Le festival Scopitone célèbre sa 20e édition du 14 au 17 septembre. Organisé par la salle de musiques actuelles Stéréolux, ce rendez-vous nantais dédié aux arts numériques et aux musiques électroniques a pris l’habitude des propositions avant-gardistes. Cette année ne déroge pas à la règle avec notamment une performance à huit mains réunissant des talents confirmés de la scène électronique française – Maelström, Flore, Djedjotronic et Fasme – pour un live spatialisé. Reportage.

Un lundi après-midi de septembre, l’île de Nantes est plutôt calme. Quelques touristes s’arrêtent prendre en photo le vénérable éléphant des machines qui dort sous sa verrière, avant de continuer leur route vers les anneaux de Buren, quai des Antilles. Malgré cette tranquillité, ça s’active derrière les portes du Stéréolux à Nantes. À quelques jours du lancement de la 20e édition du festival Scopitone, les équipes techniques et de décoration sont sur tous les fronts. Des échafauds encombrent le hall qui tressaille d’impatience, attendant le retour de son public après une pause estivale bien méritée. 

Dans la salle Maxi résonnent les préparatifs de la première soirée musicale du festival, jeudi 15 septembre 2022. Au centre de la salle, quatre praticables de scène forment un carré où les musiciens et musicienne Maelström, Flore, Djedjotronic et Fasme s’affairent à leurs machines, sous l’œil patient de deux techniciens. Le groupe échange dans la complicité son jargon de bidouillages électroniques que seuls peuvent comprendre tout à fait ses semblables. Chaque artiste a dans le dos deux colonnes d’enceintes délimitant une petite scène à chaque côté de la pièce.

  • scopitone maelstrom
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Le dispositif est en place pour accueillir la performance à huit mains qu’ils et elle donneront jeudi soir : un live spatialisé, en quadriphonie, dans lequel les parties jouées par chacun·e forment un ensemble, variable selon où se trouve le public. Celui-ci pourra ainsi privilégier ce que joue un·e artiste en se rapprochant de tel ou tel côté, et percevoir ce qui est joué par chacun·e dans l’ensemble sonore.

Inspirée du principe de La Colonie de vacances, projet porté par des groupes rock et noise, cette création Scopitone, véritable défi technique et créatif, a été confiée à l’artiste nantais Maelström. Actif depuis le milieu des années 1990, celui-ci est DJ, producteur et cofondateur du label RAAR. Pour cette performance, il a convié la Lyonnaise Flore, le Bordelais Djedjotronic, et un autre Nantais, Fasme. Les trois premiers font figure de références, certes pointues, de la scène de musique électronique française depuis une ou deux décennies. Le quatrième a su s’imposer ces dernières années par ses performances live et, plus récemment, par une série d’EP très réussis.

Devant l’exercice complexe de cette création, Maelström a souhaité s’entourer d’artistes de sa connaissance. Djedjotronic, avec qui il avait créé en 2015 le projet de live machines à quatre mains Lost Echoes, déjà dans le cadre d’une création Scopitone. Fasme, avec qui il a produit un disque sorti en 2021, et un autre à paraître. Flore, qu’il connaît depuis une vingtaine d’années et dont il apprécie beaucoup le travail. « Quand tu te projettes dans le processus créatif collectif, il faut qu’il y ait de la place pour tout le monde, qu’on ne se retrouve pas tous au même endroit pour être complémentaires plutôt que concurrents », explique Maelström. Et de poursuivre : « Fasme est beaucoup dans les mélodies, Djedjotronic et moi dans des choses plus frontales, Flore habite l’espace avec un univers plus dub, influencé par la bass music ».

Depuis la fin du mois de juillet, les quatre artistes se sont échangé des patterns (motifs rythmiques de base), des samples (extraits d’un enregistrement sonore à réutiliser dans une nouvelle création) ou encore des morceaux entiers, uniquement des inédits, qu’ils ont éclatés en pistes séparées. À partir de ces éléments, ils ont composé une première trame de leur création. Vient ensuite le temps des résidences. Une première a lieu au Trempo la semaine du 5 au 9 septembre. « On a consolidé la trame et écrit plus précisément les différents moments forts », raconte Maelström. 

scopitone maelstrom

Une seconde résidence se tient du 12 au 15 septembre à Stereolux, pour finaliser la performance en conditions réelles, c’est-à-dire dans la salle et avec les systèmes-sons qui seront utilisés le soir S. Synchroniser les sources, ajuster les niveaux, le travail avec les techniciens son est alors fondamental pour rendre ce processus expérimental audible et éviter la cacophonie. « L’équipe de Stéréolux a trouvé une solution qui marche bien, dans le choix des systèmes-sons et la façon de les calibrer », se réjouit Maelström. « C’est une co-création à tout point de vue, car notre travail artistique dépend de l’installation technique », continue-t-il.

