Détox paraissait sur la plateforme Netflix le 1er septembre 2022. Série française créée et réalisée par Marie Jardillier, elle met en scène deux femmes trentenaires qui, face à leurs déboires personnels, décident de lâcher leur smartphone, les réseaux sociaux et tout écran pendant un mois. Comédie de mœurs et familiale au ton léger, portée par des interprètes touchants, elle remet rieusement en question la place que les écrans ont pris entre nous et la réalité. Sa créatrice nous en parle.

Léa (Tiphaine Daviot) et Manon (Manon Azem) sont cousines et colocataires, toutes deux trentenaires et célibataires. La première n’arrive pas à décrocher de son ex petit ami qu’elle « stalke » (épier sur les réseaux sociaux, dérivé de l’anglais to stalk, traquer, harceler) en permanence depuis plusieurs mois, jusqu’à ce qu’il le découvre, la bloque de tous ses réseaux sociaux et porte plainte contre elle. La seconde, aspirante chanteuse exploitée par une brute de manager, a été humiliée sur les réseaux sociaux à la suite d’une gamelle magistrale sur scène, c’est le « bad buzz ».

Alors, au cours d’une cuite monumentale, les deux complices décident de laisser dormir pendant un mois leurs smartphones, ordinateurs et réseaux sociaux, pour « se purifier le corps et l’esprit ». Léa, encore victime de son addiction affective pathologique, pense ainsi démontrer à son ex, Guillaume (Gauthier Battoue), qu’elle est devenue plus mature et, qui sait, le récupérer. Manon, quant à elle, cherche à se libérer de l’image de chanteuse midinette dans laquelle son manager l’enferme.

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Gagan (Oussama Kheddam), voisin et ami de Léa et Manon sera un fidèle soutien pendant leur détox. © Marie Genin

Dans leur famille, leur détox fait débat, certains se moquent franchement, d’autres approuvent l’idée sur le principe, sans parvenir pourtant à lâcher leurs appareils connectés. On observe au passage de quelle façon les écrans se sont immiscés dans la vie sociale et familiale, peu importe l’âge, du neveu lycéen qui préfère jouer à la Switch que faire ses devoirs au papa qui passe sa retraite sur son smartphone, délaissant son couple. Plus que le sujet central de la série, cette idée de détox est « un moyen pour parler d’une génération, de jeunes femmes, d’émancipation, de choix de vie », explique Marie Jardillier. Et aborder le rapport à la technologie à différents âges permet aussi de brosser plus largement le portrait d’une époque.

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© Marie Genin

« Aujourd’hui, il faut des concepts forts pour pouvoir exister dans le milieu de la série », affirme Marie Jardillier. Et le concept de Détox a su plaire à la plateforme Netflix qui commande six épisodes d’une trentaine de minutes pour la première saison. C’est la première série de cette jeune créatrice qui a fait ses débuts dans l’audiovisuel en tant qu’assistante de production. Elle a notamment travaillé sur les films Polisse (Maïwenn, 2011), Radiostars (Romain Levy, 2012) et Populaire (Régis Roinsard, 2012). Ces expériences formatrices lui font découvrir les arcanes de la création audiovisuelle. « J’ai appris en observant. La production, c’est être au cœur d’un scénario. C’est voir un film de la base de son écriture à la fin de la postproduction et constater que les écritures se font autant au scénario qu’au tournage et au montage », affirme-t-elle.

À force d’accompagner la création d’œuvres audiovisuelles, la tentation de devenir elle-même créatrice se fait sentir. Marie Jardillier commence par réaliser des courts-métrages pour le Nikon Film Festival. Puis, son court-métrage Parmi les sirènes (2015) est projeté dans quelques festivals. Avec Détox, elle se lance dans le grand bain : elle sera à la fois créatrice, réalisatrice et scénariste de la série (épaulée de Joël Nsita et Estelle Kœnig au scénario).

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Marie Jardillier sur le tournage de Détox © Marie Genin

Et pour sa première série, Marie Jardillier affiche son penchant pour la comédie. « Je suis fan de Friends depuis mes 8 ans. J’ai regardé beaucoup de comédies en séries étant jeune ». Du côté du cinéma, elle cite Les Bronzés (Patrice Leconte, 1978, 1979, 2006), les films de Francis Veber ou ceux de Jim Carrey, Comme t’y es belle (Lisa Azuelos, 2006), Tout ce qui brille (Géraldine Nakache et Hervé Mimran, 2010). « Je trouve génial de se marrer et d’être touchée dans le même film. Ça me chamboule plus de rire, rire, rire et d’un coup me prendre une grosse émotion que je ne voyais pas venir », confie la cinéaste.

Malgré cet attachement pour la comédie à la française, un constat la travaille : en France, l’humour à la télé et au cinéma est phagocyté par la présence masculine. Si ce constat peut se nuancer par des exemples rares, mais de qualité, où la mixité règne (Fais pas ci, fais pas ça, Dix pour cent), il n’empêche que des Deschiens à Serge le mytho, en passant par H, Caméra Café ou Kaamelott, les femmes sont fortement sous-représentées. Parallèlement, la sériephile peut citer une pelletée de productions américaines portées par des femmes : « Unbreakable Kimmy Schmidt, 30 Rock, VEEP, Fleabag, Girls, même Sex And The City à une époque ». 

