Savina – Le Corbusier, de l’art celtique à la sculpture moderne paraissait en octobre 2021 aux éditions Locus Solus. D’un côté, Joseph Savina, ébéniste de renom en Bretagne, un artiste du bois. De l’autre, Le Corbusier, architecte connu mondialement et l’un des principaux représentants du mouvement moderne. De leur rencontre en 1935 naquit une collaboration féconde puisque, le saviez-vous ? l’intégralité des sculptures dessinées par l’architecte furent réalisées par le Breton !

« Allez Savina, foutez-en un coup ! J’imagine que la paysannerie n’a plus beaucoup de sous en ce moment. Ne devenez pas rockfeller, mais Savina, l’artiste sensible et solide », Le Corbusier à Savina, 1949.

La réputation de l’architecte Charles-Édouard Jeanneret-Gris, dit Le Corbusier (1887-1965) n’est plus à faire. Nombre de livres content son œuvre et sa vie. Mais connaît-on aussi bien, et à l’international, le travail de Joseph Savina (1901-1983) ébéniste de renom en Bretagne, grand artiste du bois avec qui collabora Le Corbusier ? Sous la direction de Pascal Aumasson, conservateur du patrimoine, et Yves Brand’honneur, artisan ébéniste de métier, le livre Savina – Le Corbusier : Art celtique et sculpture moderne retrace cette histoire méconnue.

C’est en 1935, dans le Trégor, que la rencontre se fit, par l’intermédiaire du poète Pierre Guéguen (1889-1965). Ainsi commença une relation authentique qui dura plus de 30 ans et une aventure artistique qui s’épanouit pendant une vingtaine d’années, bien que cette dernière n’allait pas de soi « au vu de leurs divergences d’opinions et de style. Elle repose sur la franche reconnaissance du « métier ». Le Corbusier dessine ce que Savina taille ».

Qui était Joseph Savina, dont le vaste et réputé « Atelier d’art celtique » à Tréguier a donné naissance, entre 1929 et 1969, à des milliers de meubles et décors ? Ce nom, autant que le lieu dans lequel il a évolué pendant 40 ans, renvoient à l’aventure des Seiz Breur (« sept frères »), fratrie turbulente née en 1923. Composé d’ami·e·s artistes soudé·e·s par l’envie de concilier inspiration bretonne et esprit moderne, ce rassemblement fut atteint pendant un quart de siècles d’une fièvre créative d’une nouvelle conscience artistique. Adopté en 1929, par le biais de René-Yves Creston (1898-1964), Savina se révèle une illustration de l’ambition et de l’esprit de ce groupe artistique qui s’est épanoui au début du XXe siècle.

  • savina le corbusier
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  • savina joseph
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Bien qu’exceptionnelle et trop peu connue, résumer le personnage à la collaboration avec Le Corbusier, en passant à côté de l’artiste de bois qu’il était, serait ainsi une erreur. Le présent ouvrage, sous la plume de Pascal Aumasson et Yves Brand’honneur, tend également à replacer ce talent local à sa juste place. « Habité par de fortes convictions bretonnes, inscrit dans la longue durée de l’artisanat, mais impliqué aussi dans une aventure artistique d’avant-garde », Savina a développé sa pratique dans un esprit de modernisation de l’art celtique et breton en cherchant à rompre avec les formes traditionnelles. De même, au fil des pages, la fibre artistique de Le Corbusier révèle le peintre et sculpteur derrière l’architecte.

savina le corbusier
Savina et Le Corbusier, Paris, Fondation Le Corbusier.

Savina – Le Corbusier suit le développement intellectuel et artistique de Savina au cours de ses années d’activité pour mieux comprendre un ensemble. Parce qu’au delà d’être un génie, celui qui fut distingué du titre de meilleur ouvrier de France trouvait dans son métier un « refuge où placer ses angoisses et rêves, où accomplir le voyage intérieur qui l’appelait ». Sa relation avec le Corbusier dépassa le champs professionnel, une réelle connexion unit les deux personnages.

De leur première rencontre en 1935 naquit d’abord une correspondance, puis au fil des ans, une pratique de la sculpture, de 1947 à 1965. Celle-ci aboutira à quarante-quatre sculptures réalisées à partir de dessins ou peintures et porteront la double signature “LC:JS” ou “JS:LC”. Ces chefs-d’œuvre et des centaines d’archives et de sources forment la trame de l’étude que l’on tient aujourd’hui entre nos mains. Pas moins de 140 relevés de meubles, 1200 photos, 600 pages de registres de commandes de l’atelier et près de 300 lettres échangées entre Savina et Le Corbusier nourrissent le livre publié aux éditions Locus Solus.

Pourtant, les premiers échanges avec Le Corbusier ne furent pas de chaleureux moments de partage. À la première impression, l’architecte paraît « bourru, distant, presque agressif », comme Savina le confie à Daniel Le Couédic, professeur émérite à l’Institut de Géoarchitecture de l’Université de Bretagne Ouest (Brest). La relation se créa au fil d’une correspondance illustrée, mais, de sculpture, il n’en était pas encore question. « Pourtant, dans le secret de son atelier Savina tente aussitôt d’en tirer un modèle. »

Ils griffonnèrent d’abord de simples impressions et des profils de meubles. Savina commence ensuite à sculpter les dessins de Le Corbusier. Impressionné par sa maîtrise du bois, ce n’est pourtant qu’une décennie après leur rencontre que Le Corbusier plonge à son tour dans la pratique de la sculpture. « Savina, je trouve quant à moi, cela épatant, dépassant mes espérances. N’est-ce pas de la bonne statuaire ? N’y a-t-il pas lieu de poursuivre notre collaboration ? J’ai une masse considérable de thèmes sculpturaux à traiter en bronze, pierre ou bois. Nous devrions faire cela ensemble, les deux noms joints. Voulez-vous ? », s’enthousiasma Le Corbusier à Savina, en 1947. Et ce fut le cas. L’architecte et l’ébéniste créèrent ainsi à quatre mains des sculptures en bois naturel ou polychrome. S’éloignant de l’architecture, Le Corbusier révèle ainsi à son ami toute la qualité de sa sculpture et de sa peinture.

savina le corbusier

Savina Le Corbusier, de l’art celtique à la sculpture moderne, Pascal Aumasson et Yves Brand’honneur, éditions Locus Solus, 240 pages, 29 €. Parution : 11 novembre 2021.

Pascal Aumasson, conservateur du patrimoine, conservateur des musées de Saint-Brieuc, de Rennes et de Brest de 1981 à 2017, il collecte documents, témoignages et mobilier depuis son exposition « Joseph Savina l’art et le métier » à Saint-Brieuc en 1988. Il a signé pour les éditions Locus Solus L’art graphique et moderne de Pierre Péron et Seiz Breur.

Yves Brand’honneur, artisan ébéniste de métier, installé près de Rennes, enseignant et président- fondateur de l’association Ébénistes créateurs de Bretagne, a reçu le titre de Meilleur ouvrier de France. Il documente et conçoit lui-même des pièces de design mobilier contemporain.

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