Opéra de Rennes. Succombez aux sept péchés capitaux de Kurt Weill et Berthold Brecht

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© Laurent Guizard

Contrairement à l’opéra de quat’ sous dont l’intrigue se déroule dans les bas-fonds Londoniens, Les Sept péchés capitaux de Kurt Weill et Berthold Brecht nous entraînent dans un voyage au sein des grandes villes d’une Amérique fantasmée où, Anna, personnage à deux faces, tente de faire fortune et pour cela doit remettre en question un certain nombre de principes et accepter de douloureuses compromissions. À découvrir jusqu’au 28 novembre 2024 à l’Opéra de Rennes.

Quelle incroyable actualité au moment même ou l’Amérique d’un certain président prétend se renfermer sur elle-même et placer l’égoïsme et le cynisme en règle de gouvernance. Décidément le drame humain ne varie guère et les expériences les plus cruelles ne semblent pas apporter beaucoup d’enseignement. Cette production, basée sur l’unique texte écrit par Brecht en 1933 et portant initialement le nom de « Les sept péchés capitaux des petits bourgeois », dénonce à l’époque l’attitude veule d’une certaine catégorie sociale et de l’église, en général, face à l’accession au pouvoir de Hitler. La peur est un maître exigeant, aussi vaut-il mieux courber l’échine, ce qui n’empêche pas des sursauts de révolte vite réprimés. C’est tout le drame d’Anna, dédoublée en deux personnages conflictuels qui constatent, avec amertume, l’étendue de leurs lâches concessions. Au fur et à mesure que le voyage avance, la fortune augmente et l’âme se délite.La question est posée, jusqu’où peut-on aller ?

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© Laurent Guizard

Le metteur en scène réussit adroitement à s’éloigner de cette ambiance particulière qui baigne les deux autres collaborations de Brecht et Weill et ne sent pas obligé de resituer Les Sept péchés capitaux dans un climat de Berlin des années 20. Son choix d’un réel minimalisme scénique nous fait, à l’ouverture du rideau un peu grincer des dents, une simple structure de tuyaux d’échafaudage surmontée d’un écran et détail irritant, l’inévitable portant à vêtements et nous voilà une fois de plus renvoyés dans les années 70 et leur rage iconoclaste de désacraliser l’opéra ou même de le désembourgeoiser. Pourtant Jacques Osinski capte notre attention avec autorité et nous fait oublier toute la scène en focalisant notre regard sur trois plans distincts, les deux Anna, sa famille apparaissant sporadiquement en fond de scène et bien sur l’écran situé juste au dessus des protagonistes. C’est là qu’il convient d’encenser sans réserve le travail de recherche de Yann Chapotel qui illustre avec un talent remarquable tout le déroulé de l’œuvre en l’accompagnant d’images, de petits films, de clips, en totale adéquation avec ce qui se passe sur scène… on est vraiment subjugué. Impossible de détourner les yeux au risque de perdre le fil d’une histoire qui nous fascine. Cette fascination, soyons justes, on la doit aussi aux deux artistes interprétant les visages opposés de Anna, en la personne de Natalie Pérez et Noémie Ettlin. Vocalement, elles sont accompagnées d’un quatuor grinçant et parfois truculent composé de Guillaume Andrieux, le père, de Florent Baffi, la mère, solide basse curieusement affublée d’une jupe et de talons hauts, et enfin des deux frères, Manuel Nunez Camelino et Camille Tresmontant. Tout ce petit monde interagit avec talent et assure à l’œuvre une assise vocale de qualité.

C’est sous la baguette de Benjamin Lévy que se distingue l’orchestre National de Bretagne. La troupe en effectif réduit joue la version de Heinz Karl Gruber pour 15 musiciens et apporte un socle solide en s’adaptant à toutes les facettes malicieuses que propose la partition de Kurt Weill. On passe allégrement de notes dignes d’un cirque de province à la manière de Nino Rota à celles d’un cabaret interlope sans oublier les mélodies intimistes que le pianiste Martin Surot distille avec élégance, aucune des couleurs contrastées qu’impose Weill ne semble rebuter notre orchestre Breton et il contribue au succès mérité que récolte auprès du public ce petit bijou d’une heure et quelques minutes.

Vous pourrez encore vous plonger dans le péché avec délectation le mardi 26 novembre à 20h ainsi que le jeudi 28 à 20h également, ne laissez pas passer une si belle occasion, elle bénéficie certainement d’une indulgence particulière et sans l’ombre d’un doute vous recevrez même l’absolution.

Jusqu’au 28 novembre 2024, Les Sept péchés capitaux de Kurt Weill et Berthold Brecht

Opéra de Rennes, Place de la Mairie, CS 63126, 35031 Rennes Cedex.

La billetterie de l’Opéra est ouverte du mardi au vendredi de 13h à 19h, le samedi de 13h à 18h et une heure avant le début des spectacles les lundis, dimanches et jours fériés. Contact : 02 23 62 28 28 Billetterie en ligne

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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