Et dans ce cas de live spatialisé à huit mains, la création collective passe par un échange permanent entre les artistes. « Comme on est en interaction tout le temps, la moindre modification d’un paramètre va générer une réaction de la part des autres, comme dans une jam de jazz », explique Maelström. « Alors que d’habitude, dans les musiques électroniques, on est dans des structures assez rigides, ici c’est une structure très souple et très réactive, très différente de jouer seul, où on est dans un univers intime, une forme d’introversion », poursuit-il. 

scopitone maelstrom

Et contrairement à dans un orchestre ou un groupe traditionnel avec une répartition figée des instruments, les éléments qui constituent un morceau (rythmique, synthés, etc.) peuvent être joués indifféremment par tel ou telle interprète avec ses machines et/ou son ordinateur. « En fonction des besoins de chaque morceau et de l’équilibre acoustique dans la pièce, on se répartit les éléments », précise Maelström. Untel, par exemple, a conçu un pattern qui sera finalement repris, rejoué avec son propre matériel par un·e autre, dans l’objectif d’atteindre un équilibre sonore, une circulation du son qui invitera le public à circuler avec lui. « Il y a une dimension de surprise, les gens ne peuvent pas anticiper ce qui va suivre. Le public doit être attentif à ce qui se passe, avoir la curiosité de se déplacer dans la pièce », affirme le musicien.

Si les expériences de son spatialisé se sont multipliées ces dernières années dans différents milieux des musiques électroniques, des teknivals à la Maison de la radio, au-delà de l’exploit technique, la performance semble vouloir rapprocher les musiques électroniques de réflexions qui évoquent celles des avant-gardes artistiques. « Ce sont des procédés qui viennent des musiques expérimentales, de l’expérience sonore, et qui ne sont pas très mobilisés dans les musiques qu’on joue. L’idée c’est de s’approprier ces outils et de voir ce qu’on peut en faire pour que ça ait du sens dans le contexte de notre culture », propose Maelström.

Celui-ci analyse : « quand des artistes de musique électronique font un live sur scène, les gens dansent, apprécient la musique, mais n’ont pas forcément de lisibilité sur ce qui est en train de se passer. Il y a de la musique, et voilà ». L’objectif ici est donc de faire rentrer le public dans le processus de création, lui donner la possibilité d’une écoute analytique. « Pendant le live, en fonction de l’endroit où tu vas te positionner dans la salle, tu sauras qui est en train de faire quoi : que le snare vient de la droite, la mélodie du fond, le charley de derrière. C’est intéressant avec les musiques qu’on fait, qui sont faites sur des instruments pas démonstratifs, de faire comprendre au public ce qu’on est vraiment en train de faire. »

Cette écoute analytique est le pendant d’une posture active du public que doivent faciliter la multi diffusion sur quatre systèmes-sons et la répartition variable des éléments sonores joués par chaque artiste entre eux. L’espace sonore, le dancefloor, devient navigable, non plus seulement pour trouver le point de convergence des amplis, où le son porte le plus, mais pour composer soi-même le mixage d’une création sonore en live, selon les éléments qui nous plaisent le plus. « Il y a un effet de co-création avec le public, le produit final est final pour chaque personne en fonction de l’endroit où elle est à un moment précis. C’est un peu comme dans un bon roman : ton imagination va fabriquer une immense partie, la lecture c’est tout le temps une co-création avec l’auteur », affirme Maelström.

scopitone maelstrom

Reprenant les idées d’Umberto Eco sur le rôle du lecteur dans le sens donné à un roman, cette performance à huit mains en son spatialisé proposée par Maelström, Flore, Djedjotronic et Fasme dans le cadre du festival Scopitone semble vouloir inviter à penser le son qui fait danser.

La performance aura lieu jeudi 15 septembre au Stéréolux, en seconde partie de soirée, après le live audiovisuel de Alex Augier.

Toutes les informations et la billetterie

Cette année, le festival produit deux autres créations musicales : le live audiovisuel du duo Atoem, et celui du musicien S8JFOU et du plasticien Simon Lazarus. Des performances à découvrir vendredi 16 et samedi 17 septembre 2022 au Stéréolux.

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Jean Gueguen
J'aime ma littérature télévisée, ma musique électronique, et ma culture festive !

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