Dans le cadre du festival international Mettre en Scène se déroule du 10 au 14 novembre Slow Futur, une création de Martin Palisse et Elsa Guérin. La salle était comble au Grand Logis de Bruz. Le spectacle proposé au public déploie une vision singulière de la scénographie et, plus généralement, de la place du corps au sein de l’espace.

 

Entre art total et hybridation

Le festival Mettre en Scène, organisé par le TNB, entend en principe soutenir « des créations surprenantes, des impromptus rares ». Concernant Slow Futur, création de la compagnie Cirque Bang Bang, le pari est réussi : le commerce entre le cirque et ses passerelles opère et saisit le spectateur.

Slow Futur

Mais qu’est-ce que Slow Futur, au juste ? Deux personnes qui se meuvent. Et qui jonglent. Une scène. Trois musiciens en direct. Un décor futuriste. En somme, un spectacle vivant à mi-chemin entre la danse, le cirque, la scénographie et la musique.

« Recherche sur le jonglage, explorant son potentiel chorégraphique, dramatique et poétique, questionnant conjointement écriture et dramaturgie pour le cirque aujourd’hui », voilà comment se présente la création. Ambitieux dans son propos et son dispositif, Slow Futur se veut total. La mise en scène, épurée, baignée de lumières bleutées, cybernétiques, grince sous la musique électronique et progressive du groupe Zombie Zombie. Martin Palisse et Elsa Guérin, eux, épousent ou affrontent le mouvement d’un tapis roulant de 8 mètres, au centre de la scène.

Cette hybridité pourrait confondre le spectateur. La stratégie fonctionne néanmoins, car chaque discipline converge vers un socle commun et originel : celui de l’art en tant que configuration de l’espace ou du temps. Entre conceptualisation radicale (parfois ronflante) et maîtrise technique évidente, Slow Futur ne tranche pas. La charge théorique assène si puissamment le spectateur qu’une heure de spectacle peut paraître ou trop longue ou trop courte.

Mesure du temps

Que nous disent-ils ? Pour soustraire à ce spectacle une idée, nous avons ce titre, Slow Futur, samplé à plusieurs reprises et confondu avec le No futur de l’idéologie punk. Un futur lent ? Ces créateurs explorent en tout cas la notion de manière philosophique. Comme si on se trouvait en face d’une tentative de mise en scène de l’aporétique de Saint-Augustin sur le temps. Le futur présent se montre à la loupe, dans le détail et l’infinitésimal. Le dispositif scénique ralentit et déconstruit ce futur à venir, dans un travail qui rappelle le Futurisme italien ou celui du vidéaste contemporain Douglas Gordon dans son 24 Hour Psycho, une décélération méticuleuse du film d’Hitchcock sur une journée entière.

slow futurSaisir la mesure secrète du temps se fait, dans Slow Futur, par l’exploration du mouvement. La musique de Zombie Zombie donne le pas. Les danseurs suivent le rythme, ralentissent ou accélèrent, s’arrêtent ou s’emballent. Le tapis roulant ? Automation d’usine ? Pellicule de cinéma ? Tapis de course ou métaphore de l’existence ? Le couple choisit de se laisser porter, de se laisser vivre. Ou de rentrer en conflit. La mise en scène suggère en un temps court des interprétations diverses. On croit voir un homme et une femme séparés par le temps qui passe, cherchant à se rejoindre, se retrouver. Ou des coureurs de fond, lancés vers un but invisible.
L’installation concourt à évoquer une vision elliptique de l’existence. Les performeurs sont ramenés à une lutte essentielle et matérielle contre le temps. L’horizon du tapis roulant se démarque nettement des danseurs et des néons, à la verticale. Le minimalisme de la mise en scène figure un espace organique et mécanique. Les danseurs lancés sur ce tapis semblent lutter contre l’anarchie du mouvement.

Mouvement des corps

Le cirque intervient d’une manière nouvelle. L’art du jonglage lui aussi retourne à sa fonction première et métaphorique. Les balles blanches ressemblent à des atomes que le mouvement entraîne. L’être humain dans l’impulsion du monde la recrée à son tour. Les montées en puissance de la musique combinées à l’accélération impressionnante des jongleurs ont fait jubiler le public.

slow futurLe rythme épileptique du spectacle avait une fois encore un aspect synaptique, particulièrement dans l’alternance aveuglante des lumières blafardes sur la scène. Cet apport du light painting, en confirmant le caractère pluridisciplinaire de la pièce, avait surtout le mérite de prolonger l’idée d’une interaction entre espace et temps.

Le corps, bien entendu, est au centre de la création. En mouvement, en fildefériste, en équilibre, en silence, en bruit… et finalement, en gisant futuriste, couché et immobile sur une tombe de marbre phosphorescente. Un paradoxe saisissant semble rendre Slow Futur si hypnotique : l’homme et la femme, sur le tapis roulant, auront subi une immobilité en mouvement, ou le mouvement immobile qui chaque seconde nous gouverne.

La création assume pleinement son caractère contemporain et expérimental. L’obscurité du message, s’il existe, demande une participation active du spectateur…qui peut parfois lasser. Cinétique, Slow Futur ne concède cependant rien à l’accélération ou l’injonction à la vitesse. Cette pièce, au contraire, y réfléchit. Qu’il n’arrête surtout pas leur cirque !

Slow futur. Durée 1 heure. Elsa Guérin, Martin Palisse, Étienne Jaumet, Cosmic Neman, Dr Schonberg. Musique originale Zombie Zombie.

du mardi 10 au samedi 14 novembre au Grand Logis / Bruz
le mardi 17 et mercredi 18 novembre au Carré Magique / Lannion

Création, construction installation lumineuse et régie lumière Thibault Thelleire
Construction scénographique Stephan Duve
Régie son et plateau, direction technique Gildas Céleste
Production Cirque Bang Bang
Production déléguée Le Sirque Pôle national des arts du cirque de Nexon en Limousin
Coproduction Théâtre National de Bretagne/Rennes ; Le Carré Magique de Lannion-Trégor, Pôle national des arts du cirque en Bretagne ; Le Sirque Pôle national des arts du cirque de Nexon en Limousin ; La Verrerie d’Alès – Pôle national cirque en Languedoc-Roussillon ; Sémaphore scène conventionnée/Cébazat ; La Maison des jonglages scène conventionnée jonglage(s)/La Courneuve ; Théâtre de Cusset, scène conventionnée cirque ; La Cité du cirque Pôle régional des arts du cirque/Le Mans.
Avec le soutien du Fonds SACD Musique de Scène dn partenariat avec le Grand Logis

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