c’est ce que  nous avons obtenu. On l’a fait vraiment à l’arrache. Nous n’avons pas l’habitude de faire dans le caritatif business, dans l’humanitaire, on est pas Tryo a chercher des causes à défendre. Notre réaction a eu un caractère très personnel, parce que nous avons fait pas mal de dates en Asie, une grosse tournée en Inde et nous avions commencé par Katmandou. C’est en revenant du Printemps de Bourges que nous avons entendu cette nouvelle, le tremblement de terre au Népal. Nous avons été très touchés, car nous avons joué là-bas, nous avons vu, même si notre passage a été rapide, les conditions de vie de la population, nous avons noué quelques liens avec des personnes qui organisent avec peu de moyens des concerts vraiment agréables. Alors quand nous avons entendu les premières infos « séisme de magnitude 7,9; 1 mort » nous étions choqués… Quand tu connais, un peu, les conditions du pays, la fragilité, c’était comme cette couverture de Charlie Hebdo « Bal tragique à Colombey : 1 mort » ! C’était juste impossible, on a tout de suite imaginé l’ampleur de ce que ça pouvait être. Nous avons pris contact très vite avec les personnes que nous avions rencontrées là-bas (toutes vont bien, c’est déjà ça). Tous nous ont dit que pour aider le mieux serait d’envoyer des fonds alors on l’a fait… c’était une manière aussi de rendre la monnaie à tous ces gens qui nous ont reçus depuis des années pas seulement au Népal, mais aussi au Laos, en Chine, en Inde…

Le mieux ça aurait été de faire venir des groupes népalais, mais c’est très compliqué… Il y a une sorte d’attitude très « colonialiste », on envoi, on impose la musique européenne, occidentale dans ces pays sans échange possible. Je n’aime pas ça. Ce que nous avons fait là c’est aussi une marque de respect…

Unidivers : Précisément vous avez beaucoup tourné entre le premier album et le second, en particulier à l’étranger. Trois ans entre ces deux albums, comment ça c’est passé ?

Mister Eleganz : Curieusement, avant le premier album, qui n’a pas eu le succès escompté (pour des tas de raisons, on en trouvera toujours des bonnes et des mauvaises), nous avons plus tourné qu’après. Nous pensions qu’ayant fait plus de 150 dates avant la sortie nous en ferions autant après. Et puis, non… et en plus nous avons plus tourné à l’étranger qu’en France. Mais c’est aussi une chance, nous sommes l’un des groupes indé qui s’exporte le mieux, nous avons pu visiter de nombreuses contrées, c’est aussi une chance. Trois ans oui… mais c’est aussi parce que nous avons été contraints de changer de maison de disque. Cet album aurait dû sortir il y a un an ! Mais Sakifo Records nous a prévenus une semaine avant la date prévue qu’ils mettaient la clef sous la porte… Nous avons dû tout réorganiser, trouver un autre label et aussi un autre tourneur, le précédent ayant basé sa programmation sur une sortie de l’album en septembre 2014. Nous travaillons donc désormais avec Yapucca, grosse structure, basée à Rennes et qui à travers sa maison de disque Hyp a également signé Success pour l’album.

Unidivers : quelques galères alors, malgré le succès live ?

Mister Eleganz : Oui, ce n’est pas simple. Avant le premier album, on s’attendait à avoir des propositions de maisons de disque, et on en a pas eu tant que ça. Sans doute parce que nous avons cette étiquette : groupe de live. C’est une réalité, en effet ! Mais il faut en tenir compte. Tenir compte de cette ambivalence. Les musiciens vivent des concerts, du live, mais on demeure dans un paysage, dans un business qui reste obsédé par le disque. C’est surprenant, mais beaucoup de programmateurs programment des disques avant de programmer des groupes… Et les déconvenues sont à la mesure de cette vision des choses. Un bon disque, comme une bonne production, n’est pas l’assurance d’un bon concert ! Nous-mêmes nous évitons de jouer certaines chansons en live. Si tu ne peux pas obtenir sur scène la même magie, les mêmes émotions qu’en studio, inutile de vouloir jouer sur scène, ce sont deux univers différents. Peu de gens l’admettent, mais c’est une réalité. Et on se retrouve avec des festivals genre Pitchfork, ça coûte un bras, je parle même pas du prix de la bière, et mieux vaut venir avec son siège parce que quand on se lève c’est pour aller pisser, ce n’est pas la musique qui te fait te lever…

Unidivers : Pour le coup, il semble que l’énergie du live vous ayez su la capturer sur ce disque ? Love and Hate paraît plus hargneux que le précédent, plus homogène aussi ?

Mister Eleganz : Plus viscéral surtout, ça me semble le bon terme. Sur le premier album et au début de Success, nos influences sont si vastes (D’AC/DC à Daftpunk en passant par les Beastie Boys) qu’on se refusait de choisir. Le premier album partait dans tous les sens, ce qui faisait sa qualité, et aussi son défaut majeur… Love and Hate est plus simple à défendre, nous avons pris une direction, plus rock, plus noire, plus viscérale avec des textes plus personnels.

Unidivers : quelque chose, à l’image des concerts, d’un peu plus excessif aussi ?

Mister Eleganz : Oui, de toute façon c’est excessif ! Prenons The Devil sur l’album, on en met des tonnes, il a un côté presque cathédrale, c’est rococo, mais c’est à l’image de ce que nous donnons en concert.

