Depuis quelques jours, les titres s’enflamment. On nous annonce rien de moins que la découverte d’un « septième sens humain » : le « toucher à distance ». Rien que ça. On croirait presque que les humains viennent soudain de rejoindre la grande famille des super-héros, capables de détecter un objet sans le toucher, par une sorte de téléperception tactile. Avant d’acheter une cape et des collants, faisons un peu de tri.
L’étude en question existe bel et bien. Elle émane de la Queen Mary University of London et de l’University College London, deux institutions plutôt connues pour leur science que pour leurs stages de magnétisme intégratif. Présentée à une conférence IEEE, elle étudie la capacité des humains à détecter un petit objet enseveli dans du sable avant d’entrer en contact avec lui.
Comment ? En glissant un doigt dans le sable et en observant les micro-variations de résistance mécanique (ondes de pression, redistribution des grains) provoquées par la présence d’un bloc solide. Rien de magique : un phénomène parfaitement physique, mesurable, documenté. Les participants humains ont montré une précision d’environ 70 %, à quelques centimètres de distance. C’est intéressant, élégant, et potentiellement utile pour la robotique ou l’exploration souterraine.
Mais parler de toucher à distance suggère un pouvoir télékinésique. Or le doigt est dans le sable. Ce n’est pas plus mystique que sentir un caillou sous une couverture un peu épaisse. Les chercheurs n’ont jamais parlé de septième sens. C’est une invention journalistique, probablement conçue pour accompagner le lecteur dans une rêverie sensorielle de trois minutes – chrono.
Ce que nous dit vraiment l’étude : un toucher plus fin qu’on ne le croyait
Ce qu’elle montre réellement, c’est que le toucher humain, déjà incroyablement sophistiqué, sait exploiter des signaux mécaniques extrêmement ténus transmis par un milieu granulaire. Les oiseaux de rivage (bécasseaux, pluviers) utilisent des mécanorécepteurs similaires pour détecter des proies dans le sable. L’être humain, bien qu’un peu moins équipé côté bec, n’est donc pas si maladroit dans ce type d’environnement.
Appeler cela un « septième sens » revient à ignorer que les neurosciences reconnaissent déjà une bonne dizaine de sens au-delà des cinq hérités de l’école primaire : proprioception, équilibrioception, nociception, interoception, thermoception. Bref, si chaque nuance d’un sens doit désormais être baptisée « nouveau sens », nous pourrons bientôt revendiquer un treizième, un dix-septième, voire un quart-de-douzième sens.
Pourquoi les médias ont-ils sauté trop vite sur l’expression « septième sens » ?
Parce que cela fait vendre. Parce qu’un titre comme « Une étude montre que les humains perçoivent de petites variations mécaniques dans du sable sec » enthousiasme en général moins les rédactions que « Nous avons un nouveau sens ». Et parce qu’il existe, très profondément, une fascination culturelle pour tout ce qui semble élargir notre perception du réel. Sauf qu’ici, il ne s’agit pas d’un sixième, septième ni vingt-et-unième sens. Il s’agit d’une nouvelle manifestation du sens du toucher, dans une condition bien précise (le sable sec). De quoi nourrir les travaux en robotique et en haptique, pas un film Marvel.
Alors, que retenir ?
- L’étude est sérieuse et scientifiquement solide.
- Elle met en lumière une capacité réelle du toucher humain dans un milieu granulaire.
- Elle n’a rien de mystique, magique ou paranormal.
- Le terme « septième sens » est un emballage journalistique, pas un concept scientifique.
Ce que les chercheurs ont montré, en somme, c’est que nos doigts sont capables d’anticiper la présence d’un objet enfoui en lisant les signaux subtils transmis par le sable, un peu comme un stéthoscope sensoriel naturel. De là à inventer un nouveau sens, il y a un pas que certains médias franchissent avec l’agilité d’un chaton sur un tapis de yoga. Peut-être qu’un jour, on parlera vraiment de sens inédits révélés par la science. Mais cette fois-ci, mieux vaut garder les pieds sur terre – ou les doigts dans le sable, si l’on préfère.
