Stefan Wesolowski est un jeune compositeur polonais né en 1985. Kompleta, sa première œuvre vient d’être rééditée par le label Ici d’Ailleurs. Cette composition immerge le chant liturgique catholique romain dans un enchevêtrement de splendides sonorités hétéroclites. Elles mettent en synergie l’ancien et le moderne avec une justesse de sens et d’émotion rarement atteinte.

 

Stefan Wesolowski Michal JacaszekKompleta, que Stefan Wesolowski compose à l’âge de 21 ans, est d’abord le fruit d’une commande par l’ordre des Dominicains. Constituée de neuf parties, cette œuvre s’appuie avant tout sur les cordes – violon, alto, violoncelle. Mais ce sont les voix de Maja Sieminska et de Stefan Wesolowski lui-même qui assument l’essentiel de l’originale étrangeté de ce travail. Les parties électroniques (arrangées par le compositeur Michal Jacaszek) qui viennent perturber, désaxer ou sublimer la suave contemplativité de la musique parachèvent cette sensation de nous trouver plongés dans une sorte de faille temporelle artistique. À la jonction de notre aujourd’hui et d’époques fort reculées. Époques oubliées mais dont les harmonieuses sonorités parviendraient jusqu’à nos lendemains incertains dans les réverbérations d’une lumière aussi crépusculaire qu’apaisante…

Kompleta Ici d'Ailleurs Stefan Wesolowski Michal Jacaszek
Stefan Wesolowski (photo Ala Weso)

Kompleta s’ouvre sur Wezwanie une mélancolique mélopée de cordes aux faibles accents médiévaux irrigués par d’irritants crépitements électriques d’où émergent brusquement les voix. Sans apprêt, à la fois brutes et angéliques, ondulant sur le bourdon des cordes et des irritations électroniques, elles déploient le vénérable texte sacré jusqu’à son essoufflement. À sa reprise sur Akt pokuty, la voix de Maja Sieminska, plus en retrait, plus réverbérée, s’extirpe, méditative, d’un magma de sons electro-acoustiques triturés à l’extrême. Hymn reprend là où Wezwanie s’était interrompue.

Les voix très présentes, naturelles, très en avant, sans fioritures, rendent singulièrement présent le très ancien texte liturgique, son esprit, la paix qu’il porte et déclame, la beauté pacifique qu’il réclame et diffuse. À sa suite Psalmodia enfonce le clou et répond admirablement à son titre. Les rares notes des cordes, hypnotiques et répétitives, se mêlent harmonieusement aux échos électroniques. Tintinnabuli d’un sonar mélodique, perdu dans les strates temporelles, entre haut Moyen-Age et voyages intergalactiques. La mélodie se développe pourtant, et rayonne, cyclique, mélancolique, éperdue…

Modlitwa et Antyfona do NMP qui clotûrent l’album en s’enchaînant mènent le projet de Wesolowski à son acmé. Les percussions électro de Jacaszek, lentes, spectrales, sourdes et crépitantes soulignent l’aspect incantatoire et scandé de cette  longue procession musicale à la fois grave et libératrice. Les cordes se font plus légères et aériennes, plus lumineuses, accompagnant de leur ample mouvement la voix de Maja qui, succédant à celle de Wesolowski (charnellement drue), enlumine l’ensemble d’une force sereine, spirituelle et incarnée, tantrique, toute féminine. C’est comme un vitrail, simple et clair, qui laisse pénétrer après l’avoir transformée, une lumière, devenue matériellement surnaturelle, dans le corps sombre et froid d’une très ancienne cathédrale en ruine.

Kompleta tient, n’ayons pas peur des mots, de l’extase. On songe, un peu, à la mystique d’une Hildegarde de Bingen, échappant aux trop sirupeux mélismes du new-age pour s’épanouir avec une grâce non feinte dans une postmodernité assumée et enfin rayonnante. Réussite absolue cette œuvre apparaît telle par un « je ne sais quoi » de naïf, de très direct, d’organique, s’élevant depuis un lieu mystérieux au sein duquel la coincidentia oppositorum ne serait pas un idéal abstrait, un mot creux, un concept vide mais au contraire la plénitude très crue, très charnelle d’une œuvre d’art qui parvient par son humble et particulière singularité à résoudre par le haut la conjonction de la chair et de l’esprit.

Stefan Wesolowski Kompleta, CD/LP, 9 titres, Ici, d’Ailleurs, 2015

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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