Unidivers : Parlons de cette chanson… Dans une interview à propos de The Psychoanalyst tu disais que c’était tiré d’une expérience personnelle et que cette personne n’était pas arrivée à ses fins car tu ne crois en rien… The Devil ? Tu y crois ? Car comme le disait Baudelaire « la plus grande ruse du diable c’est de faire croire qu’il n’existe pas »…

Mister Eleganz : C’est une parabole. Je ne crois pas au diable, non. L’album est très personnel, j’ai vécu une séparation très douloureuse. J’ai écrit une grande partie des textes non pas après, mais pendant… Je sais que j’ai un regard particulier, le refrain de cette chanson c’est : « the devil in my eyes », c’est par rapport à ça que nous avons mis l’œil sur la pochette de l’album. Il faut savoir charmer, ne pas en jouer, savoir retenir, mais souvent on ne retient pas, c’est très facile de basculer, d’avoir quelque chose de diabolique, dire à quelqu’un je t’aime alors que ce n’est pas vrai, jouer un personnage, avoir le désir d’une image de soi. C’est aussi toute la question du personnage. Il y a une grande différence entre qui je suis, Yann, et Mister Eleganz, c’est parfois compliqué. Au concert de samedi, par exemple, il faisait une chaleur d’ours, j’étais en nage et une jeune fille m’a lacéré le torse… mais ce n’est pas  Yann qu’elle a griffé, c’est le personnage ! le côté diabolique c’est tout ça, le regard, où est la limite… et de l’autre côté, cette question : une fois que la proie est dans le filet ? Ça fait mal…

Unidivers : c’est très révélateur de l’essence même de Success… Des textes profonds, incisifs, cruellement réalistes sur une musique énergique et dansante, comme Crazy ?

Mister Eleganz : Tout à fait… Il se trouve que j’ai des choses à dire. Il y a beaucoup de groupes, d’albums, de musique où en fait il n’y a rien… Mais, d’un autre côté, ce n’est pas parce que vous avez des choses un peu profondes à dire, à exprimer que vous devez nécessairement faire une musique molle, lanSUCCESS-Crazycinante ou planante, ou dépressive. Il y a dans cette façon de faire une certaine redondance.  Crazy pour moi c’est une chanson d’amour.

Unidivers : Une chanson d’amour avec un regard qui peut paraître cruellement réaliste… ?

Mister Eleganz : La personne a qui elle est adressée ne l’a pas particulièrement bien pris… alors que tout l’amour de cette chanson est dans le « sugar babe » final. C’est un peu comme le Sick of you des Stooges. Lorsqu’on lit les paroles, c’est odieux ! Mais l’interprétation, la façon de chanter transforment cette chanson en une chanson d’amour absolument magnifique. Amener des choses difficiles, apparemment odieuses, il s’agit de ça depuis le début, il y a un premier degré, creusez il y en a un deuxième, puis un troisième, creusez encore si vous avez l’énergie suffisante vous en trouverez un quatrième et certainement encore un cinquième… Crazy c’est ça, c’est cette phrase finale qui éclaire le reste des propos. Dans le clip j’ai voulu reprendre l’image finale de Persona de Bergman. Cette main qui caresse l’écran, qui englobe la photo et la larme… Capturer un peu de cette ambivalence :  « tu me rends dingue, tu me donnes envie demister eleganz vomir… mon amour » !

Unidivers : Love and hate, c’est un peu un condensé de ça ? Y aurait-il aussi une petite référence à La Nuit du chasseur ?

Mister Eleganz : Oui bien sûr, et à Léonard Cohen aussi. Au départ, je voulais appeler l’album « songs of love and hate »… mais Love and hate c’était plus simple ! Deux livres très importants pour moi pour l’écriture de l’album ont été Fragment d’un sentiment amoureux de Roland Barthes et Les Caractères de La Bruyère.
Finalement, il y a plus de lien entre l’amour et la haine qu’entre l’amour et l’amitié, on passe de l’un à l’autre en une fraction de seconde, et les deux sont liés. Dans une situation passionnelle, il peut s’agir d’un seul et même sentiment. Nous aurions pu appeler l’album « passion » ! Bien sûr, il faut savoir avoir des choses un peu plus « légères », si tous les textes, tous les titres ont cette dimension ça ne passe plus, les choses plus légères donnent aussi plus de poids, par le contraste, à cet aspect profond et personnel. On évite un certain « pathos ». Brouiller les pistes, c’est aussi une dimension importante. J’adore ça. Les apparences ! J’en joue énormément. Les apparences on peut aussi les créer ! Ne vous fiez pas aux apparences.

Unidivers : Comme cette création qu’est le personnage de Mister Eleganz ? Ce qui est assez peu commun dans la scène française, dans l’approche française du chanteur sincère, qui est en scène comme à la ville ?

Mister-Eleganz-SuccessMister Eleganz : C’est du flan absolu ! Je ne crois pas qu’on puisse monter sur scène en étant soi. Quand on monte sur scène on veut donner une image, une image de soi certes, mais c’est comme les gens avec leur profil Facebook, ce n’est pas eux, c’est l’image qu’ils veulent donner d’eux. C’est pareil sur scène c’est comme ça que tu voudrais que les gens te voient. C’est finalement plus simple, et plus pudique, d’avoir un personnage. C’est le point de départ de Success… L’image que les gens avaient de moi dans ma vie d’avant, dans mes emplois précédents. On me disait froid, hautain, trop bien habillé. J’ai créé Mister Eleganz à partir de ces éléments-là. Dès le départ je me suis dit qu’il devait y avoir un personnage comme chez les gens qui m’ont influencé, Bowie, Iggy Pop, même Mick Jagger… ou Marylin Manson. Ce sont des personnages, c’est accepté dans la musique anglo-saxonne. Ce qui est accepté aussi chez les romanciers.

Success Love and Hate, CD, 2015, Hyp/PIAS

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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