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© Marie Genin

Marie Jardillier avait donc à cœur de mettre la féminité au centre de sa première série, en plaçant en duo principal deux cousines, mais surtout deux excellentes copines. « Je voulais absolument qu’elles ne soient jamais l’une contre l’autre. J’en ai marre de voir des films ou des séries où les personnages féminins ne sont pas ensemble, où la cause du problème soit la crasse de l’une envers l’autre. » Et en effet, la dynamique de ces deux protagonistes — une complicité évidente, l’envie de faire rire l’autre, le portrait réaliste de deux femmes pleines de qualités autant que de défauts — les rend très attachantes et démontre, s’il était réellement besoin, qu’on peut « faire de la comédie, du burlesque même, avec des personnages féminins au premier plan ».

Cette comédie féminine passe par une direction d’actrices basée sur le corporel, ce à quoi sont très peu habituées les actrices françaises. « Je poussais les unes et les autres à bouger, à parler avec les mains, à aller plus loin dans les extrêmes. Beaucoup de la comédie passe par le corps, en plus de la réplique. Des comédiennes comme Tiphaine [Daviot] ou Manon [Hazem] sont très expressives. Un regard, un sourcil levé, une tête qui se tourne super vite, c’est déjà de la comédie. » L’apport des acteurs et des actrices au comique est à ce titre évident. « Il y a plein d’élans naturels qu’ils vont proposer, parfois des répliques entières, comme si leur personnage parlait », rapporte Marie Jardillier. « L’audiovisuel, c’est l’art du collectif », rappelle-t-elle.

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© Marie Genin

La deuxième direction principale des comédiens et comédiennes était le rythme. « J’ai l’impression que je joue la comédie à l’oreille, c’est un peu comme une musique. Quand le comédien dit sa réplique, ça me paraît juste ou faux dans le rythme de la comédie », confie la réalisatrice. Peaufinés par la coscénariste Estelle Kœnig, dialoguiste pour le théâtre, et parfois par les apports des comédiens et comédiennes, les dialogues de Détox fusent avec le naturel survolté de la comédie.

Ce naturel s’explique aussi par le contexte qui relie les personnages, le cadre familial et amical. Au-delà du concept de détox digitale qui fait de la série une comédie de mœurs, Détox est avant tout une comédie familiale et du quotidien, avec ce qu’elle comporte de représentation caricaturale. « On leur a mis des défauts partout de façon à ce que ça explose bien. Tout est poussé. Et en même temps, un repas de famille si on regarde bien il y a tout le temps des extrêmes. »

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© Marie Genin

Dans ce contexte familial a priori figé, la détox est motrice de dynamiques personnelles et relationnelles. Léa se détache peu à peu du souvenir de son ex et ouvre les yeux sur un nouvel amour. Manon se débarrasse de son manager et, grâce au soutien de ses amis et à une nouvelle rencontre, se lance à la poursuite de son rêve : rapper. « Le but était de montrer qu’en levant un peu le nez de nos écrans, on a autour de nous des choses qui bougent, qu’on ne voit pas forcément. C’est de ça que je voulais parler, plus que de sevrage », confie Marie Jardillier. Détox n’aborde pas le manque qu’on peut éprouver pour la technologie, mais le plein qu’on retrouve quand on s’en détache. La créatrice voulait aussi éviter un ton moralisateur. « J’avais envie d’ironiser des situations en se disant c’est vrai qu’on est un peu cons quand on fait ça. La morale, c’est pas arrête d’utiliser ton téléphone, mais est-ce que tu penses que tu l’utilises bien ? », résume-t-elle.

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© Marie Genin

Ce regard à la fois moqueur et bienveillant fait de Détox une comédie au ton bon vivant dans laquelle on s’attache rapidement à la galerie de personnages pour compatir à leurs déboires ou s’investir dans leurs relations. Pour cette première création, Marie Jardillier a atteint son objectif : « faire une série doudou ». « Je cherchais à atteindre ce sentiment de réconfort et de déconnexion qu’on peut avoir en retrouvant des personnages qui nous ont plu, fait rire, touché. J’ai l’impression qu’en étant moi-même sincèrement touchée par la comédie ou l’émotion de mes personnages, d’autres le seront peut-être ».

Entre la playlist de Marie Jardilliers, les créations des équipes de Disiz La Peste pour le rap de Manon et l’orchestration de Matéi Bratescot, la BO de Détox foisonne de pépite !

Au bout de six épisodes dévorés avec entrain, et au son d’une bande originale irréprochable, les personnages nous ont assez touché pour qu’on attende avec impatience de lâcher un instant nos téléphones pour se plonger dans une seconde saison. D’autant que la première se conclut sur un cliffhanger qui laisse présager de belles aventures. Et pour attiser encore notre curiosité, Marie Jardillier confie que si seconde saison il y a, la détox ne sera pas forcément digitale…

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© Marie Genin
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Jean Gueguen
J'aime ma littérature télévisée, ma musique électronique, et ma culture festive !

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